Comment apprendre à nos enfants à reconnaître les fausses informations ?

Juin 22, 2025 - 08:50
Comment apprendre à nos enfants à reconnaître les fausses informations ?

À la fin de l’été, Zusha, sept ans, revient du centre aéré apeuré par une histoire effrayante qu’on lui a racontée. Il aurait dit à sa mère, Yael Shy : « Mon ami George m’a parlé d’un milkshake que l’on boit, puis quelqu’un arrive et te tue. Il y a des vidéos de ça ! C’est vrai et les animateurs le savent aussi ! »

Yael Shy a dû mener quelques recherches sur Internet pour découvrir que l’histoire de Zusha provenait d’une tendance sur TikTok. Des personnes se filmaient alors qu’elles buvaient les milkshakes Grimace de McDonald avant de prétendre se faire tuer, le liquide violet criard servant de « sang » à leur mise en scène. C’était bon enfant, mais pas pour Zusha. Il en pleurait d’angoisse et ne parvenait pas à dormir.

Avec un enfant terrifié sur les bras, Yael Shy s’est tournée vers Internet. « J’ai recherché “Est-ce que les Grimace Murders sont réels ?” se souvient-elle. « Et heureusement, le premier résultat disait qu’ils ne l’étaient pas, qu’il s’agissait d’une arnaque. Et je lui ai montré. » L’enfant a compris et s’est calmé.

Mais c’était une dure leçon de réaliser que son fils pouvait être exposé à des rumeurs en ligne par ses amis, même si elle ne le laissait jamais se rendre sur Internet sans surveillance à la maison.

Savoir faire la différence entre les faits et la fiction est une compétence cruciale. Dans cette ère des hallucinations de l’IA, des arnaques, des publicités mensongères et d’une confiance qui n’a jamais été aussi vacillante envers la science et les autres institutions, il est d’une importance capitale d’enseigner à ses enfants à vérifier les informations, identifier des sources fiables et penser par eux-mêmes.

La bonne nouvelle, c’est que beaucoup de chercheurs mettent en place de nouvelles interventions pour aider les parents à encourager l’esprit critique chez les enfants à partir de trois ans, jusqu’à l’adolescence.

 

LES PARENTS DOIVENT TOUJOURS ÊTRE OUVERTS À TOUTES LES QUESTIONS

Selon Laurence Steinberg, psychologue de l’université Temple, qui se spécialise dans le développement des adolescents, les enfants commencent à développer des compétences d’esprit critique autour de l’âge de trois ans, juste au moment où ils commencent à demander « pourquoi ».

« Je pense que les parents sont frustrés d’avoir toujours à expliquer les choses», dit-il. « Mais il est important qu’ils prennent le temps, quand ils le peuvent, de répondre à leurs enfants, parce qu’on ne veut pas qu’ils puissent croire que poser des questions est une mauvaise chose. »

Cela s’applique aux questions les plus banales comme « pourquoi est-ce que le ciel est bleu ? » mais il est encore plus important de répondre à leurs questionnements sur les règles ou leurs limites, explique Laurence Steinberg.

Les parents autoritaires, qui sont excessivement fermes sans être très chaleureux, ont tendance à avoir des enfants qui sont plus angoissés, déprimés et dépendants. Laurence Steinberg pense que ce mode d’éducation peut également miner l’esprit critique. « Quand un parent dit à son enfant “Ne t’avise pas de me répondre” ou “Fais-le parce que je te le dis”, “Tu n’es pas assez vieux pour comprendre”, cela décourage l’enfant de poser des questions et de remettre en cause les choses qui n’ont pas de sens à ses yeux. »

Au lieu de cela, dit-il, les parents devraient plutôt montrer ce qu’est l’esprit critique et entretenir le lien qu’ils ont avec leurs enfants en écoutant et trouvant des opportunités de dire « Tu as raison, je n’avais jamais vu cela comme ça ! »

En tant que parents, nous ne détenons pas toujours les réponses. Ou nous sommes susceptibles d’entendre une question dont la réponse est embarrassante sur un sujet tabou comme le sexe ou les drogues. Dans ces moments, les experts disent qu’il est d’autant plus important de ne pas contourner la question et de ne pas fermer la conversation.

« Ce sont sur des sujets sur lesquels [un enfant] n’a pas vraiment de connaissance préexistante que la désinformation est la plus efficace », explique Lisa Fazio. Elle fait partie du département de psychologie de l’université Vanderbilt, où elle effectue des recherches sur les moteurs psychologiques de la croyance en la désinformation.

La solution, selon la chercheuse : « Combler les lacunes. » Répondre aux demandes piégeuses d’une manière qui convient à leur âge, avec des informations qu’ils peuvent comprendre. Ne répondre qu’à la question qu’ils posent et garder la réponse simple.

Par exemple, grâce à la une d’un journal, mon enfant de huit ans m’a récemment demandé au petit-déjeuner : « C’est quoi un avortement ? »

J’ai répondu : « C’est quand une personne veut mettre un terme à sa grossesse. Il y a une opération pour faire ça. » Cela a satisfait sa curiosité pendant un moment, tout en laissant la porte ouverte pour des conversations futures.

Si les mots vous manquent, orientez vos enfants vers des sources réputées que vous pouvez consulter ensemble. Le site Amaze.org met à disposition des vidéos sur la puberté et sur l’éducation sexuelle, adaptées aux enfants. Et certains livres adaptés aux enfants traitent de sujets tels que la drogue et ses effets, comme les Max et Lili.

 

SCROLLEZ AVEC VOS ENFANTS

Lisa Fazio explique qu’il existe une idée reçue : parce que les jeunes sont « nés avec le numérique », ils en deviennent automatiquement bons pour départager le vrai du faux de ce qu’ils voient en ligne. Ce n’est pas vrai, dit-elle.

« Une chose qui pourrait être utile, ce serait de vous asseoir avec votre enfant et de regarder ce qu’ils font sur Internet », explique la chercheuse. Ensuite, poussez par la question vos enfants à aborder de manière critique les sources sur lesquelles ils tombent.

« Parlez des personnes que vous voyez », continue Lisa Fazio. « Quelles motivations les animent ? Est-ce qu’ils essayent de vendre quelque chose ? Est-ce qu’ils essayent de vous faire rire ? Pourquoi postent-ils ce que l’on voit ? »

Ces questions forceront les enfants à ralentir et à s’engager activement avec les informations au lieu de les absorber passivement.        

 

POUR LES PLUS VIEUX : ESSAYEZ DES COURS APPUYÉS PAR LA RECHERCHE OU MÊME UN JEU

Lorsque les enfants vieillissent et gagnent en indépendance, ils peuvent apprendre à vérifier eux-mêmes les informations, sans avoir besoin de demander à leurs parents chaque fois qu’ils tombent sur une information étrange ou qui éveille les soupçons.

Mike Caufield étudie la diffusion des rumeurs et de la désinformation en ligne à l’université de Washington. Au cours de son travail, il a développé ce qu’il appelle la méthode SITR pour améliorer les stratégies de vérification des faits chez les étudiants dès le CM2.

SITR est un acronyme : S comme Stop, I comme Investiguer la source, T comme Trouver un meilleur angle d’approche et R comme Retracer les affirmations jusqu’au contexte original.

Mais comment savoir quand s’arrêter pour vérifier une information ? Mike Caufield explique aux étudiants de s’arrêter quand ils entendent, voient ou lisent une information qui leur fait ressentir un sentiment fort. « Si quelque chose vous met en colère, si cela vous semble surprenant ou choquant, ou alors si vous voyez quelque chose qui vous fait vous sentir en confiance », explique le chercheur. « Ce sont ces choses-là qu’il faut vérifier. »

Enseigner les bases d’une méthode scientifique est une autre stratégie prouvée par des recherches pour aider les étudiants à penser de manière critique. Heather Munthe-Kaas est chercheuse à l’Institut de santé publique de Norvège. Son équipe a développé « Be Smart About Your Health » (Soyez malins à propos de votre santé), des cours conçus pour pousser les étudiants à penser de manière critique à leurs besoins de santé.

Ces leçons enseignent aux enfants à explicitement disséquer les preuves et à les garder en tête quand on écoute une personne parler. Par exemple, on demande aux étudiants de juger la valeur d’une anecdote, telle que « Mon ami a mangé des oranges et a guéri de la grippe » ou « Ma grand-mère dit que c’est la tradition de prendre un bain de vapeur quand on a un rhume ».

On apprend aux étudiants que si une déclaration est uniquement basée sur une expérience personnelle « alors elle n’est pas vraiment digne de confiance », explique Heather Munthe-Kaas.

Dès dix ou onze ans, les enfants peuvent apprendre à évaluer des preuves de la même manière que les scientifiques. Ils sont en mesure de comprendre qu’une déclaration ayant trait à la santé doit être appuyée par des preuves expérimentales, une bonne comparaison entre deux groupes de taille décente, où la seule différence est faite par l’intervention que l’on regarde.

John Cook, de l’université Monash en Australie, est un expert sur la désinformation climatique et comment la contrer. Il a créé le jeu en ligne « Cranky Uncle » qui aide les étudiants à repérer les techniques de désinformation les plus fréquentes. Vous pouvez le télécharger et y jouer gratuitement avec vos enfants.

Dans le jeu, les enfants apprennent à repérer les stratégies mises en place par le personnage chauve et moustachu de « Cranky Uncle », l’oncle grincheux, pour nier la science. Ces tactiques incluent de faux experts, des erreurs logiques, des attentes impossibles, le fait de compliquer les concepts inutilement, et des théories du complot. Par exemple, l’oncle cite l’opinion d’un ingénieur informatique sur les vaccins, pour illustrer l’usage d’un faux expert : même s’il est un scientifique, il ne se spécialise pas sur les affaires de santé.

John Cook explique que son approche logique peut être facilement généralisée pour repérer la désinformation dans différents domaines, ce qui peut donner confiance aux enfants. « Personne n’aime qu’on lui mente », dit-il. Cela peut motiver les enfants à prendre un moment pour « ne pas écouter leur intuition » et analyser une déclaration de manière critique.

 

COMPRENDRE LES MOTEURS ÉMOTIONNELS DERRIÈRE LA CROYANCE DE LA DÉSINFORMATION

Les recherches menées par Lisa Fazio montrent que les personnes ont tendance à croire les théories du complot parce qu’elles veulent satisfaire leur besoin d’appartenance et de certitude dans un monde effrayant et déroutant.

Lorsque nous sommes confrontés à des catastrophes météorologiques destructrices ou des massacres, il peut être déroutant, isolant et difficile de trouver une branche à laquelle se raccrocher. Les experts réputés sont incapables de dire quand le prochain incendie ou la prochaine inondation aura lieu, mais les théories du complot, elles, convainquent les personnes que ce qui se passe est un complot ou une arnaque.

Lisa Fazio émet l’hypothèse que l’adolescence peut être un terrain miné car c’est une période où l’on a besoin d’être accepté. « Beaucoup de ces communautés de conspirateurs en ligne peuvent être très soudées », dit-elle. « Elles vous font vous sentir supérieur. Vous savez quelque chose que les autres ignorent. Vous faites partie de ce groupe secret de personnes qui comprennent le monde comme vous. »

Son équipe a commencé une étude sur les adolescents, mesurant des facteurs comme leur besoin d’appartenir à un groupe, leur anxiété, leur dépression, leur tolérance à l’incertitude et comment tout cela est lié à leur niveau de crédulité des théories du complot. S’ils peuvent établir une corrélation, cela les aidera à développer des interventions qui peuvent cibler les raisons émotionnelles des jeunes à tomber dans cette pensée conspirationniste, et pas uniquement à cibler les lacunes cognitives.

En attendant, les parents peuvent faire beaucoup pour aider les enfants à ressentir un sentiment d’appartenance au sein de leur famille, insiste Lisa Fazio. Et nous pouvons encourager la socialisation en ligne avec des groupes sains et sûrs de pairs, ce qui pourrait diminuer les risques de tomber dans les pièges des théoriciens du complot.