Cette guêpe préhistorique mortelle capturait ses proies avec ses abdos "attrape-mouches"
Le monstre de la mythologie grecque, Charybde, avalait et recrachait d’immenses volumes d’eau, créant des tourbillons assez puissants pour emporter par le fond les navires qui s’en approchaient. Quatre-vingt-dix-neuf millions d’années avant la création du mythe, au milieu du Crétacé, la guêpe Sirenobethylus charybdis mettait en place un piège mortel similaire qui lui a récemment valu un nom scientifique inspiré par le monstre mythologique.
Une structure ressemblant à une dionée attrape-mouches présente sur l’abdomen de la guêpe retenait ses proies captives alors que la guêpe déposait ses œufs dans sa victime, la forçant à incuber sa descendance. C’est ce qu’une nouvelle étude publiée dans la revue scientifique BMC Biology révèle. Des dizaines de guêpes piégées dans l’ambre ont été étudiées.
« Cette découverte révèle que les insectes préhistoriques avaient déjà développé des stratégies sophistiquées pour capturer leurs proies », explique Wu Qiong, auteur principal de l’étude et doctorant au sein du département des sciences de la vie de l’université Capital Normal. « Elle bouleverse notre compréhension de l’évolution de la guêpe parasitoïde. »
EXAMINER L’AMBRE AU MICROSCOPE
Le morceau d’ambre qui contient le spécimen de Sirenobethylus charybdis n’est pas plus grand qu’une pièce de monnaie. En 2015, un collectionneur de fossiles chinois a fait l’acquisition de ces fossiles de l’État Kachin du Myanmar et en a fait don à l’université Capital Normal de Chine.
À l’œil nu, Sirenobethylus charybdis ressemble à nos guêpes modernes, si ce n’est un abdomen plus large que la normale.
« Au début, nous avons attribué cela à une déformation au cours de la préservation. De telles déformations et distorsions sont communes durant la fossilisation », explique Wu Qiong.
Mais après un examen minutieux, grâce à des microscopes et des radios, une structure remarquable a été mise au jour.
La pointe de l’abdomen de la guêpe comporte trois volets, arrangés dans une configuration similaire à celle de la dionée attrape-mouches. Sur de multiples fossiles, le volet du bas était ouvert à des angles légèrement différents, suggérant une souplesse de mouvement pour servir de grappin. Tout comme chez la plante attrape-mouches, le dessous du volet du bas est bordé de longs poils souples qui peuvent détecter les mouvements.
Un insecte inconscient du danger frôlant ses poils aurait pu activer la fermeture rapide des volets abdominaux, permettant à la guêpe de capturer sa proie.
Les scientifiques ne pensent pas que la guêpe tuait immédiatement ses proies, plutôt qu’elle les utilisait comme incubateurs vivants pour sa descendance.
De nombreuses structures de poils fermes, situés sur le dessus du volet du bas, ainsi que sur le volet du milieu, relativement souple, tenait délicatement mais fermement la proie jusqu’à ce que la guêpe finisse de pondre ses œufs. C’est seulement après que la liberté lui était rendue.
« Cette structure “attrape-mouches” observée sur l’abdomen de Sirenobethylus charybdis n’a jamais été observée auparavant, dans toute l’histoire de la recherche sur les insectes du Mésozoïque, et rien de similaire ne se retrouve chez nos insectes modernes », témoigne Wu Qiong.
Chenyang Cai, qui n’a pas pris part à l’étude, est un paléoentomologiste au sein de l’institut de géologie et de paléontologie de l’Académie chinoise des Sciences. Il a salué la découverte « unique » du fossile de guêpe. Il a expliqué que Sirenobethylus charybdis est « très différente des guêpes modernes ou d’autres insectes » et que son existence « met en valeur la diversité des insectes du milieu du Crétacé, révélant des formes que nous n’avions jamais imaginées ».
UNE ÉTRANGETÉ ÉVOLUTIVE
Les scientifiques ignorent quels insectes utilisaient Sirenobethylus charybdis pour héberger ses œufs. Au vu de la petite taille de sa structure piège, ces hôtes étaient probablement minuscules, des insectes agiles comme des collemboles ou des mouches.
En étudiant des espèces similaires d’aujourd’hui, l’équipe de chercheurs a émis d’autres hypothèses sur cette guêpe préhistorique.
Les femelles de la famille des Dynidae ont des pattes antérieures qui comportent un appareil en pince qui leur permet d’attraper fermement les hôtes dans lesquels elles pondent leurs œufs. Ces chasseuses sans ailes aux larges yeux et aux pattes fines sont adaptées aux déplacements rapides et à la capture d’insectes.
Par contraste, Sirenobethylus charybdis apparaît être plus pataude. Elle a des yeux et des pattes plus petits, ce qui suggèrent qu’elle était plus lente que les Dynidae.
La structure qui lui permet d’agripper est située à l’arrière de son corps, ce qui rend également difficile la capture de proies en mouvement. En se basant sur ces caractéristiques, les chercheurs pensent qu’il s’agissait d’une prédatrice patiente, qui restait probablement stationnaire jusqu’à ce que des insectes peu précautionneux tombent dans son piège.
Les fossiles piégés dans l’ambre du milieu du Crétacé comme celui-ci, remarque Chenyang Cai, révèlent que les insectes de cette période étaient « incroyablement divers, peut-être plus spécialisés dans certaines pratiques que ce que nous voyons aujourd’hui ».
De telles découvertes, insiste-t-il, sont « un rappel crucial que la seule étude des espèces aujourd’hui vivantes ne nous dévoilera jamais l’histoire complète de l’évolution ».
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