Ce que l’archéologie révèle de la crucifixion de Jésus

Juin 19, 2025 - 09:50
Ce que l’archéologie révèle de la crucifixion de Jésus

Mythes et légendes font la trame de l’Histoire. Et l’histoire la plus connue de toutes est sans conteste celle de la mort et de la résurrection de Jésus Christ. Un artisan de bas étage de Galilée qui défia les autorités de son temps pour finalement connaître une mort aussi brutale qu’horrible. Mais la Bible nous dit que, quelques jours plus tard, il revint d’entre les morts. Cette histoire inspire des milliards de Chrétiens à travers le monde, mais qu’en est-il des preuves concrètes que cet événement a vraiment eu lieu ?

D’un point de vue historique, l’histoire de Pâques est bien attestée. Et la crucifixion est l’un des éléments parmi les mieux documentés de la vie de Jésus. Il en est fait mention dans les lettres de l’apôtre Paul, les premiers textes à être écrits par les fidèles de Jésus entre 50 et 65 après sa mort. La crucifixion est également mentionnée avec force détails dans quatre évangiles canoniques. Même certains écrivains non-chrétiens du 2e siècle y font référence. Les premiers Chrétiens n’aimaient pas représenter Jésus sur la croix. Cependant, une représentation du 2e siècle apr. J.-C., moquant un Romain vénérant un homme à tête d’âne crucifié, pourrait bien être une des premières représentations de Jésus, toute satirique qu’elle soit.

Mais les détails de l’histoire de Pâques sont plus sujets à la controverse, surtout alors que les générations suivantes de Chrétiens commencèrent à extrapoler toujours plus de détails impossibles et étoffaient la légende.

 

RETRACER LES PAS DE JÉSUS

Depuis des siècles, les pèlerins chrétiens retracent le chemin emprunté par Jésus le long de la Via Dolorosa, le « chemin de la souffrance », une route de 600 mètres que Jésus aurait suivie pour se rendre de son lieu de condamnation à son lieu de mort. Cependant, si Jésus s'est rendu à Golgotha d’une manière ou d’une autre, les pèlerins modernes ne suivent pas exactement ses traces.

Dans la Bible, Jésus reçut sa sentence de mort dans un « praetorium », mot latin désignant la tente d’un général dans un camp militaire. Les historiens modernes pensent que le palais d’Hérode était le lieu le plus probable où se dressait ce praetorium. Ce serait ainsi le point de départ de la marche de Jésus. En 2001, les murs d’enceinte de ce palais ont été mis au jour près du musée de la tour de David, à Jérusalem. Mais c’est dans une partie complètement différente de la ville que commence le pèlerinage de la Via Dolorossa.

Du palais et du praetorium de Ponce Pilate, Jésus se serait rendu à Golgotha, le « lieu du crâne », pour s’y faire crucifier. S’il était alors en mesure de marcher, alors il est également probable que Jésus, à l’instar des autres criminels, ait été forcé à porter lui-même la poutre de sa croix jusqu’à son lieu d’exécution. Contrairement à ce que montre l’art médiéval, il n’a pas porté sa croix entière sur son dos. Une croix aurait pesé plus de 130 kilos tandis que la poutre seule en pesait entre 35 et 40. Lorsque les auteurs romains se référaient à des personnes portant des croix, comme le dramaturge Plaute le fait dans sa comédie Carbonaria, ils employaient spécifiquement le terme patibulum ou poutre.

 

LE SITE DE LA CRUCIFIXION

Le dernier arrêt de la Via Dolorosa est l’Église du Saint-Sépulcre, dans la vieille ville de Jérusalem, bâtie sur le lieu traditionnel de la crucifixion. La plupart des victimes de ce supplice étaient attachées à leur croix par des cordes plutôt que par des clous, un détail qui sème le doute parmi les experts du domaine quant à la précision de l’histoire que conte les évangiles. Mais en 1968, l’archéologue Vassilos Tzageris mit au jour certains tombeaux dans la partie nord-est de Jérusalem. Il y découvrit les restes d’un homme crucifié datant du premier siècle. L’homme avait encore un clou enfoncé au niveau de la cheville. Un deuxième exemple, venant cette fois des alentours de Venise, publié en 2019, apporta la seule autre preuve archéologique d’une pratique de crucifixion. Bien que de multiples archives écrites traitant de la crucifixion existent, notamment sur les exécutions de masse des fidèles de Spartacus en 71 av. J.-C., il s’agit des deux seules preuves archéologiques de la pratique. Les clous sont donc inhabituels mais pas hors du commun.

Les Chrétiens pensent également que l’église du Saint-Sépulcre abriterait la tombe du Christ. C’est une idée qui vient de la Bible. Jésus aurait été enterré près du lieu de sa crucifixion. L’évangile de Jean affirme qu’il poussait un jardin « dans le lieu où Jésus avait été crucifié » (Jean 19:41). Il aurait ainsi été enterré près des lieux de son supplice par la proximité de ce jardin. En visitant l’église du Saint-Sépulcre, on peut y voir les lieux spécifiquement associés à la crucifixion, là où Jésus fut étendu et préparé à son inhumation et sa tombe abritée par l’édicule, un sanctuaire. Cette église est sacrée pour tous les Chrétiens de l’Église catholique romaine, les Grecs orthodoxes, les Chrétiens arméniens, coptes, syriaques et éthiopiens.

Cependant, la désignation de l’église du Saint-Sépulcre comme étant le lieu d’exécution de Jésus était moins certaine aux yeux des archéologues bibliques protestants du 19e siècle. L’église fut érigée au 4e siècle par l’empereur Constantin, soit trois cents ans après la crucifixion de Jésus. Le point décisif de cette authentification revient à se demander si le lieu d’érection de l’église se trouvait dans la ville du vivant du Christ. Les anciens Grecs, Romains et Juifs jugeaient les cadavres impropres et enterraient leurs morts en dehors de l’enceinte de leurs cités. Il est ainsi inconcevable que Jésus ait trouvé la mort entre les murs de la ville. Si l’église se trouvait hors de Jérusalem en son temps, elle se retrouva avalée par la métropole au cours de son expansion dans les siècles qui suivirent.

Charles Gordon, héros de guerre et archéologue biblique, était convaincu que Golgotha devait faire référence à un autre lieu, et identifia une colline, à plus d’un kilomètre du Saint-Sépulcre, comme étant le site de la crucifixion. Un tombeau proche, le tombeau du jardin, fut ainsi considéré comme étant celui de Jésus. À ce jour, des milliers de Chrétiens évangéliques y célèbrent Pâques.

Il est cependant impossible que le tombeau du jardin soit la tombe de Jésus. Les évangiles suggèrent que son corps fut placé dans un tombeau nouvellement construit pour Joseph d’Arimathie (Matthieu 27:47-60). L’archéologue Gabriel Barkay a montré en 1986 que le tombeau du jardin datait de l’âge de Fer, précédant la crucifixion par des centaines d’années. Ainsi que le dit Andrew Henry, théologiste et éducateur public, aucun érudit moderne ne considère le tombeau du jardin comme étant le lieu de crucifixion et de repos de Jésus.

 

ENTERRÉ AVANT LE COUCHER DU SOLEIL

Pour ceux qui sont d’avis que la position de l’église du Saint-Sépulcre relève plutôt du sens pratique que de la précision, l’alternative la plus probable au site de la crucifixion est la carrière située près de la porte de Gennath, que mentionne l’historien antique Flavius Josèphe. Dans un article d’importance, la spécialiste du Nouveau Testament Joan Taylor avançait que Golgotha ne renvoyait pas à un rocher en forme de crâne ou à une colline mais à une carrière située à l’ouest de la cité. Elle suggère que Jésus y fut exécuté, au bord de la route. Elle affirme que ce site correspondrait aux pratiques habituelles de crucifixion des criminels par les Romains, un lieu public. Ainsi, leurs morts pouvaient servir d’avertissement aux passant et aux rebelles potentiels.

Les évangiles disent que, après la mort de Jésus, peu avant le coucher du soleil le Vendredi saint, il fut descendu de la croix et enseveli. Mais tous ne sont pas de cet avis. Les experts du Nouveau Testament John Dominic Crossan et Bart Ehrman ont contesté ce détail et affirmé que Jésus n’avait jamais été enterré. Leur argument prend source dans les pratiques romaines et dans le fait que les Romains refusaient souvent aux criminels une inhumation en bonne et due forme. Au lieu de cela, ils laissaient souvent les corps exposés sur la croix ; c'était un avertissement à l’attention des voyageurs. Lorsque les cadavres étaient retirés des croix, continuent Crossan et Ehrman, ils étaient jetés, sans cérémonie aucune, dans des fossés ou des fosses communes. Leur théorie chamboule les croyances chrétiennes : si Jésus n’a jamais été inhumé, alors les histoires qui découlent de sa mort, son tombeau vide et sa résurrection, relèvent de la fiction.

Bien que les arguments de Crossan et Ehrman soient convaincants, et que certains criminels étaient effectivement laissés sur les croix alors que leurs corps se putréfiaient, la situation aurait pu être différente dans la Jérusalem du 1er siècle. Flavius Josèphe écrit que les Juifs étaient si précautionneux des rites funéraires que « même les malfaisants ayant été condamnés à la crucifixion sont descendus et enterrés avant la couche du soleil ». Dans le cas de Jésus, exécuté au début de Pessa’h, Ponce Pilate aurait très bien pu vouloir s’attirer les bonnes grâces du peuple en retirant les corps avant le coucher du soleil.

 

À LA RECHERCHE DE LA TOMBE PERDUE

Si l’on part du principe que Jésus a bel et bien été enterré, où l'a-t-il été ? Les évangiles racontent qu’un fidèle de Jésus, Joseph d’Arimathie, aurait réclamé le corps à Ponce Pilate pour l’y enterrer dans son tombeau familial qui venait d'être terminé. Bien que l’on ne puisse affirmer la véracité des faits, Jodi Magness, archéologue et historienne renommée, conclut que cette version de l’histoire « s’accorde bien avec les preuves archéologiques et la loi juive ». La tradition maintient que la tombe de Jésus se trouve près de Golgotha. La plupart des spécialistes s’accordent à dire que l’église du Saint-Sépulcre avance des arguments convaincants pour être le lieu de son exécution et de son inhumation.

Cela nous amène à la question la plus importante : quelles sont les preuves de sa résurrection ? Selon la Bible, Jésus a ressuscité trois jours après sa mort et son inhumation. Les évangiles disent tous que sa tombe était vide, et comptent des histoires d’apparitions surnaturelles d’anges (Marc 16:5) et de Jésus ressuscité lui-même (Jean 20:14). En tant que légende, l’histoire est moins incroyable au 1er siècle qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les histoires de dieux mourants et revenant d’entre les morts, comme Osiris, Dionysos et Mithra, étaient monnaie courante dans l’Antiquité, et la plupart des habitants du monde ancien pensaient que les morts restaient en contact avec les vivants après leur trépas. Comme Meghan Henning, professeure spécialisée du Nouveau Testament et des origines de la chrétienté de l’université de Dayton, l’a confié à National Geographic : « Aujourd’hui, on s’inquièterait pour une personne annonçant qu’elle a parlé à sa grand-mère décédée, quand dans l'Antiquité, on aurait simplement répondu “Oh, vraiment ? Et qu’a-t-elle dit ?” »

Mais l’Histoire ne peut nous aider à savoir ce qu’il s’est vraiment passé. Lorsque des archéologues ont brièvement ouvert la tombe de Jésus dans l’édicule de l’église du Saint-Sépulcre en 2016, ils n’ont trouvé qu’un tombeau vide, comme d’aucuns pouvaient s’y attendre. Nul besoin d’être particulièrement cynique pour se douter que les Chrétiens du 4e siècle choisiraient un tombeau vide comme leur site de pèlerinage, même sans questionner la véracité des faits. Certains critiques anciens de la chrétienté ont postulé que le corps du Christ aurait été dérobé. D’autres ont spéculé que les disciples de Jésus, et particulièrement Marie Madeleine, la première à avoir vu le Christ ressuscité, étaient des hystériques. Un érudit moderne a plus gentiment déclaré que les disciples souffraient des genres de visions ou d’hallucinations que l’on pourrait avoir à la mort d’un être cher. Tout ce que l’on peut affirmer avec certitude, c’est que les Chrétiens ont cru à la résurrection, depuis le tout début.