Les troubles du comportement alimentaire sont en hausse chez les femmes ménopausées

Les troubles du comportement alimentaire (ou TCA) sont en hausse chez les femmes de plus de quarante ans, mais personne n’en parle.
Les médecins et les spécialistes confient avoir remarqué une certaine augmentation de femmes âgées de quarante à soixante-dix ans qui cherchent de l’aide à cause de troubles de l’alimentation. Et comme ces femmes ne correspondent pas au stéréotype d’une personne souffrant de TCA, elles sont souvent victimes de mauvais diagnostics ou d’une prise en charge tardive.
« Rien n’est plus invalidant que votre médecin qui vous dit que vous être trop vieille pour avoir des TCA », déplore Cynthia Bulik, directrice et fondatrice du Centre des troubles du comportement alimentaire de l’université de Caroline du Nord. « Et pourtant, c’est le vécu d’innombrables femmes en périménopause. »
Ces observations ne sont pas simples à quantifier. Certaines études estiment qu’entre 2 et 7 % des femmes de plus de quarante ans correspondent aux critères de diagnostic formel d’un trouble du comportement alimentaire. D’autres recherches suggèrent que 13 % des femmes de plus de cinquante ans bataillent contre certaines formes de troubles liés à l’alimentation. Et encore d’autres recherches montrent que ces nombres pourraient n’être que la face visible de l’iceberg car « près de 30 % des femmes d’âge moyen pourraient présenter des symptômes de TCA », explique Elizabeth Wassenaar, spécialiste certifiée des troubles de l’alimentation et directrice médicale régionale du Centre de traitement des TCA du Colorado. « Et nous avons sans conteste observé une augmentation. »
L’hyperphagie incontrôlée est l’un des troubles les plus prévalents chez les femmes âgées de quarante à soixante ans, suivie par une boulimie nerveuse. « Et nous observons également de plus en plus de comportement de “purge” moins discutés, comme un mauvais usage des laxatifs dans cette tranche d’âge », ajoute Jason Nagata, médecin spécialiste des TCA au sein de l’hôpital pour enfants Benioff de l’université californienne de San Francisco.
Les femmes d'une quarantaine d'années peuvent également souffrir d’anorexie nerveuse, bien que ce soit beaucoup plus rare, ainsi que d’une affliction moins connue, l’orthorexie. Il s’agit de comportements obsessifs qui tournent autour de l’exercice physique et de manger des aliments « sains ». Ce mal est parfois spécifiquement associé à la périménopause, explique Elizabeth Wassenaar, et peut « dans les faits, mener à une malnutrition ».
Effectivement, les symptômes de la périménopause et de la ménopause sont souvent au cœur de tous les diagnostics des TCA de milieu de vie car toutes deux introduisent une cascade de changements physiologiques et psychologiques qui s'entrelacent de manière complexe.
LES HORMONES PRODUISENT UN CHANGEMENT DANS LA COMPOSITION CORPORELLE
La ménopause peut conduire à des TCA de la même façon que la puberté affecte les adolescentes. « La puberté et la ménopause sont, respectivement, le début et la fin du livre métabolique de la vie », explique Cynthia Bulik.
Au cours de la puberté, comme au cours de la ménopause, les femmes vivent de longues fluctuations de leurs taux d’œstrogène. Cette hormone joue un rôle crucial dans la production de sérotonine, un neurotransmetteur qui affecte l’humeur. Ces changements peuvent jouer sur le bonheur d’une personne et les sentiments d’amour-propre. Et ils affectent directement la composition corporelle.
Durant la périménopause et la ménopause, les femmes remarquent souvent une augmentation de la masse graisseuse de tout leur corps, surtout au niveau de l’abdomen », explique Jason Nagata. « C’est en grande partie dû à la base des niveaux d’œstrogènes, qui affectent le stockage des graisses du corps et qui régule l’appétit et l’humeur. »
La baisse des taux d’œstrogènes est également liée à une diminution du métabolisme de base, la quantité d’énergie consommée par notre corps au repos : le corps brûle moins de calories par jour. Ces changements hormonaux peuvent également mener à la sarcopénie, un mal qui conduit à une perte musculaire et un stockage accru des graisses.
Ces deux changements peuvent également baisser les niveaux d’énergie. On devient moins active et donc encore moins satisfaire de son corps en pleine évolution.
REGAGNER UNE IMPRESSION DE CONTRÔLE
Au-delà des fluctuations hormonales, la ménopause survient souvent durant des perturbations importantes au cours de la vie : des enfants qui quittent le foyer, des problèmes de couple ou un divorce, un changement de carrière ou des parents qui demandent des soins. Autant de perturbations qui exercent une influence profonde sur les choix diététiques.
De plus, « les femmes en milieu de vie portent le plus gros des fardeaux familiaux », intervient Robyn Kievit, infirmière praticienne et spécialiste certifiée en TCA du Massachussetts. Toutes ces pressions peuvent pousser au développement de TCA pour « retrouver un contrôle que l’on a perdu », explique Elizabeth Wassenaar.
Ce désir de chercher à regagner une forme de pouvoir et de prédictibilité « est un moteur psychologique connu des TCA dans toutes les tranches d’âge mais particulièrement observé en milieu de vie », ajoute Jason Nagata.
Ainsi que l’a dit une patiente à des chercheurs dans le cadre d’une étude menée en 2009 : « Contrôler ce que je mangeais était une façon de contrôler au moins une partie de ma vie […]. J’avais l’impression que si je pouvais contrôler ce qui entrait et ce qui sortait, l’exercice que je faisais, alors je pourrais contrôler d’autres aspects de ma vie. »
LES PRESSIONS DU « SKINNYTOK » ET DE LA SOCIÉTÉ
De tels facteurs coïncident avec une double contrainte à laquelle les femmes sont souvent confrontées : la pression culturelle de rester fine et jeune dans un corps vieillissant qui, par nature, s’éloigne des proportions idéalisées par les médias. Les pressions sont fortes : les recherches montrent que 73 % des femmes d’âge moyen confient ne pas être satisfaites de leur poids. Cela montre clairement que ces troubles ne sont pas simplement personnels, ils sont systémiques.
Cette dynamique n’a fait que s’intensifier avec l’apparition de médicaments faisant prétendument perdre du poids, comme l’Ozempic, ou des régimes néfastes que les tendances sur les réseaux sociaux promeuvent, comme le #SkinnyTok. « Demander à une femme de quarante-cinq à cinquante-cinq ans de porter la même taille de vêtements qu’à quinze, vingt, ou même trente ans, est une aberration », déclare Robyn Kievit.
Après tout, les femmes en périménopause ou en ménopause vivront avec certitude des « changements de forme, de répartition du poids, de texture de cheveux, de densité osseuse et plus encore », explique Cynthia Bulik. Cette combinaison de changements peut souvent pousser les femmes « à se sentir de plus en plus déconnectées du corps qu’elles avaient l’habitude de connaître ; et cela ne fait qu’intensifier les TCA comme moyen de défense », ajoute Jason Nagata.
UN HISTORIQUE DE TCA, D’ANXIÉTÉ ET DE DÉPRESSION
Les femmes qui ont déjà souffert de TCA au cours de leur adolescence ou de leur vingtaine sont les plus susceptibles de rechuter lors de la ménopause, au moment où ces sentiments d’insatisfaction corporelle ou de bouleversements émotionnels refont surface. En effet, « les recherches montrent que de nombreuses femmes souffrant de TCA au milieu de leur vie n’en souffrent pas pour la première fois », explique Jason Nagata.
Jennifer Wildes, directrice du programme de TCA à l’université de médecine de Chicago, explique que c’est un schéma qu’elle a déjà observé chez ses patientes : « Certaines n’avaient jamais été traitées ou bien leurs symptômes s’étaient estompés, tout cela pour revenir avec la ménopause. »
Parfois, d’autres conditions préexistantes de santé mentale peuvent également jouer un rôle, comme l’anxiété ou la dépression. Ces défis sont des moteurs de TCA avérés et empirent leurs symptômes.
« Les TCA sont des maladies biologiques complexes qui impliquent notre santé mentale et qui peuvent survenir en même temps que des abus de substances et d’autres diagnostics de maladies mentales », explique Doreen Marshall, psychologue et directrice générale de l’Association nationale des TCA aux États-Unis.
COMMENT RECONNAÎTRE ET SE REMETTRE DE SES TCA
Peu importe ce qui les provoque, le traitement des TCA chez les femmes en périménopause et en ménopause est un défi. Et le plus grand est d’admettre qu’on en souffre. Cela peut s’avérer être une tâche ardue, surtout que les TCA peuvent être masqués par des régimes, des tendances de bien-être ou tout simplement des signes de vieillissement.
Bien qu’il existe des moyens sains de perdre du poids, en suivant des recommandations médicales, il existe plusieurs signaux d’alarme. Une intense préoccupation de ce que l’on mange et de son poids. Des détox ou des « purges » fréquentes. Des restrictions caloriques extrêmes. Le fait d’éviter des situations sociales impliquant des repas, ou d’avoir recours à des mesures compensatoires après avoir mangé, comme l’exercice, l’usage de laxatif, se faire vomir ou manquer les repas qui suivent.
Savoir reconnaître ces signes est essentiel car « les TCA traités dans les six premiers mois ont le plus de chances de mener à un rétablissement complet », affirme Robyn Kievit.
Cependant, beaucoup de personnes pensent que les TCA ne sont qu’une « phase » dont on sortira avec le temps. « C’est un mythe que de penser que les troubles alimentaires se résolvent d’eux-mêmes », déclare Cynthia Bulik. « Les TCA ne sont ni des choix ni des phases. Ce sont des maladies sérieuses qui requièrent de l’attention. »
La bonne nouvelle, c’est qu’une fois les TCA identifiés et diagnostiqués, les traitements fondés sur des bases factuelles peuvent être très efficaces, et il existe un large éventail de psychothérapies. « Il y a toutes les raisons de croire que si les femmes ménopausées ont accès à un traitement, leur condition s’améliorera », affirme Jennifer Wildes.
Les femmes d'une quarantaine ou d'une cinquantaine d'années qui souffrent de TCA peuvent se tourner vers des psychologues certifiés, des diététiciens, des membres du corps médical et des organisations comme la Fédération nationale des associations liées aux troubles des conduites alimentaires, la Fédération française anorexie boulimie, le Réseau TCA Francilien ou la Fondation Sandrine Catellotti.
Peu importe vers qui vous vous tournez pour trouver de l’aide, Elizabeth Wassenaar insiste sur le besoin d’en chercher le plus tôt possible. « Il n’est jamais trop tard pour se faire traiter pour des TCA, ni pour développer une relation saine avec votre corps », affirme-t-elle. « Qu’il s’agisse de la première fois que vous souffrez de TCA ou que vous viviez avec depuis des années, il est temps pour vous de trouver de l’aide. »