Des rites funéraires complexes : ce que l'archéologie révèle de la société viking
Quand on pense aux Vikings, l’image qui vient tout de suite à l’esprit est celle d’un guerrier barbu maniant la hache. Mais derrière tout ce sang et cette gloire se trouve une culture encore auréolée de mystère, surtout en ce qui concerne la mort.
Pour les Nordiques, la vie après la mort ne signifiait pas un seul et unique lieu. Ils croyaient en l’existence de plusieurs autres mondes spirituels distincts. Certains guerriers tombés au combat allaient au Valhalla, ou Valhöll, en vieux norrois, qui signifie « la halle des valeureux ». Là, les guerriers se battaient et festoyaient en attendant l’appel du dieu Odin au moment du Ragnarök, la fin cataclysmique du monde. D’autres combattants se rendaient à Folkvangr, le « champ de l’armée », où régnait la déesse Freyja. La version la plus souvent représentée était celle de Hel, un monde souterrain froid et brumeux sous le contrôle de la déesse du même nom. À l’inverse des croyances chrétiennes, Hel n’était pas un lieu de punition, mais de stagnation. Les Vikings attachaient une importance toute particulière au wyrd, le destin, sur lequel veillaient les Nornes, trois tisseuses mythiques qui filaient les destinées des dieux et des humains.
Ces mondes d’après la mort n’étaient pas toujours la dernière destination après la vie, car les Vikings pensaient que l’âme pouvait se fragmenter, qu’elle n’était pas d’une seule pièce. Une partie pouvait s’attarder dans la tombe tandis que l’autre montait rejoindre leurs ancêtres, et une autre encore pouvait se réincarner dans un membre de la descendance du défunt. Ce qui était clair, c’est que les Vikings prenaient grand soin d’assurer une transition sans encombre de cette vie à la suivante.
DE NOMBREUSES PRATIQUES FUNÉRAIRES
Les Vikings ont développé des rites funéraires élaborés en accord avec ces croyances. Les sites archéologiques scandinaves témoignent des nombreuses pratiques d’inhumation, même si les spécialistes continuent d’en déterminer toutes les ramifications.
Cette grande diversité des rites funéraires vikings est ce qui les rend remarquables. Les inhumations et les crémations étaient répandues, mais les chercheurs suspectent l’existence d’autres pratiques laissant moins de traces, comme la dispersion de cendres ou le fait de jeter les dépouilles à l’eau.
Les buttes érigées au-dessus du site de crémation sont des éléments remarquables des inhumations vikings. Elles pouvaient être de toute forme et de toute taille. La butte royale était gigantesque et d’autres étaient à peine discernables. On pouvait en voir plusieurs comme une seule. Certaines étaient signifiées par des pierres dressées ou entourées de rochers arrangés en cercle, d’autres étaient dépourvues d’ornements.
Sous les buttes, les morts étaient mis au repos au côté des possessions qui devaient les accompagner par-delà la mort : vêtements, outils, armes, provisions pour le voyage qui les attendait, animaux sacrifiés et, à l’occasion, des sacrifices humains.
Malgré leurs intentions, il n’existait aucun schéma apparent de l’arrangement des objets funéraires dans les rites vikings. Les objets pouvaient être placés à la tête, au pied ou aux côtés des dépouilles. La présence ou le positionnement des armes, des objets ou des restes animaux variaient souvent selon la région, l’époque, le statut ou le genre du défunt.
NAVIGUER VERS L’AU-DELÀ
Les bateaux-tombes faisaient partie des pratiques vikings les plus caractéristiques, bien qu’elles n’étaient pas les plus courantes. Les preuves archéologiques montrent que ce genre d’inhumation impliquait des rituels élaborés qui duraient des jours, voire des années. Les cérémonies incluaient la consommation d’une grande quantité d’alcool pendant que des musiciens jouaient et que des animaux étaient sacrifiés. Parfois, certains esclaves étaient même violés ou sacrifiés.
Dans certains cas, les armes du défunt étaient exposées, et leurs exploits étaient chantés pour les honorer. On soufflait dans des trompes et les skalds, des poètes, déployaient leurs talents. Selon Ahmad ibn Fadlan, un voyageur et diplomate du califat abbasside qui a assisté à des funérailles vikings au 10e siècle, les invités endeuillés buvaient sans retenue et chantaient. « Nuit et jour, ils [s’enivraient] sans retenue, au point où certains mouraient, un verre de vin à la main. »
Les études archéologiques révèlent que les bateaux-tombes vikings et les cérémonies qui accompagnaient les inhumations comprenaient souvent des subtilités qui allaient au-delà du simple enterrement. L’un des bateaux-tombes les plus marquants découverts à ce jour est l’Oseberg, en Norvège. Enterré en 834 apr. J.‑C. sous une butte, il contenait les dépouilles de deux femmes, inhumées avec de somptueux objets funéraires. On y a aussi trouvé un grand nombre d’animaux sacrifiés : au moins quinze chevaux et six chiens décapités, la tête d’un bœuf était placée sur un lit. La plupart des animaux étaient disposés autour du bateau.
Les gravures détaillées sur la proue et la poupe du navire représentaient des serpents entrelacés et des figures mythologiques, des symboles de protection pour les défunts pour leur voyage dans la vie après la mort. La disposition des restes animaux, comme les chevaux, les chiens ou les bœufs, était soumise à des rituels stricts, reflétant les croyances dans leur rôle de guides spirituels ou de sacrifices pour assurer un voyage sans encombre. Les objets funéraires, comme les armes de bonne facture ornées de décorations, et les objets de luxe importés, étaient soigneusement positionnés. Dans certains cas, ils étaient alignés avec les points cardinaux, indices d’un symbolisme cosmologique. Les défunts étaient présentés dans diverses positions, soit assis bien droit, soit étendus sur le dos avec les bras écartés. Ces attitudes évoquaient une préparation pour un départ, ou l’attente de directives, renforçant ainsi l’idée d’un voyage après la mort.
Les vaisseaux funéraires étaient de toute forme et de toute taille. Parfois, une butte était érigée au-dessus. Dans certains cas, plutôt que d’enterrer un navire entier, quelques planches du bateau étaient placées dans la tombe, ou bien des pierres étaient arrangées à la surface pour en suggérer la forme. Au sein de ces tombes, les objets funéraires étaient similaires à ceux que l’on trouvait dans les inhumations en terre. Les corps étaient enterrés dans différentes positions : assis, sur le côté, parfois même comme s’ils se trouvaient à la barre d’un navire.
DES INHUMATIONS SUR MESURE
Les traditions funéraires vikings attirent depuis longtemps l’attention des archéologues pour leurs buttes impressionnantes et leurs navires funéraires. Mais comprendre la signification de ces traditions reste un véritable défi pour les chercheurs. À partir de récentes analyses de tradition littéraire en vieux norrois, de données ethnohistoriques et de traces archéologiques, l’archéologue Neil Price a proposé une interprétation originale qui cherche à expliquer le fait qu’aucune tombe viking ne se ressemble exactement.
Neil Price suggère que les funérailles vikings étaient des performances personnalisées, influencées par la vie du défunt. Dans une culture riche en tradition orale, où les sagas, les vers des scaldes et l’Edda de Snorri (un recueil de poèmes et de proses) préservaient l’histoire et les mythes, les funérailles auraient été le dernier acte des contes.
Les objets funéraires étaient souvent des traces de ces histoires. Au cours de certaines inhumations, des pièces de jeux, semblables à des pièces d’échecs, étaient découvertes, des symboles possibles de l’esprit stratégique ou des prouesses guerrières du défunt. Dans d’autres, des tissus importés, de la verrerie franque ou des pièces de monnaie d’Arabie indiquaient des liens commerciaux de longue distance. Dans le bateau-tombe de Gokstad du 9e siècle, découvert en Norvège, des boucliers et même une tente étaient enterrés aux côtés du défunt, symboles de prouesse martiale et de préparation pour la vie après la mort. Neil Price avance que, malgré la tendance générale, chaque inhumation était un événement unique pensé pour honorer les morts.
LES NAVIRES DE SALME
Vers 650-750 après J.-C., un régiment de combattants originaires de la région du lac Mälaren, située dans l’est de la Suède, a entrepris une campagne maritime sur la mer Baltique. Ils accostèrent sur l’île de Saaremaa, située le long d’un détroit important pour le commerce maritime. On ignore encore si le voyage était d’ordre militaire ou diplomatique, mais ce qui s’est déroulé sur la côte estonienne a été d’une violence sans conteste. De nombreux Vikings y ont perdu la vie. Les survivants ont trainé deux navires sur une centaine de mètres à l’intérieur des terres, jusqu’à ce qui est aujourd’hui le village de Salme. Là, ils ont enterré les vaisseaux à 35 mètres de distance, avec les corps de plus de quarante de leurs camarades tombés au combat.
La plupart étaient des jeunes hommes de grande taille, dépassant le mètre soixante-quinze, et plusieurs portaient des marques de blessures à l’épée. Les analyses ADN ont révélé que quatre des défunts étaient frères. À Salme I, sept hommes ont probablement été placés droit, en position assise. À Salme II, trente-quatre autres étaient empilés en quatre couches, certaines séparées par du sable.
Les inhumations ont été conduites avec un degré de formalisme remarquable. Cela indique que les morts étaient enterrés en accord avec les coutumes vikings et sans peur que des ennemis pillent les objets funéraires. Ces enterrements en bonne et due forme et l’absence de pillage suggèrent que les survivants ont eu le temps de conduire leurs rites sans avoir peur d’être interrompus.
Les navires de Salme fournissent les plus anciennes preuves archéologiques que des vaisseaux scandinaves étaient utilisés pour la guerre dans la Baltique orientale. Les planches des bateaux étaient disposées à clin. Elles se chevauchaient et étaient fixées par des rivets en fer. Les archéologues ont découvert plus d’une centaine de pointes de flèches autour de la coque, dont la plupart étaient fichées dans les planches du navire ; de rares preuves physiques d’une bataille navale.
LES ÉPÉES ET LES SACRIFICES DE SALME
Les corps des guerriers ont été placés avec soin à l’intérieur des navires et couverts par de grands boucliers ronds faits de bois et de tissu qui provenait probablement de la voile. Les épées des défunts se trouvaient à leurs côtés, certaines avaient été tordues, en accord avec les rituels vikings. Les objets funéraires étaient disposés près des morts, beaucoup étaient de facture scandinave. Parmi eux, on a retrouvé des peignes ornementés taillés dans des bois de cerf, de petits cadenas, des perles, des pendentifs en canines d’ours, des plaques de bronze et de fer, ainsi que des pointes de flèches. Des ossements provenant de plusieurs animaux différents sacrifiés au cours des funérailles ont également été retrouvés. Les archéologues ont identifié des moutons, des cochons, des vaches, ainsi que plusieurs chiens, dont un avait été décapité et un autre, coupé en deux.
Plus de 300 pièces d’un jeu, le hnefatafl, ont été découvertes dans les navires de Salme, dispersées parmi les corps. Il s’agissait d’un jeu de stratégie ressemblant aux échecs. Les pièces étaient fabriquées dans des os de baleine ou à partir d’ivoire de morse. Une pièce a particulièrement retenu l’attention. Elle a été découverte dans Salme II et placée dans ou proche de la bouche de l’un des squelettes les plus décorés. Cette pièce représentait le « roi » dans le jeu. Les chercheurs présument qu’il s’agissait là d’un geste délibéré afin d’insister sur le statut élevé de cet individu par rapport au reste du groupe.
LES ÉTUDES EN COURS
Le jeu de société viking, le hnefatafl, a des attributs indéniablement militaires. Joué sur un plateau carré, il oppose une petite force défensive, dirigée par un roi positionné au centre, contre un plus grand groupe d’attaquants. Le but était de guider le roi sans encombre jusqu’à l’extrémité du plateau, sans qu’il soit capturé par l’adversaire. Le jeu n’était pas seulement pensé comme un passe-temps, il reproduisait des tactiques de combat et aurait servi d’outil d’enseignement pour apprendre la stratégie. Les plateaux et les pièces ont été retrouvés dans des tombeaux de personnes de haut rang, suggérant que la maîtrise de ce jeu était associée au commandement, à l’intelligence et aux prouesses martiales. Le « roi », découvert dans le bateau-tombe de Salme II, aurait servi d’avertissement : un symbole des conséquences désastreuses de perdre une guerre. Dans ce cas, le roi, tombé au combat, n’a jamais atteint l’extrémité du plateau.
Parmi les milliers de tombes vikings connues aujourd’hui, les navires de Salme se démarquent des autres. Ils fournissent une grande quantité d’informations, pas seulement sur les causes de la mort de ces guerriers, mais aussi sur la façon dont ils ont été inhumés. Les archéologues continuent leurs études méticuleuses de ces navires, tout en découvrant des nouveautés, comme les cinquante tombes vikings déterrées dans le village danois d’Åsum en 2024. En analysant les artefacts, les restes squelettiques, les contextes d’inhumation, les expériences de combat et les souvenirs culturels des guerriers vikings, ils révèlent les manières élaborées dont ces sociétés honoraient et se souvenaient de leurs morts.