Un nouveau test sanguin permet de détecter précocement la récidive du cancer

Juin 13, 2025 - 13:30
Un nouveau test sanguin permet de détecter précocement la récidive du cancer

Lorsque Jennifer Feenstra a été diagnostiquée d’un cancer du poumon avancé et agressif il y a cinq ans, elle n’a pas perdu de temps à se demander comment elle, pourtant non fumeuse et assez sportive, avait pu contracter cette maladie. Au lieu de cela, cette graphiste s’est résolue à se jeter dans la bataille contre ce cancer.

Après que des chirurgiens du Centre contre le cancer de Yale ont retiré une partie de son poumon droit, elle a dû faire quatre sessions d’une chimiothérapie éreintante, puis trois ans d’un traitement médicamenteux additionnel. Tout au long de ces traitements, elle endurait régulièrement des examens de tomodensitométrie, ou scanner-CT, qui, par chance, n’ont jamais montré de trace de récidive. Elle est à présent en rémission, mais elle sait qu’il faut parfois du temps pour qu’une tumeur apparaisse sur des examens.

Cependant, les agrégats en construction de tumeurs cancéreuses apparaissent bien plus tôt dans le corps que ne peuvent le révéler les imageries. C’est pour cela que les médecins sont exaltés par un nouveau type de surveillance à même de détecter la récidive de cellules cancéreuses dans ses toutes premières étapes.

Cela fait des décennies qu’il existe des tests sanguins pour trouver des marqueurs cancéreux, mais la dernière génération d’analyses chasse les minuscules fragments de l’ADN d’un cancer individuel dans le sang des patients. Ces tests de tumeurs sont une percée majeure dans ce que l’on appelle les analyses d’ADN tumoral (ou ctDNA, de l’anglais circulating tumor DNA) et les chercheurs de l’université de Yale et d’autres centres de recherche contre le cancer observent d’ores et déjà des résultats intéressants.

Dans une étude publiée en mars dans la revue scientifique Nature Medicine, l’un de ces tests a réussi à diagnostiquer la récidive d’un cancer du poumon chez des patients en moyenne cinq mois avant que l’on puisse les détecter lors d’un scanner, bien plus tôt que l’on ne les trouve normalement. Si on lui proposait le test, Jennifer Feenstra confie qu'elle aurait « envie de le faire. Il s’agit d’un autre outil qui pourrait augmenter mes chances de rémission ».

Pour cette technologie, le mot-clé est cependant « potentiellement ». Et c’est un mot que certains médecins ont tendance à oublier alors qu’ils se jettent sur les tests disponibles sur le marché.

On connaît plus communément ces traitements sous le nom de biopsies liquides, qui incluent des versions adaptées pour les patients en bonne santé qui cherchent des traces de cancer. Le chiffre de ventes dans le monde pourrait atteindre la somme de 20 milliards de dollars américains, soit près de 18 milliards d’euros, dans les prochaines années, selon la société de recherches en santé iHealthcareAnalyst. Les plus grosses ventes ciblent les cancers du poumon, du sein, les cancers colorectaux, de l’estomac et de la prostate, remarquent les analystes, « motivées par les millions de nouveaux cancers diagnostiqués chaque année dans le monde ».

Le but est de proposer un traitement adapté à chaque patient. « Cette technologie est exaltante parce que nous pouvons suivre les résultats en temps réel et déterminer qui a besoin d’un traitement plus ou moins important », explique Roy Herbst, directeur député du Centre de recherches contre le cancer de l’université de Yale et principal auteur de l’étude parue dans Natural Medicine. Si cette méthode venait à détecter des traces de cancer chez une personne comme Jennifer Feenstra, suivant un traitement post-chimio par exemple, les médecins pourraient allonger la durée de prise du médicament. Ou les patients pourraient se voir administrer un autre médicament auquel ils n’ont pas développé de tolérance, ajoute Roy Herbst.

En-dehors des phases de tests cliniques, ce test ne devrait pas être proposé aux patients, comme le disent Roy Herbst et d’autres chercheurs. « Nous avons besoin de plus de données, surtout parce que nous ne connaissons pas tous les effets néfastes qu’il peut avoir. »

Il demeure également une question sans réponse : est-ce que ce test prolonge la durée de vie des patients ?

 

LA DÉTECTION PRÉCOCE DES TUMEURS EST LIÉE À DE MAUVAIS PRONOSTICS

La technologie derrière ces tests de ctDNA personnalisés vient de la connaissance que l’on a des tumeurs cancéreuses et des mutations génétiques qu’elles développent lors de leur croissance. Certaines sont communes à une grande variété de cancers, comme les changements du récepteur du facteur de croissance épidermique que l’on trouve dans beaucoup de cellules non somatiques des cancers du poumon, dont les tests ctDNA de premières générations étaient à la recherche. D’autres dépendent des tumeurs individuelles de chaque patient, qui continuent de changer tout au long de leur croissance. Toutes ces mutations peuvent être détectées parce que certains fragments de l’ADN des tumeurs se retrouvent dans le sang.

Le processus de test commence après l’ablation de la tumeur par le chirurgien oncologue et l’envoi d’une partie dans un laboratoire spécialisé qui séquencera son génome. Le laboratoire séquence également les gènes du patient. Comparer les deux séquences révèle les mutations distinctes de la tumeur. Cela permet aux techniciens de créer une analyse individualisée qui cible les traces propres aux mutations du cancer dans le sang du patient. Selon le laboratoire à l’origine du test, le nombre de mutations ciblées peut aller de la dizaine à plus d’un millier.

« Le test analyse brin d’ADN par brin d’ADN et regarde lesquels présentent des mutations et lesquels n’en présentent pas », explique Jonathan Goldman, directeur des essais cliniques d’oncologie thoracique de l’université de Californie à Los Angeles et co-auteur de l’étude de Nature Medicine. Comme les tests sont créés pour chaque tumeur spécifique, « si le test sanguin trouve une mutation, on peut lui faire confiance ». Bien que les faux positifs soient peu probables, les consignes en 2024 communiquées par la Food and Drug Administration aux États-Unis avertissent que « les évaluations peuvent varier selon les laboratoires et les technologies utilisées pour détecter l’ADN tumoral, ce qui peut mener à des différences dans les résultats ».

Les études menées ces dernières années confirment que les patients ont généralement un pronostic moins bon lorsque ces tests détectent des récidives microscopiques et précoces. Des patientes atteintes d'un cancer du sein ayant obtenu un résultat positif et ayant ensuite suivi un traitement avec le test ctDNA NeXT avaient, par exemple, une durée de survie plus courte par rapport aux patients dont le test était négatif. Ces résultats proviennent d’une étude publiée en février menée sur 78 patients. Les résultats étaient similaires chez 171 patients atteint d’une forme précoce de cancer du poumon ayant subi le même test.

Un résultat positif est souvent un mauvais signe parce que les cancers qui récidivent rapidement ont tendance à être plus agressif, explique H. Gilbert Welch, chercheur oncologue de l’hôpital Brigham and Women de Boston.

 

LES DIAGNOSTICS PRÉCOCES SAUVENT-ILS DES VIES ?

L’une des perspectives les plus prometteuses pour épargner aux patients des traitements dont ils n’ont pas besoin : le diagnostic précoce. Quatre cent cinquante patients atteints d’un cancer du côlon de stade 2 ont été aléatoirement soumis à une analyse ctDNA peu après leur opération afin de déterminer s’ils nécessitaient un traitement de chimiothérapie ou des soins traditionnels avec des décisions de traitements basées sur leurs symptômes et leurs pathologies. Les personnes ayant testé négatif ont évité la chimiothérapie et aucun n’est décédé ou n’a eu de récidive du cancer, selon une étude publiée en 2022 dans la revue scientifique New England Journal of Medicine.

« Les seules personnes ayant besoin d’une chimiothérapie adjuvante sont celles qui font montre de résidus minimaux de maladie », commente Gilbert Welch sur cette étude. « Et tous les autres peuvent s’en aller tranquilles. »

La période après l’opération, là où les prochaines étapes de traitement sont décidées, reste encore un moment confus, explique Richard Chen, responsable en chef du personnel médical chez Personalis, à Freemont en Californie, qui produit les tests NeXT. Les médecins lui disent : « Si nous avions un test qui pouvait nous dire quel patient présente le plus de risques de récidive et lequel est le moins susceptible d’en subir, cela nous aiderait dans la prise de décision, pour savoir s’il faut éviter la chimiothérapie ou en doubler la dose. »

Il n’est cependant pas encore évident de savoir si les traitements précoces, une fois qu’une personne est en rémission mais présente des traces microscopiques de maladie, améliorent les chances de survie. Les études de surveillance de cancer se basant sur des techniques d’imagerie comme les tomographies par ordinateur ou les rayons X suggèrent que ce n’est pas le cas.

Sur la dizaine d’essais cliniques basés sur des imageries de surveillance de haute qualité pour les cancers du sein, du colon, des poumons et des tissus conjonctifs (sarcomes des tissus mous), la moitié a montré que les patients subissant ce type de surveillance vivaient plus longtemps, tandis que l’autre moitié montrait le contraire. « C’est comme jouer à pile ou face », conclut Gilbert Welch dans un article scientifique qu’il a écrit en avril pour le New England Journal of Medicine. C’est pourquoi, aux États-Unis, l’American Cancer Society ne recommande pas la surveillance par imagerie post-traitement pour la plupart des patients ayant traité un cancer du sein précoce.

Il est possible que les analyses ctDNA soient différentes car elles détectent les récidives beaucoup plus tôt que n’importe quel autre test aujourd’hui. Mais les traitements pourraient à leur tour fonctionner aussi bien si les patients attendent l’apparition des symptômes indiquant la récidive du cancer », suppose Gilbert Welch. Seuls les essais cliniques randomisés pourront répondre à cette question cruciale.

Une meilleure compréhension des bienfaits qu’annoncent les analyses ctDNA personnalisées aidera patients et médecins à peser le pour et le contre. Pour le contre, le coût d’un tel traitement vient directement à l’esprit : 3 500 dollars américains (environ 3 000 euros) par patient pour une analyse du cancer du côlon. Sans parler du traumatisme émotionnel qui accompagne l’annonce d’une récidive au cours d’une période où une personne pourrait autrement vivre un retour heureux à son quotidien.

Les séances supplémentaires ou précoces de chimiothérapie qui s’accompagnent d’un test positif peuvent également présenter des risques. « Ce n’est pas rien de prescrire à un patient asymptomatique une thérapie potentiellement toxique », explique Anne Knisely, chercheuse en oncologie gynécologique au sein du Centre Anderson de recherches contre le cancer du l’université de médecine du Texas.

L’étude en cours que mène la chercheuse sur les tests personnalisés ctDNA chez les femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire a confirmé que les résultats positifs prédisaient un mauvais pronostic, rapportait-elle au cours d’une réunion de la Société d’oncologie gynécologique en 2024. Anne Knisely espère que les traitements individualisés basés sur les résultats de ces tests améliorent enfin le taux de survie effroyable d’un cancer de l’ovaire ou épargnent a minima les patients de subir une chimiothérapie envahissante qui n’aurait aucun effet. Ces deux questions restent entières.

« Nous devons faire la différence entre les données et les connaissances utiles », déclare Gilbert Welch. « Avant de dépenser des millions, voire des milliards, de dollars pour vérifier l’activité ctDNA, il nous faut savoir si cela aide vraiment les patients à vivre mieux et plus longtemps. »