Traitement de l'insomnie : la mélatonine et le magnésium sont-ils vraiment efficaces ?
Les somnifères naturels, comme les compléments à base de mélatonine et de magnésium, la racine de valériane et le jus de griotte, sont souvent vantés par des personnes peinant à trouver le sommeil. Mais peuvent-ils vraiment aider à s’endormir et à rester endormi ?
Selon l’Académie américaine de médecine, 50 à 70 millions de personnes aux États-Unis sont confrontées à des problèmes de sommeil chroniques et, ensemble, les Américains, dépensent 58 milliards d’euros chaque année en somnifères. En France, 30 à 50 % des adultes déclarent la présence d’un trouble du sommeil, selon Santé publique France. Mais malgré un marché mondial en plein essor, l’efficacité des somnifères naturels est probablement très limitée.
Les spécialistes s’accordent à dire que ces compléments ne combattent pas ce qui est à la racine de l’insomnie : l’anxiété. « L’insomnie est une maladie », rappelle Michael Grandner, psychologue clinicien et directeur du Programme de recherche sur le sommeil et la santé de l’Université d’Arizona. Par définition, « les compléments ne traitent pas les maladies », ajoute-t-il.
Les preuves quant à l’efficacité des compléments pour aider à l’endormissement manquent largement à l’appel. Très peu d’études de grande qualité ont testé leur action, explique Michael Grandner, tandis que celles qui analysent rigoureusement ces produits montrent souvent qu’ils n’entraînent aucun changement en ce qui concerne la qualité du sommeil si ce n’est de très subtils effets.
Janet Cheung, maîtresse de conférences en pratique pharmaceutique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Sydney, préconise de consulter son médecin avant d’essayer toute aide au sommeil.
« Certaines personnes ne devraient pas prendre ces compléments, surtout les femmes enceintes », prévient-elle. Car en effet, nous ne savons pas encore comment ces compléments pourraient affecter les membres de certains groupes, comme les personnes enceintes et les enfants.
Mais cela ne signifie pas nécessairement que les somnifères naturels n’ont pas d’effets ; après tout, les gens doivent bien croire qu’ils en tirent un certain bénéfice, puisqu’ils dépensent des centaines d’euros par an pour s’en procurer. Voici ce que dit la science des compléments naturels populaires censés favoriser le sommeil ; et lesquels fonctionnent mieux que les autres.
CAMOMILLE
Le mot camomille désigne plusieurs plantes appartenant à la famille des Astéracées utilisées comme plantes médicinales depuis l’Antiquité. Malgré sa popularité, les études sur les effets de la camomille sur le sommeil donnent des résultats contrastés.
Un essai contrôlé randomisé a par exemple suggéré que la camomille améliorait la qualité du sommeil chez les personnes âgées, mais une autre ayant porté sur des personnes souffrant d’insomnies n’a mis en évidence aucun effet.
Comment alors expliquer ces résultats contradictoires ? En partie par l’effet placebo : toute substance peut avoir un effet important quand il s’agit du sommeil. À vrai dire, tout rituel effectué autour de l’heure du coucher peut aider à s’endormir plus vite, ainsi que le rappelle Chris Winter, spécialiste du sommeil, neurologue et animateur du podcast Sleep Unplugged.
« Chaque fois que vous prenez cette douche ou lisez ce livre ou regardez cette émission de télévision juste avant le coucher, si vous le faites selon un horaire régulier, votre cerveau commence à reconnaître que cela signifie que vous vous apprêtez à dormir », explique Chris Winter.
Et cela vaut pour les produits censés favoriser le sommeil ; l’acte même de prendre un complément en fait davantage pour signaler au cerveau qu’il est temps de dormir que le complément lui-même. Cet effet est si fort qu’il est très dur pour les chercheurs de montrer que les compléments censés favoriser le sommeil sont plus efficaces qu’un placebo.
En outre, Janet Cheung souligne que le principal mode de consommation de la camomille est par la boisson, sous la forme de thés. « Il faudrait boire une quantité considérable de thé à la camomille pour atteindre les niveaux observés dans des études contrôlées randomisées. »
MÉLATONINE
La mélatonine est une hormone qui régule le cycle veille-sommeil. Notre cerveau en produit lorsque l’obscurité s’installe dans notre environnement pour signaler au corps qu’il est temps de se détendre.
Des preuves indiquent que la mélatonine peut aider les personnes dont l’horloge circadienne est décalée à s’endormir plus vite. Le décalage du rythme circadien se produit quand l’horloge interne d’une personne n’est pas synchronisée avec son environnement et affecte souvent les travailleurs postés ou les voyageurs souffrant du décalage horaire. Certaines études suggèrent également que cela pourrait également aider les personnes insomniaques.
Mais les spécialistes mettent en garde, il ne faut en prendre que sur de courtes périodes. Prendre de la mélatonine sur le long terme pourrait être néfaste, car celle-ci incite l’organisme à réduire sa propre production naturelle de mélatonine. En outre, ils insistent sur le fait que les parents ont tout intérêt à y réfléchir à deux fois avant d’en donner à leurs enfants, les effets à long terme chez les plus jeunes n’ayant pas encore été étudiés.
Chris Winter insiste sur le fait que la mélatonine n’est pas nécessaire pour s’endormir, car ce n’est pas un sédatif et qu’elle ne nous fait pas dormir. Elle signale en fait au reste du corps que c’est la nuit, place le corps dans un état de repos, nous donne plus d’occasions de nous endormir. La mélatonine ne fait pas grand-chose pour apaiser l’anxiété et la peur de ne pas dormir, véritable raison qui nous empêche de trouver le sommeil, explique Michael Grandner.
« En ce qui concerne la plupart des parents insomniaques, leur corps sait déjà qu’il fait nuit, mais ils n’arrivent tout de même pas à dormir », ajoute-t-il. Lui et d’autres experts s’accordent à dire que le traitement le plus efficace contre l’insomnie est la thérapie cognitivo-comportementale qui, selon lui toujours, est « étonnamment efficace ».
JUS DE GRIOTTE
La mélatonine se présente également sous d’autres formes, dont le jus de griotte, une boisson de plus en plus populaire qui favoriserait le sommeil et ferait baisser la tension artérielle.
Les cerises griottes ont une teneur naturellement élevée en mélatonine si bien que leur jus pourrait avoir des effets similaires aux compléments à base de mélatonine. « Ils sont probablement identiques sur le plan moléculaire, affirme Michael Grandner. Si vous deviez choisir entre les deux, je dirais prenez ce qui vous fait vous sentir le mieux. Mais je ne pense pas qu’il y ait une différence fonctionnelle. »
D’après les experts, comme pour les autres aides naturelles au sommeil, les preuves sont insuffisantes pour pouvoir conclure que le jus de griotte améliore considérablement le sommeil. Cependant, quelques petites études donnent des résultats prometteurs.
Un essai contrôlé randomisé a montré que le jus de griotte améliore légèrement la qualité du sommeil chez les personnes âgées, mais les résultats étaient modestes par rapport à des interventions telles que la thérapie cognitivo-comportementale.
MAGNÉSIUM
Le magnésium est une autre molécule qui joue un rôle important dans de nombreuses fonctions corporelles, comme l’absorption de la vitamine D. Mais rien ou presque n’indique que les compléments à base de magnésium améliorent le sommeil.
Seule une poignée d’essais contrôlés randomisés ont testé les effets du magnésium sur le sommeil et les revues systématiques de ces études ont révélé qu’elles étaient souvent de mauvaise qualité et donnaient des résultats contradictoires.
En outre, la plupart de ces études portent sur des personnes âgées, explique Michael Grandner. Leurs résultats sont donc susceptibles de ne pas s’appliquer à tout un chacun.
Il y a plus d’éléments indiquant que la prise de magnésium réduit l’anxiété légère et améliore l’humeur, ce qui, indirectement, pourrait aider à mieux dormir. Mais la manière exacte dont le magnésium soulage l’anxiété n’est pas claire et il est peu probable qu’il soit d’aucune aide aux personnes souffrant d’anxiété sévère.
Michael Grandner souligne que « l’effet est généralement très subtil ». Par exemple, des études suggèrent que les personnes prenant du magnésium s’endorment dix-sept minutes plus vite. « Ce n’est pas un effet énorme, mais ce n’est pas rien. »
RACINE DE VALÉRIANE
La racine de valériane est une plante originaire d’Europe et de certaines régions d’Asie connue pour ses propriétés légèrement sédatives. Les études menées sur ses influences sur le sommeil ont donné des résultats contradictoires.
Certaines études de grande qualité ont montré qu’elle pourrait aider à s’endormir plus vite et à avoir l’impression de mieux dormir. Cependant, d’autres études n’ont mis en évidence aucun effet sur la qualité du sommeil et suggèrent qu’elle ne permet probablement pas de traiter l’insomnie ; davantage de recherches sont nécessaires.
Selon Janet Cheung, nous en savons un peu plus sur les effets de la racine de valériane sur le cerveau. Les scientifiques émettent l’hypothèse qu’elle pourrait faire augmenter la quantité d’acide gamma-aminobutyrique (GABA) dans le cerveau. Le GABA est un neurotransmetteur qui a pour effet général d’inhiber l’activité neuronale et qui pourrait ainsi soulager l’anxiété.
CBD
Le cannabidiol (CBD) est la molécule non psychoactive présente dans le cannabis. Contrairement à d’autres produits favorisant potentiellement le sommeil, le CBD est connu pour travailler sur le système cannabinoïde, un réseau complexe de communication présent dans tout le corps et impliqué dans la régulation de l’appétit, du système immunitaire et de la mémoire.
Des études et des analyses ont montré que le CBD pourrait atténuer la douleur et l’anxiété, mais ses effets sur le sommeil demeurent incertains.
Janet Cheung cherche actuellement à savoir si les cannabinoïdes en vente libre peuvent traiter l’insomnie. « Il existe de nombreuses recherches sur la relation bidirectionnelle entre sommeil et douleur et entre sommeil et anxiété », explique-t-elle ; soulager l’un pourrait donc avoir un effet bénéfique sur l’autre.
Mais cela signifie aussi qu’il est difficile de distinguer les effets des cannabinoïdes favorisant le sommeil des effets soulageant la douleur et le stress.
Janet Cheung souligne néanmoins qu’il s’agit « d’un domaine de recherche vraiment palpitant ». Si les scientifiques parviennent effectivement à établir le lien, les personnes qui ont du mal à s’endormir disposeront d’un nouvel outil dans leur arsenal d’aides naturelles au sommeil.