Union européenne : les objectifs de réduction des émissions de CO2 pourraient être atteints d’ici 2030

En 2015, lors de la COP 21, l’accord de Paris a constitué un cadre de référence majeur pour les politiques climatiques qui devaient être menées en Europe : l’objectif était de limiter l’augmentation de la température mondiale à moins de 2 °C d’ici 2100 par rapport aux niveaux préindustriels, et les pays signataires se sont engagés à atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050. Quatre ans plus tard, en 2019, sous l’impulsion de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le Pacte vert a été lancé afin de faire respecter ce traité international. Parmi les soixante-dix textes législatifs qui le composent figurent la fin de la commercialisation des voitures thermiques neuves à partir de 2035, la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’UE ou encore la lutte contre la déforestation importée.
Ce Pacte vert est d’autant plus important qu’il concrétise enfin la mise en œuvre de l’objectif fixé par la loi climat de 2021. Cette loi a inscrit dans la législation européenne l’engagement de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990.
Bonne nouvelle pour les États membres de l’UE : cet objectif pourrait bien devenir une réalité. C’est en tout cas ce qu’a annoncé Bruxelles le 28 mai dernier, en misant sur une baisse de 54 %, à partir de l’étude des plans nationaux en matière d’énergie et de climat (PNEC).
DE BONNES NOUVELLES
Pour Neil Makaroff, directeur de Strategic Perspectives et expert associé à la Fondation Jean Jaurès, « ce n’était pas nécessairement gagné car cet objectif était relativement haut ». Mais ces dernières années ont été marquées par une baisse accélérée des émissions de gaz à effet de serre, combinée aux efforts engagés dans les plans nationaux, qui rendent désormais l’objectif de 2030 atteignable. Selon Arnaud Schwartz, vice-président de France Nature Environnement, cette annonce est à nuancer : « on semble avoir une Union européenne qui essaye de tenir les engagements qu'elle s'est fixés », mais en raison de l’accélération du changement climatique, « il se pourrait bien que, malgré toute la bonne volonté du monde, elle ne soit pas au niveau qu'il faudrait ».
Lors du point presse consacré à l’évaluation des PNEC, le commissaire européen au Climat, à la Neutralité carbone et à la Croissance propre, Wopke Hoekstra, a annoncé que « les émissions [avaient] diminué de 37 % depuis 1990 », malgré des lacunes en matière de protection des forêts et de séquestration du dioxyde de carbone. Cette baisse est la plus importante parmi les principaux émetteurs mondiaux. À l’échelle globale, selon le Bilan environnemental 2024 du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 62 % sur la même période.
Seul le secteur des transports n’a pas connu de baisse significative de ses émissions de gaz à effet de serre ; au contraire, elles auraient augmenté de 19 % entre 1990 et 2023. Ce secteur reste l’un des plus difficiles à décarboner, en raison du grand nombre de véhicules thermiques encore en circulation, et révèle des disparités entre États membres. Pour Neil Makaroff, le prix élevé des véhicules électriques constitue « une vraie barrière à la transition pour beaucoup de ménages ». Il estime que l’accessibilité à la transition écologique « devrait être l’un des grands chantiers de ce mandat à l’échelle européenne » et souligne l’importance de « créer un modèle de transformation socialement plus inclusif ». Le Pacte pour une industrie propre, officiellement annoncé début 2025, s’inscrit dans cette dynamique : « il vise à aider l’industrie traditionnelle à se décarboner, afin de maintenir une base industrielle solide en Europe et de préserver les emplois ». Arnaud Schwartz dénonce, lui, « un manque voire une absence d’accompagnement social » dans les mesures de transition mises en place.
Pour le directeur de Strategic Perspectives, la décarbonation de la production d’électricité constitue « l’un des principaux vecteurs » dans la concrétisation des engagements climatiques européens, en particulier grâce à l’essor des énergies renouvelables. Deuxième bonne nouvelle pour l’UE : « l’objectif [qui prévoit d’élever la part des énergies renouvelables à 42,5 % de la consommation totale] sera quasiment atteint » d’ici 2030, poursuit Neil Makaroff.
DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES
Selon Neil Makaroff, les PNEC « ont une vertu : celle d’obliger les États membres à un minimum de coordination et d’efforts collectifs », bien qu’à ce jour, trois pays n’aient pas encore remis leurs plans nationaux : la Belgique, l’Estonie et la Pologne. Cette « coordination de la transition » est d’autant plus nécessaire que l’Europe, en tant que continent importateur d’énergies, dépend largement des puissances extérieures telles que la Russie, les États-Unis ou les pays du Golfe. Cette dépendance constitue une vulnérabilité commune à tous les pays membres, rendant la coopération indispensable. Arnaud Schwartz souligne la difficulté des États européens à coopérer et dénonce un excès de « subsidiarité » dans la mise en œuvre des réglementations.
De plus, Neil Makaroff explique « qu’il y a toute une série de grandes réformes du Pacte vert européen qui, aujourd’hui, sont contestées, voire attaquées par une partie du paysage politique européen », notamment par les mouvements populistes. L’instrumentalisation de cet effet de rejet a, par effet de contagion, amené une partie des libéraux et de la droite européenne à envisager un affaiblissement du Pacte vert, tandis que certains mouvements d’extrême droite vont jusqu’à réclamer son abolition. Dans le contexte géopolitique actuel, et compte tenu de la forte dépendance de l’Europe à ses importations, « ceci serait extrêmement dangereux », alerte Neil Makaroff, pour qui « l’option de la transition climatique serait le meilleur filet de sécurité énergétique ». « Les populistes utilisent souvent le fait que la transition conduirait à une désindustrialisation du continent. En réalité, c'est l'inverse : en France, en 2024, le secteur qui a le plus ouvert d’usines industrielles est celui de la transition écologique, avec vingt-sept sites implantés dans le pays », poursuit-t-il. « Se priver de cette transition, c'est tout simplement aussi se priver de cette nouvelle ère industrielle qui est en train d'émerger et qui est aujourd'hui largement dominée par la Chine », conclut-il.
D’après l’I4CE (Institute for Climate Economics), en 2023, les investissements climatiques européens ont atteint 498 milliards d’euros, bien loin des 842 milliards nécessaires chaque année pour atteindre les objectifs du Pacte vert d’ici 2030. La seule prise en compte des budgets nationaux dans le financement de la transition fait craindre à Neil Makaroff l’émergence d’une « Europe à deux vitesses ». Selon lui, il est primordial de lever des fonds à l’échelle européenne : « si l’on veut soutenir notre industrie verte, qui souffre très fortement en ce moment, il faudra sans doute le faire aussi à l’échelle européenne, pour éviter que seuls les États qui ont les moyens en bénéficient et que les autres subissent une désindustrialisation ». Arnaud Schwartz explique qu’il faut, à partir « d’un pot commun », « répartir le budget en fonction des besoins, différents d’un endroit à l’autre ». Les Vingt-Sept devront s’entendre rapidement sur le nouveau budget européen, dont les négociations débutent en juillet prochain, car sans réel plan de relance, « l’Europe ne pourra pas faire face à cette course à la transition écologique que la Chine est en train de mener », ajoute Neil Makaroff.
« L’ENJEU D’EXEMPLARITÉ » DE L’UE FACE AU MONDE
À l’échelle internationale, l’Union européenne ne représente qu’environ 6 % des émissions de gaz à effet de serre en 2023, selon EDGAR (Emissions Database for Global Atmospheric Research), loin derrière la Chine (30 %) et les États-Unis (11 %), ces derniers s’étant une nouvelle fois retirés de l’accord de Paris. Cependant, pour Neil Makaroff, le dérèglement climatique, directement causé par l’accumulation des émissions de gaz à effet de serre au fil du temps, doit être analysé en tenant compte des émissions historiques, et pas seulement des émissions actuelles. Sur ce plan, l’Union européenne et la Chine présentent des niveaux équivalents, autour de 15 %, tandis que les États-Unis culminent à 24 %. « Il y a un enjeu d'exemplarité de la part des Européens face au reste du monde », déclare Neil Makaroff. Il explique que « les pays occidentaux ont une responsabilité historique dans le dérèglement climatique et doivent l’assumer en réduisant beaucoup plus rapidement [leurs émissions de gaz à effet de serre] et en débloquant des financements climat à l’échelle internationale ». Pour Arnaud Schwartz, cela doit se traduire par « des évolutions réglementaires au sein de l'Union Européenne mais aussi par des contributions financières ou des effacements de dettes ». En raison de l’importance de son marché et de son influence diplomatique, Neil Makaroff affirme que l’Europe détient « un certain nombre de leviers pour pousser le reste du monde à la décarbonation ». À l’approche de la COP 30, qui se tiendra à Belém en novembre prochain, de nombreux États attendent que l’UE prenne position en fixant une cible climatique pour 2040.
L’année dernière, la Commission européenne avait évoqué un objectif de réduction des émissions de 90 % d’ici 2040 (par rapport à 1990) et devrait faire une proposition concrète le 2 juillet prochain. Neil Makaroff estime que « si l’on veut sortir de cette vulnérabilité énergétique, il va falloir électrifier très rapidement notre économie », c’est-à-dire atteindre quasiment 50 % de nos économies électrifiées en 2040, contre 21 % aujourd’hui. « Cet objectif de -90 % est une boussole industrielle » selon lui. « En gros, vous avez deux chemins pour atteindre cet objectif : soit on choisit une désindustrialisation complète du continent européen, ce qui serait très négatif, soit, au contraire, on booste notre industrie, on la soutient notamment avec des préférences européennes, par exemple lorsqu’il s’agit d’industries vertes, et avec un plan d'investissement à l’échelle européenne. Dans ce cas-là, vous aurez des bénéfices qui seront considérables pour l'économie européenne », ajoute-t-il. Pour Arnaud Schwartz, l’objectif fixé pour 2040, bien que crédible, n’est pas suffisant, même d’un point de vue économique. Pour lui, il est urgent aujourd’hui de réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre car sinon, « l’inaction ou le retard à l’action vont générer des coûts beaucoup plus importants que les investissements qu’il faudrait faire maintenant ».