Et si ces morceaux de fromage étaient à l’origine de vos cauchemars ?

Sep 2, 2025 - 07:20
Et si ces morceaux de fromage étaient à l’origine de vos cauchemars ?

Des affirmations anecdotiques selon lesquelles manger du fromage avant de se coucher provoquerait des cauchemars étaient autrefois si répandues qu’en 2005, le British Cheese Board a commandité une étude sur le sujet.

Lors de cette expérience d’une semaine, 200 volontaires (100 femmes, 100 hommes) ont rapporté quelle variété de fromage ils avaient consommée avant d’aller dormir et à quoi ressemblaient leurs rêves. Bien que l’étude (davantage un coup de communication qu’une véritable recherche scientifique) n’ait jamais été publiée dans une revue à comité de lecture, les détails étaient fascinants : le Stilton aurait induit des rêves étranges, comme celui d’un crocodile végétarien qui voulait manger des enfants humains. Le cheddar, quant à lui, était associé à des rêves de célébrités.

Cent ans plus tôt, le dessinateur américain Winsor McCay faisait du fromage l’antagoniste de sa bande dessinée Cauchemars de l'amateur de fondue au Chester. Les personnages y étaient hantés par des rêves bizarres, voire cauchemardesques, généralement après avoir mangé du Welsh rarebit, une sorte de toast au fromage légèrement épicé.

Une étude publiée en juin dernier dans la revue Frontiers in Psychology a enfin révélé des indices sur la raison pour laquelle certains aliments pourraient mener à un sommeil plus agité. Dans une enquête menée auprès de 1 000 participants, les cauchemars après avoir mangé du fromage ou des produits laitiers étaient beaucoup plus fréquents chez les personnes intolérantes au lactose.

Il est logique que des symptômes d'inconfort pendant le sommeil puissent influencer les rêves, explique Tore Nielsen, auteur principal de l’étude et neuroscientifique à l’Université de Montréal, qui étudie les rêves et les cauchemars.

« Nous savons que la douleur influence les rêves. Nous savons que d’autres sensations corporelles — le simple fait de toucher une personne en train de rêver — peuvent s’intégrer dans nos rêves », dit-il. « Ces voies permettant d’influencer les rêves existent bel et bien. »

 

COMMENT ÉTUDIER LES RÊVES ?

Le premier article de Nielsen examinant le lien entre l’alimentation et les cauchemars a été publié en 2015. À l’époque, il avait demandé à 396 étudiants s’ils pensaient que certains aliments leur provoquaient des rêves bizarres ou perturbants. Près de 18 % avaient répondu que leur alimentation pouvait influer sur leurs rêves, et les plats à base de produits laitiers ou de fromage comme la pizza et la poutine (l’étude avait été menée au Canada) ont été désignés comme les principaux suspects.

L’étude récente de Nielsen a établi des liens moins étroits entre la nourriture et la nature des rêves. Seuls 5,5 % des personnes interrogées ont déclaré que leurs rêves ou cauchemars étaient causés par leur alimentation.

« Mais ce n’est qu’une partie des résultats, car nous ne savons pas vraiment à quel point ces participants sont précis pour détecter des relations spécifiques de cause à effet », explique Nielsen. « Ce n’est qu’une impression. Et cette impression pourrait être fondée sur le folklore, la mythologie, voire simplement sur des choses qu’ils ont entendues, ou des erreurs d’attribution, vous savez quand on se dit "j’ai mangé quelque chose tard, je vais faire de mauvais rêves." »

Pourtant, lorsque les chercheurs ont analysé les données concernant les symptômes gastro-intestinaux - ballonnements, gaz, diarrhée, crampes, douleurs - ils ont trouvé un lien net : les participants intolérants au lactose présentant les symptômes digestifs les plus sévères avaient aussi les cauchemars les plus intenses.

Les auteurs de l’étude ont également recueilli des données issues de ce que Nielsen appelle un « questionnaire sur le style alimentaire » et ont constaté que les cauchemars étaient corrélés au fait de ne pas prêter attention à ses propres sensations de satiété et d’utiliser l’horloge plutôt que la faim pour décider du moment de manger.

« Ignorer ces signaux corporels, en particulier, était associé au fait d’avoir des cauchemars », a déclaré Nielsen.

 

NOS HABITUDES ALIMENTAIRES INFLUENCENT NOTRE SOMMEIL

En plus des suspects habituels, comme la caféine et l'alcool, les aliments ultra-transformés, le sucre et les glucides raffinés peuvent nuire à une bonne nuit de sommeil, explique Marie-Pierre St-Onge, directrice du Center of Excellence for Sleep and Circadian Research à l’Université Columbia.

Ses recherches ont montré que consommer davantage de fruits et légumes peut entraîner un sommeil moins fragmenté, tandis que plus de fibres, de céréales complètes et de noix sont bénéfiques pour un meilleur sommeil global. À l’inverse, les régimes pauvres en fibres et riches en graisses saturées sont associés à un sommeil plus léger, moins réparateur et marqué par des réveils plus fréquents.

Et si une mauvaise alimentation peut causer un mauvais sommeil, un sommeil insuffisant peut à son tour compliquer le maintien d’un régime équilibré, selon les recherches d’Erica Jansen, épidémiologiste nutritionnelle à l’Université du Michigan.

« Quand on fait venir des personnes au laboratoire et qu’on les prive de sommeil, que ce soit une nuit entière de privation ou en limitant leur sommeil à quatre ou cinq heures, elles mangent différemment le lendemain », dit-elle. « Elles consomment plus de calories. Elles ont davantage d’envies d’aliments riches en énergie. Elles choisissent de manger plus de glucides raffinés, plus de graisses. »

Les mécanismes derrière ce phénomène ne sont pas clairs, mais Jansen indique que des hormones comme la leptine et la ghréline, connues pour influencer l’appétit, sont altérées par le manque de sommeil.

Si une alimentation trop riche conduit à un mauvais sommeil, est-ce que cela a un lien avec les cauchemars ? Peut-être.

Jansen suppose que se réveiller plus fréquemment, un schéma associé à des aliments comme le fromage, riches en graisses saturées, peut perturber l’équilibre entre le sommeil paradoxal (REM, rapid eye movement) et le sommeil non-REM. La plupart des rêves se produisent durant le sommeil paradoxal, et vous êtes plus susceptible de vous souvenir d’un rêve si vous vous réveillez en plein milieu, explique Jansen : « Je pense qu’un mécanisme possible pourrait être que les gens se réveillent davantage et s'en souviennent donc plus souvent. »

 

POURQUOI LE FROMAGE EN PARTICULIER ?

Si les mauvais rêves sont causés par une alimentation généralement peu équilibrée, et que l’effet cauchemardesque du fromage est surtout limité aux personnes intolérantes au lactose, comment le fromage a-t-il acquis une si mauvaise réputation ?

Lucy Long, folkloriste universitaire, directrice du groupe éducatif à but non lucratif Center for Food and Culture et autrice de The Food and Folklore Reader, suppose que l’association entre le fromage et les cauchemars est une croyance relativement marginale et récente. L’idée que le fromage serait responsable d’un mauvais sommeil n’est pas répandue dans de nombreuses cultures, et au contraire, le lait chaud est souvent considéré comme garant d’un sommeil paisible.

« Quand les gens disent : “Oh, c’est du folklore”, parfois c’est en réalité quelque chose qui a été créé dans la culture populaire ou par le marketing. »

Il est possible que l’idée selon laquelle le fromage provoque des cauchemars doive simplement sa popularité à Winsor McCay et à son Rarebit Fiend.