Faith Kipyegon sera-t-elle la première femme à courir le mile en moins de quatre minutes ?

Juin 26, 2025 - 11:40
Faith Kipyegon sera-t-elle la première femme à courir le mile en moins de quatre minutes ?

7,65 secondes.

C’est le temps que la Kenyane Faith Kipyegon doit ôter à son record du monde pour devenir la première femme à courir le mile, soit 1,6 kilomètre, en moins de quatre minutes.

La coureuse, trois fois médaillée d’or aux jeux Olympiques, a passé des mois à s’entraîner pour une démonstration qui a lieu le 26 juin à Paris pour tenter de passer la barrière mythique du mile en moins de quatre minutes. Une tentative, dit-elle, d’« immortaliser son héritage ».

Cet événement, le Breaking4, est organisé par Nike, le sponsor de Faith Kipyegon. Afin de l’aider à marquer l’histoire, tous, des physiologues aux concepteurs de chaussures, se sont alliés pour trouver des moyens d’ôter tous les centièmes de seconde qu’ils pouvaient. Certaines de ces idées rendent la course inéligible aux records du monde officiels.

C’est une tâche ardue. Un mile, c’est assez court pour que les petites victoires n’aient pas le temps de s’accumuler comme elles le font, par exemple, lors d’un marathon. Mais en même temps, cette courte distance signifie que « tous les bugs sont magnifiés », explique Brett Kirby, chercheur en performance chez Nike.

Je me suis récemment rendu au Centre d’innovation LeBron James de Nike à Beaverton, dans l’Oregon, afin de découvrir où ils ont tenté de trouver ces secondes évasives.

 

LE LIEU

La démonstration a lieu jeudi à Paris, au stade Sébastien Charléty à 20 h, heure locale. Après avoir minutieusement analysé les données géographiques des lieux autour du monde, les organisateurs se sont décidés pour le stade de 20 000 personnes pour plusieurs raisons.

La capitale française n’a qu’une heure de différence avec le Kenya, où Faith Kipyegon habite et s’entraîne, et demande donc moins d’ajustements de la part de la coureuse de trente-et-un ans. L’élévation de la ville est également un avantage. Paris ne se trouve qu’à 35 mètres au-dessus du niveau de la mer. Faith Kipyegon s’entraîne à Kaptagat, à environ 2 440 mètres d’altitude, où la pression atmosphérique est plus faible et ne permet pas au sang de transporter autant d’oxygène qu'en altitude plus basse. À de telles altitudes, le corps humain produit donc plus de globules rouges, ce qui lui permet de transporter plus d’oxygène à chaque battement de cœur, explique Rodger Kram, professeur émérite de la faculté de physiologie intégrative de l’université du Colorado à Boulder. En conséquence, le professeur ajoute : « Lorsque l’on se rend au niveau de la mer, on a comme une bouteille d’oxygène en plus. Le corps délivre plus d’oxygène aux muscles. »

La date de l’événement était également un facteur important. Selon les données historiques, on s’attendait à ce qu’il fasse autour de 20°C le soir de la course, avec un taux d’humidité relative de 50 % et une couverture nuageuse de 60 %, ont expliqué les chercheurs de Nike. Les températures sont un peu plus élevées que ce qu’il était prévu, et de la pluie a été annoncée.

Au cours d’une course aussi courte, « la température et l’humidité ne sont pas vraiment importantes, tant qu’elles restent raisonnables », nuance Rodger Kram. Le choix météo le plus important, ajoute-t-il, est de courir un jour calme, à un moment calme de la journée. C’est probablement pour cela que la course aura lieu en soirée, avant le coucher du soleil, au moment où la brise diurne diminue.

Le stade Sébastien Charléty, dans le treizième arrondissement de Paris, est équipé d’une piste dernier cri, installée en 2019, qui fournit aux coureurs une absorption des chocs et un retour d’énergie. Mais le réel avantage de Faith Kipyegon sur la piste ovale viendra du système de cadence Wavelight. Une fois qu’elle commencera à courir, 400 lumières automatisées insérées à l’intérieur du virage de la piste donneront la cadence que la Kenyane devra respecter, un peu à la façon dont un lièvre mécanique est utilisé pour guider les lévriers autour d’une piste pour les courses de lévriers. Les lumières sont un moyen efficace d’aider les coureurs, selon Rodger Kram. « On n’a pas besoin de penser à sa cadence, à son effort, “Est-ce que je vais trop vite ? Est-que je dois accélérer ?” »

Ce qui est une aubaine, parce qu’avoir la bonne cadence est crucial. Une étude réalisée en 2014 a suggéré que la meilleure stratégie pour les coureurs souhaitant battre un record du mile est de courir les quatre tours de piste nécessaires à la même cadence, ce qui est contraire à ce que font beaucoup des « milers ». La structure de cadence traditionnelle pour les quatre tours a souvent été rapide, lent, très lent, rapide.

Les endroits dans le monde jouissant d'une température agréable en juin, sont au niveau de la mer et sont équipés de pistes de course dernier cri. Mais il y avait un facteur final, difficile à quantifier, qui a fait pencher la balance en faveur du stade Sébastien Charléty. Faith Kipyegon associe la piste avec de bons souvenirs : c’est là qu’elle a battu le record du 1 500 mètres en juillet dernier.

 

LES MENEURS D’ALLURE

Tandis que Wavelight montrera à Faith Kipyegon à quelle vitesse elle devra courir, il est également attendu qu’elle soit entourée par des coureurs que l’on appelle « meneurs d’allure ».

Leur principale tâche est de la protéger du vent alors qu’elle courra à environ 24 km/h. L’aspiration réduit la traînée aérodynamique, permettant à un athlète de courir plus vite sans dépenser plus d’énergie. Sans les meneurs d’allure, montrent les études, la résistance de l’air à laquelle est confronté un athlète qui court à une cadence de 4 minutes au mile, soit environ 2 minutes 29 secondes au kilomètre, peut les pousser à voir leur consommation d’oxygène augmenter de 5 à 10 %.

Avant l’avènement des jolies lumières qui brillent sur une piste, les meneurs d’allure donnaient également la cadence à respecter aux coureurs. Et ce travail, ils le feront tout de même pour Faith Kipyego, ce qui lui permettra de se concentrer encore moins sur la stratégie et de s’adonner pleinement à l’acte de la course. Le troisième tour est qualifié de la minute la plus solitaire de tous les sports, lorsque les poumons hurlent au corps de s’arrêter et que la ligne d’arrivée n’est nullement en vue. La présence d’un autre coureur devant soi, qui nous tire le long de la piste, peut aider à se sentir moins seul face à cette agonie.

Au cours d’une étude publiée l’hiver dernier dans la revue scientifique Royal Society Open Science, Rodger Kram et d’autres ont avancé qu’il était possible à Faith Kipyegon de courir un mile en 3:59,37 si elle exploitait l’aspiration fournie par un meneur d’allure placé à exactement 1,22 mètre devant elle. Les meneurs placés derrière elle poussent l’air dans son dos ce qui la propulse toujours un peu plus en avant un phénomène que l’on observe au cours des courses de stock-cars. Lors de sa démonstration, les meneurs d’allure de Faith Kipyegon pourraient se relayer, comme ç'a été le cas pour Kenyan Eliud Kipchoge lorsqu’il est devenu la première personne à courir un marathon en moins de deux heures en 2019, ou bien elle pourrait garder le même groupe tout au long de la course. Nike n’a pas partagé d’informations sur les meneurs d’allure qui accompagneront la Kenyane, ni la stratégie qu’ils suivront.

 

DES CHAUSSURES POUR L’OCCASION

La coureuse portera des pointes d’athlétisme ultralégères que Nike a conçues spécialement pour cette tentative de record. Chaque chaussure pèse environ 85 grammes, 25 % plus légère que celles qu’elle portait lorsqu’elle a battu le record du mile en 2023. À titre de comparaison, un jeu de cartes pèse 100 grammes. Le haut des chaussures est aussi léger que trois trombones et est tissé à partir d’une laine brevetée qui n’a jamais été utilisée dans une chaussure jusqu’alors. Le résultat est un tissu si fin que l’on peut voir ses doigts au travers.

Le poids de la chaussure, ou plutôt son absence de poids, compte. La marche à suivre, ou « la course à suivre » comme Rodger Kram aime à le dire, est que, pour chaque centaine de grammes que l’on retire au poids d’une chaussure, le coût en énergie du coureur diminue d’un pour cent. Et chaque diminution d’un pour cent en coût d’énergie se traduit par une augmentation de la vitesse de 2 ou 3 %, explique Rodger Kram, qui a étudié cette relation. Pour Faith Kipyegon, une chaussure qui est presque 30 grammes plus légère que sa précédente paire pourrait raisonnablement la rendre 0,3 % plus rapide, ce qui lui économiserait 0,7 seconde, selon les estimations du professeur émérite.

En effet, une étude réalisée plus tôt cette année a révélé que les coureurs de demi-fond et d’endurance portant des « super-pointes » un peu comme celles de Faith Kipyegon, couraient 1 % à 2 % plus vite que lorsqu’ils portaient des pointes traditionnelles. Ces petites avancées ne semblent pas être significatives, mais la Kenyane cherche à réduire son chrono record de 7,65 secondes, et rien que des chaussures plus légères lui font parcourir un dixième de ce chemin. Encore plus utile que l’économie de poids, suspecte Rodger Kram, est une unité Air Zoom dont Nike a agrémenté l’avant-pied de la chaussure, un peu comme un airbag hyper-rebondissant. Cela va booster le retour en énergie pour Faith Kipyengon, l’unité est plus grande de trois millimètres que sur son ancienne paire de chaussures de course. Nike n’a pas souhaité communiquer quel sera le boost en retour d’énergie.

 

DES HABITS QUI NE SONT PAS À LA TRAÎNE

Au cours de la course, Faith Kipyengon portera une tenue conçue par Nike, une paire de leggings et des manchons équipées de milliers d’« aéronodes », de petites bosses, placées à des endroits stratégiques. Les bosses sont conçues pour faciliter la pénétration dans l’air et éviter le « bruit » qui peut subtilement ralentir un coureur, explique Lisa Gibson, qui travaille au département des innovations vestimentaires chez Nike. Sous sa tenue, la Kenyane portera une brassière imprimée en 3D que l’entreprise a conçu, fait à partir de thermoplastique ultraléger.

Rodger Kram, dans son cours de biomécanique, parle de deux forces de résistance qui peuvent ralentir un coureur. La première est la traînée, qui est comme la vague que l’on ressent quand une voiture passe rapidement à côté de nous, dit-il, et elle représente 90 % de la résistance que ressent un coureur. « Réduire la traînée sera le travail qu’accompliront les meneurs d’allure », explique Rodger Kram.

La tenue, elle, réduit la force de frottement, ou de friction, entre l’objet et le fluide a travers lequel il se déplace. Contrebalancer les forces de frottement n’est cependant important que si l’on se déplace à de très hautes vitesses, comme un athlète de bobsleigh qui file le long d’une piste glacée, ou si l’on se déplace à travers un fluide qui produit beaucoup de frottements, comme un nageur dans une piscine, explique le professeur. On se rappelle d’ailleurs les maillots de bain LZR de Speedo qui réduisaient tellement les frottements qu’ils ont été interdits. Nike s’amuse avec des tenues réduisant les frottements depuis plus d’une dizaine d’années et Kipchoge portait un débardeur à bosses lors de sa course record en 2019.

Les porte-parole de la marque n’ont pas souhaité s’exprimer sur la contribution que les chaussures et le vêtement apporteront à la tentative de record de la coureuse. Rodger Kram est sceptique, il ne sait pas si cela apporte grand’chose mais, dit-il, si on tente de faire tout ce que l’on peut pour s’aider, « on se doit de tout essayer ».

 

DES BOOSTS DE PERFORMANCE LÉGAUX

Il existe quelques substances qui sont approuvées pour la compétition par l’Agence mondiale anti-dopage, que Faith Kipyegon pourra ingérer avant sa course pour gratter encore quelques millisecondes. La caféine, le jus de betterave et le bicarbonate de soude ont tous amélioré les performances des athlètes. Faith Kipyegon et son équipe n’ont pas souhaité dévoiler quelles substances elle pourrait consommer, si elle en consommait.

 

Y ARRIVERA-T-ELLE ?

Ces avancées et ces astuces seront-elles suffisantes pour porter Faith Kipyengon jusqu’à la ligne d’arrivée en moins de 4 minutes ?

Dans un livre blanc qui paraissait en avril dans le Journal of Applied Physiology, Brett Kirby et d’autres chercheurs ont écrit : « À notre connaissance, il n’y a aucune femme athlète qui présente le ratio de paramètre d’endurance ou d’autres caractéristiques physiologiques requises pour courir le mile en moins de quatre minutes. » Les auteurs ont toutefois laissé la porte ouverte à la possibilité que les aides anonymes, comme la cadence Wavelight, les chaussures et le bicarbonate de soude, pourraient compenser la différence de presque huit secondes.

Rodger est plus optimiste. « Je pense que si elle court dans la poche aérodynamique, qu’importe d’où elle vient, elle aura une bonne chance de relever ce défi », dit-il. « Par le passé, elle n’a pas profité pleinement de la traînée aérodynamique. Alors j’espère qu’elle s’y est convertie, qu’elle s'est améliorée et qu’elle saura s’y glisser pour parvenir [à battre le record]. »

Il ajoute : « Je pense qu’elle sera tout proche, voire qu’elle le battra. »