Big One : le séisme attendu sur la faille de San Andreas pourrait frapper jusqu’à San Francisco

Oct 25, 2025 - 07:30
Big One : le séisme attendu sur la faille de San Andreas pourrait frapper jusqu’à San Francisco

L’une des failles les plus dangereuses des États-Unis, la zone de subduction de Cascadia, pourrait être capable de déclencher un séisme sur la faille de San Andreas, selon une nouvelle étude. Mais certains scientifiques demandent davantage de preuves.

Selon l’article publié en septembre dans la revue Geosphere, des carottes de sédiments marins prélevées le long de la côte ouest fournissent des indices selon lesquels les deux systèmes de failles ont été synchronisés pendant une grande partie des 2 500 dernières années. En se basant sur la chronologie révélée par les dépôts sédimentaires, l’étude avance qu’un tremblement de terre survenu dans la zone de Cascadia pourrait déclencher un séisme dans le système de la faille de San Andreas.

Chris Goldfinger, géologue émérite à l’Université d’État de l’Oregon, qui a dirigé ces travaux et étudie cette hypothèse depuis les années 1990, estime qu’il s’agit d’une grande avancée. D’autres scientifiques se disent intrigués, mais restent prudents. « L’hypothèse mérite d’être examinée », déclare Diego Melgar, géophysicien à l’Université de l’Oregon, qui dirige un grand centre de recherche sur les séismes de Cascadia. « C’est clairement une question importante à poser et à résoudre. Ce qu’ils ont trouvé est alléchant, mais je ne pense pas qu’ils y aient encore totalement répondu. »

 

QU'EST-CE QUE LA ZONE DE SUBDUCTION DE CASCADIA ?

La côte ouest de l’Amérique du Nord est un terrain fertile pour les séismes, qu’ils soient petits ou gigantesques. La faille de San Andreas est sans doute la plus célèbre, traversant des régions densément peuplées de Californie. Mais, plus au nord, une autre menace se cache sous les vagues.

La zone de subduction de Cascadia, où une plaque tectonique s’enfonce sous une autre, s’étend sur environ 1 600 kilomètres, de l’île de Vancouver jusqu’au nord de la Californie. Les modèles montrent qu’elle peut engendrer un séisme d’une magnitude d’au moins 9, comparable à ceux de Sumatra en 2004 et du Japon en 2011. En comparaison, la faille de San Andreas n’a jamais dépassé la magnitude 7,9 depuis que les instruments de mesure existent. Le plus grand séisme de Cascadia connu s’est produit en 1700, et les experts estiment qu’il a probablement dépassé la magnitude 9.

Les scientifiques connaissent aujourd’hui le risque que représente Cascadia, mais jusque dans les années 1980, la plupart pensaient que la zone de subduction était quasiment inactive. « Les peuples autochtones ont des récits oraux de tremblements de terre, de tsunamis et de fortes secousses ici », explique Melgar. « La société occidentale, elle, avait oublié qu’il y avait des séismes dans cette région. »

Aujourd’hui, la région est devenue un haut lieu de la sismologie, et la possible connexion entre Cascadia et San Andreas demeure une question ouverte.

 

LES SÉDIMENTS MARINS POURRAIENT RÉVÉLER UN LIEN

L’idée que les zones sismiques de Cascadia et de San Andreas puissent être connectées remonte aux années 1990, lorsqu’un chercheur a proposé que des couches de sédiments sous-marins appelées turbidites enregistraient une série de séismes le long de la côte ouest.

Les turbidites se forment lors de glissements de terrain sous-marins, souvent déclenchés par des tremblements de terre ou des tempêtes. Ces coulées de boue et de sable descendent sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, avant de se déposer au fond de l’océan. Au fil du temps, ces couches s’accumulent, et les carottes de sédiments permettent de lire cette histoire naturelle.

Dans un premier temps, Chris Goldfinger était dubitatif. « J’étais très sceptique », se souvient-il. Mais au fur et à mesure que son équipe collectait davantage de carottes et découvrait plus de turbidites, il a rapidement été convaincu que les séismes étaient la meilleure explication.

Il a continué à recueillir des carottes, se concentrant sur celles où les turbidites apparaissaient en paires au large de l’Oregon et du nord de la Californie. Son nouvel article présente davantage de carottes, des scans 3D des dépôts, de nouvelles méthodes de datation et des analyses de la structure du plancher océanique. En tout, des centaines d’échantillons couvrant plus de 2 500 ans de dépôts.

Chris Goldfinger interprète ces paires de turbidites comme deux séismes successifs, empilant une couche sur l’autre. Un séisme lointain laisse un dépôt plus mince ; un séisme proche, un dépôt plus épais.

Et, selon ses analyses, certaines paires observées au large de l’Oregon, attribuées à Cascadia, correspondraient à des paires similaires près du nord de la Californie, où la faille de San Andreas domine. Ces dépôts espacés de plusieurs centaines de kilomètres semblent être liés à des événements s'étant produits à peu près au même moment.

Pour lui, une conclusion s’impose : un séisme dans Cascadia peut en déclencher un autre sur la faille de San Andreas. Il estime que certains de ces événements pourraient avoir été séparés de quelques minutes à quelques décennies. « Les explications alternatives s’effondrent, et il ne reste plus que celle-ci », dit-il. « Je suis très confiant, pas pour chaque détail, mais pour l'hypothèse globale. »

 

UNE HYPOTHÈSE POSSIBLE, MAIS PAS PROUVÉE

D’un point de vue géophysique, il est techniquement possible qu’une faille en déclenche une autre. En 2016, une série de séismes en Nouvelle-Zélande a semblé passer de la croûte continentale à une zone de subduction.

Mais Diego Melgar, comme les autres experts interrogés, estime que davantage de recherches seront nécessaires avant de pouvoir affirmer qu’un lien existe entre Cascadia et San Andreas.

Les turbidites, par exemple, pourraient avoir d’autres origines, comme des tempêtes, selon Zoltán Sylvester, sédimentologue à l’Université du Texas à Austin. Et corréler des dépôts séparés de centaines de kilomètres est extrêmement délicat. « Ces dépôts se ressemblent tous », observe Sylvester. « On peut facilement se convaincre qu’un petit détail ici correspond à un autre là-bas. »

Diego Melgar, lui, admet que la plupart des turbidites de Cascadia ont probablement été formées par des séismes, mais il n'est pas convaincu que les paires éloignées soient liées. Le problème vient en partie des difficultés de datation : même avec les nouvelles méthodes employées, les dépôts pourraient être séparés de plusieurs centaines d’années. « Ce qu’ils présentent comme une simultanéité n’est pas du tout une évidence », dit-il. « Peut-on vraiment affirmer que ces événements ont eu lieu en même temps ? La plupart d’entre nous diraient que non. »

Diego Melgar conclut que, pour l’instant, l’idée de déclenchement reste trop spéculative, même s’il est possible que les deux systèmes aient été synchronisés à certains moments de l’histoire géologique de notre planète, peut-être simplement par hasard, comme deux clignotants de voiture brièvement en phase.

 

DES MYSTÈRES SISMIQUES ENCORE À ÉLUCIDER

En un sens, ce débat illustre à quel point la géologie moderne en est encore à ses balbutiements. « Nous avons encore beaucoup à apprendre sur la manière dont les séismes se produisent et pourquoi », explique Greg Beroza, sismologue à l’Université Stanford. « Ce n’est pas un problème résolu. »

Dans la plupart des régions du monde, les enregistrements instrumentaux ne couvrent qu’un siècle environ, un battement de cils à l’échelle du temps géologique. Cela rend les archives longues comme celles de Goldfinger particulièrement précieuses pour les communautés de recherche sur les séismes et les fonds marins. Mais, ajoute Beroza, il faut rester prudent dans leur interprétation.

Chris Goldfinger estime que sa dernière étude répond à bon nombre des critiques, mais il admet qu’il reste beaucoup à faire. « Même après y avoir consacré la majeure partie de ma carrière, j’ai l’impression que nous ne faisons qu’effleurer la surface », confie-t-il.

Ce sur quoi tous les scientifiques s’accordent, c’est que lorsqu’une de ces failles se rompra, les conséquences seront désastreuses. Des millions de personnes seront en danger, et les dégâts se chiffreront en milliards de dollars.

Et si les deux failles rompaient en même temps ? « Ce serait une catastrophe humanitaire », conclut Diego Melgar.