Cette salle "secrète" renfermerait une œuvre inconnue de Michel-Ange

FLORENCE, ITALIE – En 1975, Paolo Dal Poggetto, alors directeur du Musée des chapelles Médicis de Florence, découvrit par hasard un trésor de la Renaissance.
Alors qu’ils cherchaient un emplacement pour créer une nouvelle sortie pour les visiteurs, Paolo Dal Poggetto et ses collègues tombèrent sur une trappe cachée sous une armoire près de la Nouvelle Sacristie, une chambre abritant les tombes ornementées des dirigeants Médicis. Sous la trappe, des marches de pierre menaient à une salle oblongue qui, à première vue, semblait n’être qu’un espace servant au stockage du charbon.
Mais sur les murs, Paolo Dal Poggetto et ses collègues découvrirent ce qu’ils croient aujourd’hui encore être des esquisses au fusain et à la craie réalisées par le célèbre Michel-Ange. Jusqu’à ce jour, la pièce est demeurée en grande partie inaccessible. Mais ce 15 novembre, elle a ouvert au public à titre expérimental ; il faudra débourser 20 euros pour y accéder. Quatre par quatre, les visiteurs, accompagnés par la sécurité du musée, sont désormais autorisés à y passer quinze minutes, pas plus.
Accessible par un escalier étroit, la salle mesure 10 mètres sur 3 et 2,40 m de hauteur. En 2017, Monica Bietti, alors directrice des chapelles Médicis, a accordé au photographe National Geographic Paolo Woods un accès rare à la pièce pour qu’il puisse en immortaliser le contenu.
Si l’œuvre est encore visible de nos jours, c’est parce que Paolo Dal Poggetto ne prit aucun risque lorsqu’il pénétra pour la première fois dans cet espace. Étant donné qu’il s’agit de Florence, berceau de nombreux éminents artistes de la Renaissance, il se doutait que quelque chose de précieux était susceptible de se cacher sous les couches de plâtre.
« Nous avons des bâtiments très anciens, nous devons faire attention », confiait Monica Bietti à National Geographic en 2017. Étant donné que les esquisses ne sont ni signées ni datées, deux questions demeurent : qui les a dessinées ? Et quand ?
UN ARTISTE CLANDESTIN ?
Sous la houlette de Paolo Dal Poggetto, des spécialistes passèrent plusieurs semaines à ôter méticuleusement le plâtre à l’aide de scalpels. En s’effaçant, le revêtement laissa la place à des dizaines de dessins, dont bon nombre rappellent l’excellence du travail de Michel-Ange. Juste au-dessus de la pièce, dans la Nouvelle Sacristie, se trouve d’ailleurs, sur la tombe de Julien de Médicis, une sculpture en marbre imaginée par nul autre que Michel-Ange.
Paolo Dal Poggetto parvint à la conclusion que l’artiste s’était réfugié à l’intérieur de la pièce pendant deux mois environ en 1530 afin de se cacher de la famille Médicis. En effet, en 1527, une révolte populaire avait entraîné l’exil des Médicis, et bien qu’ils aient été les mécènes de Michel-Ange, ce dernier les avait trahis en prenant fait et cause pour ses concitoyens florentins, qui s’élevaient contre eux.
Lorsqu’ils revinrent au pouvoir, quelques années plus tard, la vie de l’artiste de cinquante-cinq ans fut menacée. « Naturellement, Michel-Ange avait peur, fait observer Monica Bietti. Et il a décidé de loger dans cette pièce. »
Monica Bietti soupçonne Michel-Ange d’avoir passé ses semaines d’isolement à faire le bilan de sa vie et de son œuvre. Les dessins sur les murs représentent selon elle des œuvres qu’il avait l’intention de terminer ainsi que des chefs-d’œuvre qu’il avait achevés plusieurs années auparavant, et notamment un détail de la statue de David (terminée en 1504) et des personnages de la chapelle Sixtine (dévoilée en 1512).
« C’était un génie porté par sa créativité sans bornes. Qu’allait-il bien pouvoir faire ici ? Eh bien, dessiner », commente-t-elle.
DES DOUTES PERSISTANTS
Comme pour toute œuvre pluriséculaire, il est impossible de confirmer les origines des dessins avec une certitude absolue. Le consensus semble être que certaines esquisses sur le mur témoignent de bien trop d’amateurisme pour être l’œuvre de Michel-Ange lui-même. Mais la provenance du reste d’entre elles est affaire d’opinion.
Après la découverte de 1975, une autorité éminente en matière d’art de la Renaissance reconnut cette collection d’esquisses comme l’une des découvertes artistiques majeures du 20e siècle. Mais William Wallace, spécialiste de Michel-Ange de l’Université Washington à Saint-Louis, demeure sceptique.
Selon lui, Michel-Ange était bien trop important pour se terrer dans cette pièce cachée. Il est bien plus probable qu’un de ses autres mécènes l’ait hébergé. Il soupçonne également les dessins d’avoir été réalisés plus tôt, dans les années 1520, quand Michel-Ange et ses nombreux assistants cessaient momentanément de poser des briques et de découper du marbre dans la Nouvelle Sacristie qu’ils construisaient juste au-dessus.
Étant donné ces incertitudes, William Wallace conteste l’épithète « secret » qu’on accole à cet espace. La pièce contient un puits que Michel-Ange et ses assistants auraient pu selon lui utiliser pour mélanger le mortier et le plâtre, laver leurs outils et boire durant les mois chauds de l’été. Ils montaient et descendaient probablement ces escaliers toute la journée, ainsi qu’il le confiait à National Geographic en 2017 et ainsi qu’il l’a réaffirmé récemment par e-mail. « Ce n’était pas une salle "secrète", elle faisait partie intégrante du bâtiment. »
Selon lui, plusieurs dessins sont susceptibles d’être des originaux de Michel-Ange, mais d’autres sont vraisemblablement des portraits réalisés par des ouvriers cherchant à trancher un dilemme artistique ou s’amusant tout simplement durant leurs pauses.
« Il est quasiment impossible de distinguer l’un de l’autre », affirme-t-il. Toutefois, il ajoute que le mystère de l’identité de la personne ayant réalisé les dessins n’enlève rien à leur valeur, ni à l’importance de leur découverte.
« C’est palpitant de se trouver dans cette pièce. Vous vous sentez privilégié, indique-t-il. Vous avez l’impression d’être plus près du processus de création d’un maître et plus près de ses élèves et de ses assistants. »
La pièce suscite l’émotion chez ceux qui sont assez chanceux pour y pénétrer. À se tenir là, entre ses quatre murs faiblement éclairés par une petite fenêtre percée dans un coin, on aurait presque l’impression de regarder dans la tête de Michel-Ange, dont le talent inonde le bâtiment.
« C’est quelqu’un qui avait une capacité infinie, fait observer William Wallace. Il a vécu jusqu’à l’âge de 89 ans et n’a jamais cessé de s’améliorer. »