Angleterre : le géant de Cerne Abbas, une énigme gravée dans la craie

Août 7, 2025 - 08:50
Angleterre : le géant de Cerne Abbas, une énigme gravée dans la craie

Depuis des siècles, personne ne sait exactement combien, l'immense dessin d'un homme nu domine une colline escarpée de la vallée de la Cerne dans le sud-ouest de l'Angleterre. La silhouette haute de 55 mètres a été créée en creusant la terre sur une trentaine de centimètres pour laisser apparaître la craie sous-jacente.

Le personnage tend son bras gauche et brandit dans sa main droite une massue, mais l'élément qui retient l'attention du plus grand nombre n'est autre que l'indéniable pénis en érection d'une longueur de 10 mètres, qui lui vaut d'ailleurs d'être surnommé « The Rude Man of Cerne » (le mal élevé de Cerne, ndlr).

Le « Géant de Cerne », comme il est plus sobrement appelé, a longtemps envoûté ceux qui cherchaient à l'expliquer, mais une étude récente nous en apprend un peu plus sur son origine et sa signification, avec une histoire mêlant les Romains, les Vikings et la Première révolution anglaise.

 

DIEU PAÏEN OU SATIRE POLITIQUE

La campagne anglaise est truffée de grands « dessins » en craie, particulièrement au sud du pays. Certains ont été creusés au cours des siècles derniers en tant que symboles de villes ou de régiments, alors que d'autres sont bel et bien préhistoriques, comme le Cheval blanc d'Uffington, tracé il y a plus de 3 000 ans.

Néanmoins, le Géant de Cerne reste la plus mystérieuse de ces créatures en craie. Pour certains, le géant est la représentation d'un dieu païen, mais pour d'autres il s'agit plutôt d'une satire politique du 17e siècle. D'après une étude plus récente combinant les données archéologiques et culturelles, le Géant de Cerne aurait été gravé sur une colline il y a plus de mille ans en guise de lieu de rassemblement local des Saxons pour défendre fermes et foyers contre l'envahisseur viking. L'étude suggère également que le Géant de Cerne représentait initialement Hercules, le demi-dieu gréco-romain qui était également un héros célèbre dans l'Angleterre du Moyen-Âge.

« Notre hypothèse est que le Géant de Cerne a pu être tracé dans le paysage comme point de rassemblement proéminent et visible pour les armées locales », indique l'historien médiéval Thomas Morcom, ancien doctorant à l'université d'Oxford aujourd'hui rattaché à l'université d'Oslo en Norvège.

 

DATATION DU GÉANT

Aux côtés d'Helen Gittos, historienne médiévale de l'université d'Oxford, Morcom est le coauteur de l'étude publiée en mars 2024 dans la revue Speculum.

Leur étude s'appuie sur les fouilles archéologiques menées quelques années plus tôt par le National Trust, une association à but non lucratif financée en partie par le gouvernement britannique. En analysant les sédiments du site grâce à la technique de luminescence optiquement stimulée, les chercheurs ont déterminé que le premier traçage du Géant de Cerne avait eu lieu au 9e ou 10e siècle, soit plus d'un siècle avant la conquête normande de l'Angleterre en 1066.

La découverte était une surprise pour l'archéologue du National Trust, Martin Papworth, qui a dirigé les fouilles. Il s'attendait à ce que le géant date du 17e siècle, peut-être dans les années 1640 pendant la Première révolution anglaise ; l'une des théories suggérait que la figure nue était une caricature obscène du parlementaire Oliver Cromwell.

Papworth rejoint l'interprétation soutenue par Morcom et Gittos, même s'il pense que le Géant de Cerne aurait indiqué un lieu de pèlerinage pour les premiers chrétiens, plutôt qu'un point de rassemblement militaire.

 

ORIGINES MÉDIÉVALES

Gittos indique que le géant aurait été visible depuis différents points du Wessex lors de sa création ; en outre, d'autres éléments du paysage suggèrent que le lieu a pu servir de point de rassemblement, notamment une « blowing stone » (ou « bellingstone »), une roche percée utilisée pour émettre un son, à la manière d'un clairon.

La représentation d'Hercules aurait également pu servir un tel objectif. Figure bien connue de l'Europe post-romaine, l'intrépide héros était également célébré dans l'Angleterre médiévale, indique Morcom ; bon nombre d'œuvres romaines à l'effigie d'Hercules le représentaient nu brandissant une massue.

Cependant, l'histoire du Géant de Cerne ne s'arrête pas à sa création. Morcom et Gittos suggèrent également que l'immense figure aurait été transformée des siècles plus tard pour représenter Saint Ewald, un ermite anglais.

D'après les chercheurs, c'est sous cette apparence, avec la massue du géant représentant désormais un bâton fleuri et le phallus symbolisant sa nudité, que la figure fut utilisée par une abbaye bénédictine voisine pour revendiquer son titre de propriété sur le terrain.

Gittos indique que la théorie sera mise à l'épreuve par de futures recherches. « J'ai fini par réaliser que le géant n'était qu'une partie d'un monument bien plus vaste », dit-il. « C'est la partie la plus visible, mais elle appartient à une constellation d'autres éléments. »

 

UNE FIGURE MYSTÉRIEUSE

Si la dernière étude en date s'appuie sur des données scientifiques, elle ne permet pas pour autant de clore le débat et différentes théories subsistent toujours sur les origines du Géant de Cerne.

Au 18e siècle, un antiquaire suggérait que le géant représentait un dieu païen baptisé Helith, mais Morcom et Gittos pensent que ce nom proviendrait de la lecture erronée de références latines antérieures.

Pour l'archéologue Mark Allen, qui a dirigé les études géophysiques du National Trust, la figure représentait à l'origine Saint Ewald et n'aurait été interprétée que plus tard comme étant Hercules. De nos jours, le phallus géant paraît peu compatible avec son statut de saint, mais cette perception est un anachronisme hérité de l'époque victorienne, indique Allen, et la chose aurait été beaucoup moins choquante au Moyen-Âge.

Il existe toutefois une autre théorie défendue par Jonathan Still, le vicaire du village voisin de Cerne Abbas, situé à quelques centaines de mètres au sud de la colline du géant. Il pense que les premières versions du géant prédatent les estimations des nouvelles études et que la silhouette était un emblème tribal des Durotriges, une tribu bretonne de l'âge du Fer qui aurait vécu dans la région au 1er millénaire avant notre ère.

« Je pense qu'il était l'emblème de la tribu », témoigne Still, en ajoutant que le cheval blanc d'Uffington est également considéré comme l'emblème d'une tribu de l'âge du Fer. « Il se situe en plein centre de leur territoire et je pense qu'ils se réunissaient là pour des cérémonies, peut-être pour trouver une nouvelle femme à votre fils, ou un mari à votre fille. »

Quelles que soient ses origines, le Géant de Cerne est désormais une célébrité pour les habitants de la région : « Ils en sont terriblement fiers et je pense que ses créateurs en étaient très fiers aussi », conclut le vicaire. « C'est le plus grand bonhomme du coin. »