Start-ups africaines et souveraineté numérique : l’indépendance panafricaine a un prix


Entre datacenters souverains, IA locale et gouvernance des données, les États africains tracent leur propre voie pour réduire leur dépendance aux solutions numériques étrangères. Parallèlement à ces plans étatiques, des start-ups africaines s’emparent elles aussi de ces enjeux de souveraineté, et œuvrent à bâtir un écosystème numérique adapté aux réalités africaines. Mais pour tenir tête aux big techs, ces jeunes pousses auront besoin d’un soutien accru de tout le continent.
L’Afrique est face à un défi de taille : se défaire de sa dépendance aux solutions numériques étrangères, notamment américaines et chinoises. Selon Ecofin, la part des prestataires africains dans les cinq briques technologiques du domaine varie de 0 % (construction des appareils mobiles ; systèmes d’exploitation) à 29 % (fournisseurs télécoms ; infrastructures mobiles), et se situe aux alentours de 7 % pour les applications.
À cette dépendance s’ajoute la monopolisation des données africaines par ces géants de la tech. Or, comme l’affirme le professeur Paulin Melatagia Yonta, « qui contrôle les données contrôle l’avenir ». Aussi, pour offrir à sa jeunesse une prospérité durable, l’Afrique doit sortir de cette domination, en développant ses propres solutions numériques.
Souveraineté numérique : un enjeu africain
Conscients du problème, de nombreux États africains se sont lancés dans la bataille de la souveraineté numérique. Désireuse de reprendre la main sur l’IA locale et la gouvernance des données, la Côte d’Ivoire a publié, en mars 2025, sa « stratégie nationale » sur ces deux sujets. Le Ghana s’est lui aussi engagé, dès juillet 2024, dans sa propre « stratégie nationale de données ».
En février 2025, le Sénégal est allé un cran plus loin, en dévoilant un ambitieux New Deal Technologique. Doté de 1 105 milliards de francs CFA, ce plan ambitionne de faire du pays un géant de l’économie numérique et de la data, et réserve un large volet au développement d’infrastructures et de technologies souveraines. Le secteur privé répond aussi à ces nouveaux besoins : en 2024, Orange a ainsi lancé, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, un cloud souverain 100 % africain, garantissant aux entreprises du continent un contrôle total sur leurs données.
L’IA, au cœur des ambitions des jeunes pousses africaines
Au-delà de ces initiatives nationales, une nouvelle génération de start-ups africaines entend proposer une offre numérique africaine, adaptée aux réalités continentales, en particulier dans l’IA et les infrastructures cloud. L’Afrique peut ainsi compter sur une efflorescence de start-ups dans le domaine de l’IA. La ghanéenne Aya Data a par exemple levé, fin 2024, 900 000 dollars en amorçage pour sa solution de collecte et d’étiquetage des données pour les LLM. Au Nigeria, JADA, fondée en 2024, s’attache à former des spécialistes hautement qualifiés dans l’IA, avec l’ambition de faire de cette technologie un étendard pour l’Afrique.
Les start-ups africaines plébiscitent tout particulièrement le traitement des données climatiques par l’IA, un usage crucial pour notre continent. La kenyane Amini.ai a ainsi récemment levé 4 millions d’euros pour diffuser sa solution d’analyse climatique et d’anticipation des risques. La ghanéo-kenyane AfriClimate AI entraîne, quant à elle, ses modèles d’IA sur la résilience au changement climatique.
Start-ups émergentes et cloud souverain
Mais les start-ups les plus engagées pour la souveraineté panafricaine sont sans conteste les spécialistes du cloud. ST Digital, un gestionnaire camerounais de services informatiques, a ainsi lancé, en 2024, une offre de cloud africaine souveraine, complétée en 2025 par une solution d’hébergement de serveurs dédiés à l’IA, au Cameroun et en Côte d’Ivoire. Son DG Anthony Same entend garantir aux talents africains de l’IA la même puissance de calcul que leurs homologues du G7. Il appelle à mobiliser tout l’écosystème continental – privé, public et académique –, pour « faire de l’Afrique un acteur central de l’IA mondiale ».
Le togolais Danny Afahounk défend la même vision avec sa start-up Cloud Inspire, en soutenant des architectures et solutions cloud développées « par des Africains pour répondre aux besoins africains ». « Aujourd’hui, nous, Africains, pouvons bâtir notre propre cloud, hébergé sur nos infrastructures locales, en utilisant des outils entièrement open source », défend-il, enthousiaste.
Le défi du financement
Mais ces légitimes aspirations à la souveraineté technologique nécessitent des financements à la hauteur. Or, après un record en 2022, les levées de fonds vers les start-up africaines ont connu un violent décrochage en 2023 (-46 %), suivi d’un nouveau recul en 2024 (-7 %). L’Afrique n’a donc pas le choix. Si elle veut faire émerger des champions numériques continentaux, elle doit déployer de nouvelles solutions de financement à grande échelle, transnationale, voire panafricaine. Notre future souveraineté numérique est à ce prix.
Une tribune de Sidi Mohamed Kagnassi