À la découverte des 3 000 mosquées d’Istanbul

Juillet 4, 2025 - 15:50
À la découverte des 3 000 mosquées d’Istanbul

Des histoires de dévouement, d’art et de fierté reposent entre les murs des mosquées d’Istanbul. On compte plus de 3 000 de ces lieux de culte dans la plus grande ville de Turquie, qu’il s’agisse de grands édifices érigés sur de vastes terrains ou de modestes bâtiments en bois situés aux abords des rues de la ville.

À l’origine, certaines d’entre elles ont été construites au 4e siècle en tant qu’églises byzantines, et de nouvelles mosquées continuent d’être érigées régulièrement. Qu’elles soient contemporaines ou anciennes, les mosquées d’Istanbul sont incroyablement variées : certaines sont dotées de dômes flamboyants et arborent de nombreux carreaux à motifs et de la calligraphie, tandis que d’autres sont plus épurées, minimales et modernes.

Les mosquées de la ville favorisent le développement de leurs communautés, exposent des œuvres d’art et d’ingénierie, et nombre d’entre elles honorent la longue tradition qui consiste à accueillir des personnes extérieures afin qu’elles soient témoins des pratiques des fidèles de l’islam. Cet article s’appuie sur une conversation avec Ünver Rüstem, historien de l’art et de l’architecture islamiques, qui a beaucoup écrit au sujet des mosquées d’Istanbul.

 

LE TEMPS DES EMPIRES

En entrant dans une mosquée, les voyageurs peuvent être transportés dans le passé et découvrir l’histoire de la montée et de la chute des empires romain, byzantin et ottoman.

Avant l’électricité, de nombreuses mosquées étaient éclairées par des lampes basses dont les flammes vacillantes alimentées au pétrole couvraient les pièces d’une lumière dorée. Les spacieuses salles de prière étaient recouvertes de tapis tissés à la main et qui pouvaient être de différentes couleurs, principalement rouges. Quelle que soit la taille de l’espace, les fidèles priaient épaule contre épaule. En outre, avant l’avènement des désodorisants, c’était l’odeur de l’encens brûlé qui embaumait l’air. Contrairement aux traditions de certains groupes chrétiens, l’encens n’était jamais requis dans le cadre de la liturgie.

Aujourd’hui, les mosquées sont éclairées par le biais d’ampoules électriques et sont souvent dotées d’un tapis bleu clair tissé à la machine. On n’y brûle plus d’encens. Pourtant, les prières des fidèles qui viennent remplir ces salles suivent des rituels établis de longue date.

Les muezzins, qui accomplissent la tradition séculaire de l’appel à la prière, créent l’un des sons que l’on entend le plus dans la ville. Avant chacune des cinq prières quotidiennes, on peut entendre les voix des muezzins se superposer et s’entremêler les unes aux autres.

De nos jours, les appels à la prière (ezan en turc, adhan en arabe) sont diffusés par le biais de haut-parleurs montés sur les minarets, des tours qui peuvent atteindre des centaines de mètres de haut. Autrefois, on n’entendait que ce que la voix du muezzin pouvait porter au vent : ils montaient sur les balcons au sommet des minarets et plaçaient leurs mains autour de leur bouche pour mieux diffuser leurs appels.

Célèbre pour être à cheval entre l’Europe et l’Asie, Istanbul a accueilli différentes cultures et religions puissantes au cours de son histoire. L’empereur romain Constantin Ier a fondé la ville en 330 après J.-C. Baptisée « Constantinople » en son honneur, elle est restée connue sous ce nom jusqu’en 1930, date à laquelle elle a été officiellement rebaptisée Istanbul, son nom turc historique. Lorsque l’Empire romain s’est divisé en 395, la ville est devenue la capitale de l’Empire romain d’Orient (l’Empire byzantin) ainsi qu’un centre de la chrétienté, et ce jusqu’à ce que le sultan ottoman Mehmed II s’empare de la ville en 1453. Les Turcs musulmans de l’Empire ottoman ont alors converti les églises de la ville en mosquées, en plus d’en construire de nouvelles.

Le nom des mosquées leur étaient souvent donnés en référence aux mécènes qui les avaient financées, et la grandiosité des structures devenaient l’expression physique du pouvoir politique ou du statut social des mécènes. Des règles tacites limitaient la majestuosité des mosquées : par exemple, seuls les membres de la famille royale ottomane étaient autorisés à construire plus d’un seul minaret.

Au début du 17e siècle, le sultan Ahmed Ier a provoqué un scandale en enfreignant une autre règle : celle selon laquelle seuls les sultans qui avaient gagné des guerres étaient autorisés à construire des mosquées majestueuses.

Il a proposé de construire une nouvelle mosquée juste en face de la plus célèbre mosquée de la ville, la cathédrale convertie de Sainte-Sophie, mais sans conquête à son actif pour le justifier. Ses conseillers ont tenté de l’en dissuader, mais il a tout de même décidé de la construire. Aujourd’hui, la mosquée du sultan Ahmed, ou « mosquée bleue », est l’un des bâtiments les plus emblématiques du monde, avec un total stupéfiant de six minarets. Quatre siècles plus tard, elle reste l’héritage le plus marquant d’Ahmed.

 

DES MODÈLES D’ART ET D’ARTISANAT

En plus de rassembler les fidèles, les mosquées d’Istanbul permettent de faire découvrir des œuvres magnifiques et des prouesses d’ingénierie à des personnes du monde entier.

Les dômes des plus majestueuses mosquées d’Istanbul pouvaient symboliser les cieux et le royaume de Dieu mais, comme les minarets, leur taille était aussi un moyen d’affirmer un certain pouvoir. Le dôme principal de la mosquée Süleymaniye, construite au milieu du 16e siècle par le sultan Soliman le Magnifique, fait 27 mètres de diamètre et 53 mètres de hauteur, soit plus de 3 mètres de plus que l’Arc de triomphe de Paris.

L’architecte responsable de la conception de la mosquée Süleymaniye est le célèbre Mimar Sinan, qui a servi deux autres sultans après Soliman. Derrière la création de dizaines de mosquées et autres bâtiments d’Istanbul, Sinan est l’une des figures les plus marquantes de l’histoire architecturale de la ville.

Les règles du passé ayant été strictes quant à la manière dont les mécènes pouvaient construire leurs mosquées, les carreaux sont devenus un moyen de contourner les codes de bienséance. Une petite et humble mosquée, qui ne pouvait pas utiliser d’énormes dômes et minarets, pouvait tout de même éblouir les fidèles par le biais d’un artisanat complexe. Un bon exemple est la mosquée du fabricant de chapeaux Takkeci İbrahim Ağa construite à la fin du 16e siècle qui, tout en étant modeste, est remplie de magnifiques carreaux multicolores en provenance d’Iznik.

La ville d’Iznik, à 135 kilomètres au sud-est d’Istanbul, est devenue célèbre au début du 16e siècle pour son industrie du carrelage. Les carreaux de céramique vernissée qui y étaient fabriqués arboraient des motifs botaniques tels que des tulipes, des œillets et des vignes, dont certains étaient influencés par la porcelaine chinoise, particulièrement chérie sur la route de la soie.

Des passages du Coran ornent les bâtiments, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, en écriture calligraphique peinte et sculptée. Il n’était pas nécessaire de savoir les lire pour comprendre leur importance : même les fidèles incapables de déchiffrer l’arabe pouvaient admirer ces inscriptions comme de belles représentations de la parole sacrée de Dieu.

 

UNE COMMUNAUTÉ ACCUEILLANTE

Les mosquées étaient censées laisser aux visiteurs un souvenir de la grandeur de leur mécène, de la splendeur de la ville d’Istanbul et de la gloire de la religion de l’Islam. De tout temps, les visiteurs non-musulmans ont pu accéder plutôt facilement aux principales mosquées de la ville ; aujourd’hui, les touristes y sont accueillis librement.

Les mosquées étaient autrefois les centres de complexes qui comprenaient des bains, des écoles, des hôpitaux, des bibliothèques et des cuisines pour nourrir les plus pauvres. Les bains et fontaines à eau de certaines mosquées fonctionnent encore aujourd’hui. D’autres structures ont quant à elles été converties pour répondre aux besoins actuels, en les transformant par exemple des bureaux et cafés.

Les mécènes qui finançaient ces complexes étaient parfois enterrés dans un tombeau séparé au sein de ceux-ci. Les visiteurs pouvaient donc leur rendre hommage, et les investisseurs en récoltaient les fruits dans l’au-delà.

On pourrait croire que ces mosquées sont des lieux calmes et réservés mais, en réalité, ce sont des espaces habités, et leurs portes sont rarement fermées. Vous serez peut-être surpris d’entendre des enfants crier et de voir des visiteurs prendre des selfies, mais c’est précisément ce qu’une mosquée est censée faire : rassembler des personnes dans un bel espace qui honore Dieu.