Pour survivre aux vagues de chaleur, le poisson-clown rapetisse
Alors qu’elle vérifiait et revérifiait ses mesures, la doctorante Melissa Versteeg s’inquiétait que celles-ci soient fausses. Le poisson serait mesuré était en train de rapetisser.
« Elle a repris ses mesures trois fois », commente Theresa Rueger, biologiste de la vie marine qui travaillait avec la doctorante à l’université anglaise de Newcastle. « Elle a demandé à plusieurs personnes de les mesurer en même temps pour s’assurer que les chiffres ne soient pas faux. »
Mais les mesures étaient correctes. Les données récoltées par Melissa Versteeg montraient que les poissons-clowns d’anémone, Amphiprion percula, rapetissaient au cours d’une vague de chaleur marine.
Les découvertes, publiées dans la revue Science Advances, sont les toutes premières observations d’un poisson habitant dans des récifs coralliens, qui rapetisse à cause d’un stress environnemental. Les scientifiques ont remarqué que certains poissons devenaient plus petits, à l’échelle de leur population, soit à cause de la pêche car les plus grands individus en sont victimes, ou bien parce que les espèces évoluaient vers une taille inférieure. Mais il est rare de pouvoir confirmer que des individus parmi les poissons rapetissent, notamment à cause de la complexité de la tâche. Il faut pouvoir capturer et mesurer le même poisson à plusieurs reprises. Les chercheurs pensent que ce changement de la taille pourrait améliorer les chances de survie des poissons-clowns lors de vagues de chaleur.
LES INFLUENCES D’UNE VAGUE DE CHALEUR MARINE
Cette découverte surprenante était totalement fortuite. « Nous n’avions tout d’abord pas prévu d’étudier la vague de chaleur », explique Theresa Rueger, la co-autrice.
Melissa Vergeer, l’autrice principale, contrôlait les effets des conditions environnementales sur les couples reproducteurs de poissons-clowns sauvages de la baie de Kimbe, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Lors d’un épisode de vague de chaleur, qui avait fait grimper les températures de l’eau 4 °C au-dessus des moyennes sur le long terme, « nous avons décicdé qu’elle les suivrait jusqu’à la fin de la vague de chaleur ».
Les scientifiques suivaient une routine au cours de leurs travaux de contrôle. Elles enregistraient régulièrement la température de l’eau et mesuraient la taille des poissons tous les mois, de février à août 2023.
Les plongeurs attrapaient les poissons-clowns à l’aide d’un filet de pêche et les mesuraient de façon précise à l’aide de pieds à coulisse. Pour un scientifique entraîné, le processus demandait moins de 30 secondes par poisson « et ils retournaient dans leur anémone sans être perturbés », explique Theresa Rueger.
Les résultats étaient étonnants : 71 % des femelles dominantes et 79 % des mâles ont vu leur taille diminuer au moins une fois durant l’étude. Certains de ces spécimens « rapetissés » pouvaient vivre une poussée de croissance pour compenser plus rapidement.
Et de plus, 41 % des poissons qui sont devenus plus petits ont subi ce phénomène plusieurs fois. Et les poissons qui rapetissaient en même temps que leur partenaire avaient plus de chances de survivre.
POURQUOI CE RAPETISSEMENT ?
De plus amples études sont encore nécessaires pour percer le mystère du rapetissement des poissons lors d’épisodes de fortes températures dans l’eau.
Les poissons-clowns sont connus pour avoir une faculté remarquable, pouvoir contrôler leur croissance au cours de certaines circonstances. Lorsqu’une femelle, habituellement la plus grande et la plus dominante du groupe, meurt, le plus grand mâle devient femelle et le deuxième plus grand mâle devient son partenaire de reproduction. Si un espace se libère au-dessus d’eux dans la chaîne reproductive, le poisson peut forcer sa croissance pour devenir plus grand que ses concurrents. « Une fois qu’ils ont pris leur place, ils empêcheront le poisson en-dessous d’eux de grandir », explique Theresa Rueger.
Réguler leur croissance de la sorte leur permet d’éviter les conflits, si le couple dominant pense que l’un des subordonnés devient trop grand, ils l’excluront de l’anémone. Une fois banni, il ne pourra pas survivre. « Ils peuvent s’arrêter de grandir pour ne pas mettre en rogne le poisson qui se trouve juste au-dessus d’eux dans la hiérarchie », ajoute la biologiste. Le conflit est énergivore, l’éviter leur permet de tourner leurs efforts vers les ressources nécessaires à leur survie.
Rapetisser, c’est en revanche inédit. Les poissons-clowns s’adaptent la plupart du temps à la taille de l’anémone dans laquelle ils vivent. Alors, si les anémones sont affectées par les vagues de chaleur, les poissons-clowns devront peut-être rapetisser pour continuer à y vivre.
Une autre possibilité veut que les poissons répondent à l’accessibilité de l’oxygène et de la nourriture. « Si on est petit, on a moins besoin de manger, on est alors plus efficace pour chercher de la nourriture », explique Theresa Rueger.
DANS UN MONDE QUI SE RÉCHAUFFE DES ANIMAUX RAPETISSENT
Cette étude sur le poisson-clown n’est que la dernière découverte sur l’adaptation de certaines espèces dont la taille diminue dans un monde en réchauffement.
Les iguanes marins réduisent la longueur de leur corps durant des épisodes El Niño et la taille des jeunes saumons dépend des conditions environnementales.
« Suggérer que les caractéristiques physiques, dans notre cas la taille, changent pourrait être un témoin d’une ténacité accrue », selon Elizabeth Talbot, écologiste de la vie marine au sein du laboratoire marin de Plymouth en Angleterre, qui n’a pas pris part à la récente étude. Il n’y a pas que des points positifs. « Les petits animaux ont souvent moins d'enfants. »
La taille de nombreux animaux à travers le monde diminue, informe Alexa Fredston, une écologiste quantitative de l’université de Californie à Santa Cruz, qui n’a pas pris part à la récente étude. C'est notamment le cas de certaines espèces d'oiseaux, un phénomène qui est connecté au réchauffement climatique selon les chercheurs.
Mais, d’une manière générale, comprendre pourquoi certains animaux sont en moyenne plus petits qu’ils ne l’étaient auparavant reste un défi de taille. Souvent, c’est parce que « nous avons normalement des informations sur la taille à l’échelle de la population, comme chez les poissons pêchés ou les oiseaux migrateurs que l’on observe chaque année, plutôt que chez un seul individu suivi au cours du temps ».
En mesurant des individus parmi les poissons, « les résultats peignent un tableau fascinant et complexe des réponses animales individuelles face à une vague de chaleur marine prolongée », dit Alexa Fredston. Pour Theresa Rueger, cette découverte fascinante a un goût amer. Elle remarque : « Nous voulions seulement étudier ces poissons, pas documenter leur déclin. »
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