La consommation excessive d’alcool liée à des hémorragies cérébrales plus graves

Nov 14, 2025 - 08:20
La consommation excessive d’alcool liée à des hémorragies cérébrales plus graves

On sait depuis longtemps que la consommation excessive d’alcool fait augmenter la tension artérielle et endommage le foie. Mais de nouvelles recherches suggèrent qu’une telle consommation pourrait également infliger des dégâts dévastateurs au cerveau, notamment en provoquant des AVC hémorragiques potentiellement mortels.

L’étude dont il est question, publiée dans la revue Neurology, révèle que les participants ayant bu trois verres d’alcool ou plus par jour voyaient survenir des hémorragies cérébrales onze ans plus tôt en moyenne que les buveurs modérés ou que les abstinents et qu’ils s’exposaient à des conséquences plus graves (hémorragies et lésions cérébrales plus importantes et mortalité plus élevée).

« Une consommation excessive d’alcool peut non seulement accroître le risque d’hémorragie cérébrale à un plus jeune âge, mais également aggraver les dégâts sous-jacents quand il en survient une », prévient Edip Gurol, auteur principal de l’étude et directeur de la Clinique de prévention des AVC hémorragiques du Massachusetts General Hospital.

Cette étude est observationnelle, ce qui signifie qu’elle ne prouve pas de lien de cause à effet, et elle se fonde sur la consommation d’alcool déclarée par les participants, ce qui rend possible une sous-estimation des niveaux de consommation réels. Ses résultats aident néanmoins les chercheurs à combler certaines lacunes dans leurs connaissances. « C’est une étude très précieuse qui vient s’ajouter à ce que nous savons déjà sur les effets de l’alcool sur le cerveau », affirme Faye Begeti, neurologue praticienne des Hôpitaux universitaires d’Oxford n’ayant pas pris part à l’étude.

Voici comment cette étude s’inscrit dans l’ensemble des recherches sur les effets de l’alcool sur le cerveau et sur le corps et les pistes qui s’ouvrent désormais à la science.

 

COMMENT L’ALCOOL NUIT AU CERVEAU

Les AVC hémorragiques (ou hémorragies intracérébrales) surviennent lorsqu’un vaisseau sanguin affaibli se rompt et provoque un saignement dans le tissu cérébral environnant. Ceux-ci ne représentent que 10 à 20 % de tous les AVC chaque année, mais sont bien plus mortels et nuisibles que les AVC ischémiques, bien plus fréquents.

« Trente à quarante pourcents environ des personnes ayant une hémorragie intracérébrale meurent et beaucoup de rescapés gardent des séquelles durables », explique Kevin Sheth, directeur du Centre de la santé cérébrale et mentale de l’Université Yale et directeur du Groupe sur les AVC hémorragiques de l’Association américaine du cœur, qui n’a pas pris part aux présentes recherches.

La consommation excessive d’alcool accroît le risque d’hémorragie intracérébrale par le biais de plusieurs mécanismes qui se recoupent. L’un d’eux est « l’accélération de l’atrophie cérébrale par l’alcool, chose qui signifie que le cerveau rétrécit légèrement tandis que le crâne conserve la même taille, ce qui étire des veines fragiles et les rend plus susceptibles de rompre, même en cas de traumatisme mineur », explique Faye Begeti.

L’alcool déstabilise également la tension artérielle, altère le fonctionnement des plaquettes sanguines (les cellules du sang qui contribuent à la formation des caillots) et endommage le foie, ce qui a pour effet de perturber la coagulation normale. Avec le temps, cela peut également causer des lésions au niveau de petits vaisseaux du cerveau et ainsi conduire à des fuites microscopiques ou « micro-hémorragies » qui affaiblissent les parois des vaisseaux. « En résulte une plus grande tendance à saigner, et à saigner de manière plus abondante lorsqu’une hémorragie débute », explique Kevin Sheth.

 

AU CŒUR DE LA NOUVELLE ÉTUDE

L’étude a analysé plus de 1 600 patients admis au Massachusetts General Hospital entre 2003 et 2019 pour des hémorragies cérébrales spontanées et non traumatiques. On a classé 7 % d’entre eux environ comme des consommateurs excessifs, c’est-à-dire des personnes buvant trois verres d’alcool ou plus par jour.

Des hémorragies survenaient chez ces grands buveurs onze ans plus tôt que chez leurs homologues buvant avec modération ; en moyenne à 60 ans contre 71 ans pour les autres. Les chercheurs estiment que ce décalage temporal est lié aux effets de l’alcool sur le vieillissement vasculaire et la fragilité des vaisseaux sanguins.

Par exemple, par rapport aux buveurs modérés ou aux abstinents, ces patients présentaient une tension artérielle plus élevée et un nombre inférieur de plaquettes sanguines. « Il est important de noter que les scanners cérébraux montraient davantage de lésions et d’atteintes des petits vaisseaux », ajoute Faye Begeti.

L’imagerie a en outre révélé que les consommateurs excessifs d’alcool avaient des hémorragies plus importantes et plus fréquemment des extensions intraventriculaires (un saignement qui se propage dans les cavités remplies de liquide du cerveau et qui est un marqueur associé à une mortalité plus élevée). « Ensemble, ces résultats viennent souligner le fait qu’une consommation excessive d’alcool semble accélérer le vieillissement vasculaire dans le cerveau », note Faye Begeti.

Bien que de précédentes études aient suggéré un lien entre la consommation excessive d’alcool et le vieillissement vasculaire du cerveau, Edip Gurol note que la plupart de celles-ci n’ont pas bénéficié d’une imagerie détaillée qui aurait permis de révéler les mécanismes biologiques sous-jacents. « C’est l’étude la plus vaste à inclure la tomodensitométrie du cerveau chez tous les patients et des IRM chez 75 % d’entre eux environ », rappelle Edip Gurol. Cela a permis à l’équipe d’identifier des changements structurels dans le cerveau et de mieux comprendre les façons dont l’alcool contribue au risque de saignement.

Selon Clifford Segil, neurologue du Providence Saint John’s Health Center de Santa Monica n’ayant pas pris part aux recherches, les résultats montrent clairement que les grands buveurs qui subissent des hémorragies « vont connaître des saignements plus importants et leur potentiel de récupération sera réduit à cause des effets de l’alcool sur la tension artérielle et le taux de plaquettes ».

Ces résultats, ajoute Kevin Sheth, « arrivent à point nommé et sont pertinents d’un point de vue clinique ».

 

CE QU’IL FAUT RETENIR

Comme pour toute étude observationnelle, les présentes recherches ne peuvent pas mettre en évidence de lien de cause à effet. « Les essais contrôlés randomisés, l’étalon or pour prouver un lien de cause à effet, ne sont pas faisables lorsque l’on étudie la consommation excessive d’alcool, car nous ne pouvons à l’évidence pas demander à des personnes de boire énormément pour voir comment cela leur nuit », explique Edip Gurol.

L’équipe s’est également appuyée sur une consommation d’alcool auto-déclarée, une donnée peu fiable par nature. « Il est possible que certains grands buveurs ou leur famille aient sous-déclaré leur consommation d’alcool, ce qui veut dire que quelques-uns ont pu être classés à tort comme des consommateurs non excessifs, explique Edip Gurol. Les sous-déclarations de ce type minorent probablement l’impact réel, donc l’effet réel est possiblement plus fort que ce que nous avons observé. »

Pour étayer tout travail ultérieur, Edip Gurol suggère que les recherches complémentaires « impliquent de plus grands groupes de patients et aient recours à une imagerie cérébrale de haute qualité, comme dans notre cas, mais avec des données plus précises et collectées de manière prospective sur les habitudes de consommation ».

En attendant, ce qu’il faut retenir est clair. « Cette étude vient s’ajouter au nombre croissant d’éléments probants indiquant que la consommation d’alcool ne comporte aucun bénéfice médical et souligne combien la consommation chronique d’alcool peut être préoccupante », affirme Clifford Segil.

Au-delà des hémorragies cérébrales, « la consommation excessive d’alcool nuit à presque tous les organes du corps », observe Edip Gurol. Cela accroît le risque d’accident, de tension artérielle élevée, de fibrillation auriculaire, de maladie du foie, de maladies cardiaques, de contracter divers cancers et de déclin cognitif.

À l’inverse, réduire sa consommation apporte des bienfaits mesurables, notamment une diminution de la tension artérielle (souvent en l’espace de quelques semaines), une amélioration de la santé du foie et du cœur et une réduction du risque d’AVC et de lésions cérébrales microvasculaires au fil du temps.

Cela est particulièrement important, car les options de traitement pour certains types d’AVC demeurent limitées. « Nous ne disposons pas encore de traitement profond ayant fait ses preuves qui soit susceptible d’améliorer le pronostic lorsqu’un AVC hémorragique se produit, souligne Edip Gurol. Cela rend la prévention absolument essentielle. »