Une bactérie capable de “faire la morte” aurait été envoyée accidentellement sur Mars par la NASA

Oct 27, 2025 - 12:30
Une bactérie capable de “faire la morte” aurait été envoyée accidentellement sur Mars par la NASA

Pour construire un vaisseau spatial, il faut un environnement de fabrication extrêmement propre. C’est essentiel si l’on envoie un robot sur une autre planète pour y chercher des traces de vie microbienne extraterrestre : on ne voudrait pas confondre un passager clandestin terrestre avec la première preuve d’une vie venue d’ailleurs. C’est tout aussi vital si l’on veut protéger les astronautes de microbes potentiellement dangereux lors de longs voyages spatiaux, vers la Station spatiale internationale, la Lune ou Mars.

C’est pourquoi les engins spatiaux sont souvent assemblés dans des salles blanches, parmi les environnements les plus stériles de la planète. Pourtant, il y a une dizaine d’années, les scientifiques ont été stupéfaits de découvrir un nouveau type de bactérie ayant envahi non pas une, mais deux salles blanches distinctes, situées à des milliers de kilomètres l’une de l’autre.

Cette bactérie, Tersicoccus phoenicis, s’est révélée inoffensive. Mais sa présence a soulevé des inquiétudes : elle semblait être là depuis un certain temps avant sa découverte, tout en ayant réussi à passer inaperçue et à résister aux protocoles de stérilisation les plus rigoureux. Comment avait-elle pu se cacher aussi longtemps ?

Dans une étude récente publiée dans la revue Microbiology Spectrum, des chercheurs ont percé le secret de cette bactérie insaisissable : T. phoenicis peut entrer dans un état de dormance profonde, la rendant indétectable. « Elle n’était pas morte. Elle faisait semblant de l’être, » explique Madhan Tirumalai, microbiologiste à l’Université de Houston et co-auteur de l’étude. « Elle était simplement en sommeil. »

Depuis la découverte de T. phoenicis, d’autres microbes mystérieux ont été retrouvés dans les salles blanches des agences spatiales, et certains, encore inconnus, pourraient s’y cacher. « Un grand nombre d’entre eux pourraient poser problème, » prévient William Widger, biologiste et biochimiste à l’Université de Houston et également co-auteur de l’étude.

 

DES MICROBES ULTRA-RÉSISTANTS

Tous les vaisseaux spatiaux n’ont pas besoin d’être d’une propreté absolue : un télescope spatial, par exemple, n’est pas menacé par une poussière égarée. M

ais si vous fabriquez un rover destiné à chercher des microbes extraterrestres, vous ne voulez surtout pas que des bactéries terrestres s’y invitent. Et les astronautes eux-mêmes souhaitent éviter d’être exposés à des bactéries, champignons ou virus pathogènes.

Certaines salles blanches sont donc maintenues dans un état de propreté extrême. Des filtres à air éliminent en continu poussières et particules, tandis qu’une pression d’air légèrement supérieure empêche toute infiltration extérieure. Des produits biocides, lampes UV, rayonnements radioactifs et gaz microbicides assurent la stérilisation des surfaces. Des périodes prolongées de chauffage sec au-dessus du point d’ébullition de l’eau éliminent les moindres traces d’humidité.

Malgré ces efforts, même sans nourriture et sous attaque constante, certains microbes parviennent à survivre.

 

SURVIVRE ET PROSPÉRER EN MILIEU STÉRILE

L’environnement extrême des salles blanches pourrait même favoriser l’émergence de nouvelles stratégies de survie. Les agences spatiales inspectent donc régulièrement ces lieux en prélevant des échantillons sur les surfaces, ensuite placés dans des milieux nutritifs pour voir si des cellules se multiplient. Même lorsque rien ne pousse, les chercheurs vérifient la présence éventuelle de fragments d’ADN laissés par des micro-organismes morts ou inactifs.

Ces dernières années, des centaines d’espèces bactériennes, dont plusieurs n'ayant jamais été documentées, ont été identifiées dans les salles d’assemblage de la NASA et de l’ESA. Rien qu’en 2025, des scientifiques ont découvert vingt-six nouvelles bactéries dans deux salles blanches spatiales

« Il existe toujours une grande diversité microbienne, même dans les salles blanches et sur les engins spatiaux, » explique Nils Averesch, biologiste spatial à l’Université de Floride. Certaines bactéries ont même été détectées sur la coque extérieure de la Station spatiale internationale, exposées directement au vide spatial.

Certaines survivent en consommant les produits de nettoyage censés les détruire. D’autres se transforment en spores, de véritables boucliers biologiques : « Sous forme de spores, elles peuvent rester inertes pendant des millions d’années jusqu’à trouver les bonnes conditions pour germer à nouveau, » précise Tirumalai. Une autre stratégie consiste à entrer en dormance. « Elles sont rusées : elles se mettent en mode sommeil, » poursuit-il.

Beaucoup de bactéries se réveillent dès qu’on leur fournit des nutriments. Mais certaines, même nourries, restent silencieuses et inactives : elles se dissimulent totalement. « On les prélève, on les met en culture, et elles ne poussent pas, » explique Widger.

C’est précisément le cas de T. phoenicis.

 

RENAISSANCE DU MINUSCULE PHÉNIX

En 2007, des ingénieurs préparant l’atterrisseur martien Phoenix de la NASA ont prélevé des échantillons dans sa salle blanche du Kennedy Space Center, en Floride. Grâce à ces prélèvements et à des analyses d’ADN, les scientifiques ont annoncé en 2013 la découverte de Tersicoccus phoenicis — simultanément détectée au Kennedy Space Center et dans une salle blanche de l’Agence spatiale européenne en Guyane française, à 4 000 kilomètres de là.

C’était la première fois qu’un nouveau microbe était retrouvé dans deux salles blanches éloignées.

En étudiant son génome, les chercheurs ont découvert qu’il possédait le gène d’une protéine appelée « facteur de promotion de la résurrection » (Resuscitation Promoting Factor ou Rpf), capable de « réveiller » d’autres bactéries porteuses du même gène.

Pour le vérifier, l’équipe de Tirumalai a privé la bactérie de nutriments et l’a desséchée. Les cellules sont immédiatement entrées en dormance. Une fois réhydratées, la plupart ne se sont pas réveillées. Quelques-unes ont recommencé à croître, mais seulement après plusieurs jours.

Cette capacité à demeurer invisible et indétectable expliquait pourquoi elle avait échappé aux contrôles pendant des années. « Mais dès qu’on ajoute de la Rpf : boum ! » révèle Madhan Tirumalai. « Elle a besoin de Rpf pour se réveiller. » Si la Rpf n’existe pas naturellement dans les salles blanches, elle est sécrétée par certaines bactéries de la peau humaine.

« Vous en avez, j’en ai, » explique William Widger. Ainsi, un T. phoenicis embarqué sur un vaisseau spatial trouverait rapidement de quoi sortir de sa dormance et reprendre vie.

 

A-T-ON ENVOYÉ DES MICROBES SUR MARS ?

Rien ne prouve que T. phoenicis ait survécu dans le vide spatial, mais la question reste ouverte. L’atterrisseur Phoenix est parti chercher des traces d’eau et de molécules organiques dans l’Arctique martien. Les chances qu’une bactérie survive à la surface de Mars sont toutefois extrêmement faibles. Toute découverte future de microbe martien serait de toute façon comparée aux bactéries connues des salles blanches.

Le véritable enjeu concerne les salles blanches elles-mêmes, et les humains qui y travaillent. « La dormance ne concerne pas seulement la protection planétaire, mais aussi les environnements humains, » souligne Tirumalai.

Des bactéries pathogènes capables d’imiter la stratégie de T. phoenicis pourraient causer des ravages dans les hôpitaux, les laboratoires ou les usines pharmaceutiques. « Ce qui est inconnu fait plus peur que ce qui est connu, » résume Widger.

 

RIPOSTE CONTRE LES MICROBES FURTIFS

L’équipe recommande de rechercher plus systématiquement les traces d’ADN laissées par les micro-organismes dormants. Une autre stratégie, paradoxale, serait de les réveiller intentionnellement : la Rpf pourrait permettre de les détecter et de les éliminer. « Si on trouve comment les réveiller, alors les antibiotiques habituels pourront les tuer, » explique Widger.

Les vols spatiaux de courte durée ne sont probablement pas menacés par ces microbes furtifs : les astronautes de la Station spatiale internationale n’ont jamais contracté d’infections graves.

Mais pour les voyages habités de longue durée vers la Lune ou Mars, les astronautes subiront de longues quarantaines avant le départ — ce qui n’empêche pas que des microbes dormants puissent déjà les attendre à bord.

La dormance n’est d’ailleurs pas la seule méthode de camouflage microbien. Des expériences récentes ont montré que certaines bactéries changent de forme et de comportement biologique lorsqu’elles sont exposées à des conditions similaires à celles de Mars. Et les voyages spatiaux affaiblissent le système immunitaire humain.

Quiconque rêve d’établir une présence durable sur la Lune ou sur Mars ferait bien de ne pas sous-estimer le royaume bactérien. Une base hors du monde devra produire sa propre nourriture. « Et si vous apportez des plantes, vous embarquerez avec tout un cortège de microbes, » rappelle Nils Averesch.

Espérons simplement qu’ils soient du bon côté.