Le bleu de méthylène peut-il vraiment booster votre cerveau ?

Vous avez récemment aperçu quelqu’un avec la langue bleue ? Cette tache pourrait en vérité être un effet secondaire d’une nouvelle tendance en matière de santé.
Les passionnés du biohacking ont recours à une substance appelée bleu de méthylène, qu’ils prennent chaque jour, comme un complément alimentaire, avant de partager des vidéos donnant à voir leur langue tachée sur TikTok. Les utilisateurs affirment que le composé hautement coloré, originellement utilisé comme colorant pour tissu avant que l’on s’en serve dans l’industrie médicale, peut améliorer les fonctions cognitives, booster l’énergie et l’humeur, et pourrait prévenir la maladie d’Alzheimer.
QU’EST-CE QUE LE BLEU DE MÉTHYLÈNE ?
L’histoire du bleu de méthylène remonte à la fin du 19e siècle, quand il était synthétisé en tant que colorant textile.
Ce colorant bleu très en vogue sur les réseaux sociaux aujourd’hui a été inventé en 1876 par le chimiste allemand Heinrich Caro. Alors qu’il cherchait de nouveaux colorants pour coton dérivés de l’industrie du charbon, l’une de ses expériences a créé, par accident, un composé bleu vif.
La structure chimique du bleu de méthylène lui donne sa couleur bleue si particulière. « Il absorbe les photons de certaines longueurs d’ondes et les photons bleus sont les seuls à être réfléchis plutôt qu’absorbés par la molécule », explique Roger Rothenberg, titulaire d’un doctorat, et professeur assistant de médecine clinique au sein de la faculté de médecine Katz School de l’université Temple. En d’autres termes, il absorbe toutes les couleurs du spectre de la lumière, à l’exception du bleu, qu’il renvoie, d’où sa couleur.
Dix ans après cette invention fortuite, un autre scientifique allemand, Paul Ehrlich, a découvert au cours d’une expérience que le composé organique rendait les cellules parasites bleues quand on les observait au microscope. On a donc commencé à l'utiliser en tant que colorant histologique, et l'une de ses utilisations les plus connues est d’identifier les cellules de la malaria. Il a plus tard été administré en Allemagne, en France et au Royaume-Uni pour traiter la maladie.
« Il était efficace pour soigner la malaria, explique Roger Rothenberg, mais pas autant que le traitement standard de la malaria à l’époque, [la quinine], alors il est tombé en désuétude. »
POURQUOI UTILISE-T-ON LE BLEU DE MÉTHYLÈNE ?
De nos jours, le bleu de méthylène est le seul traitement approuvé pour traiter la méthémoglobinémie.
Chez un patient atteint de méthémoglobinémie, les globules rouges ne peuvent plus correctement acheminer l’oxygène aux mitochondries, où il est nécessaire pour la production d’énergie. Il est donc commun de retrouver parmi les symptômes de la fatigue, des vertiges, des maux de tête et des difficultés à respirer. Dans certains cas graves, le pronostic vital peut être engagé.
Le bleu de méthylène est également utilisé lors des opérations ou certains procédures diagnostiques comme marqueur. Les médecins utilisent le composé pour aider à visualiser l’appareil urinaire ou les ganglions lymphatiques dans le cadre du cancer colorectal.
Raphael E. Cuomo, scientifique et professeur au sein de la faculté de médecine de l’université de Californie à San Diego explique que la prise en petite dose de bleu de méthylène comme complément alimentaire « a le potentiel d’améliorer l’humeur et l’énergie, et possiblement les fonctions cognitives car il inhibe la monoamine oxydase et a également des bienfaits sur l’activité mitochondriale ». La monoamine oxydase est une enzyme qui décompose les neurotransmetteurs comme la sérotonine et la dopamine. En permettant à ces hormones du bonheur de circuler librement, on peut, en théorie, observer un boost de l’humeur, tout en aidant à délivrer de l’oxygène aux mitochondries, qui produisent l’énergie dans nos cellules.
Cependant, les preuves de ces effets chez l’humain sont limitées, nuance Roger Rothenberg. « C’est entièrement basé sur la théorie, sur des études de cultures de tissus isolées et de rats. Il y a peut-être cinq ou six études randomisées sur les êtres humains pour vérifier cette indication de cognition générale. Cela semble être la raison pour laquelle on l’observe pris en complément. » Par exemple, une étude menée en 2021 sur 248 adultes âgés a révélé que le bleu de méthylène administré en intraveineuse réduisait de façon significative les problèmes cognitifs postopératoires.
Les rumeurs prétendant que le bleu de méthylène allégerait les symptômes d’Alzheimer pourrait être plus crédibles. « Le peu d’études que l’on a menées chez l'humain ont été faites sur des patients atteints d’Alzheimer. On observait un effet significatif, bien que très faible, du bleu de méthylène à un stade modéré de la maladie, montrant cinq points [d’amélioration] sur une échelle de soixante-dix points », explique Bronwyn Holmes. Cette scientifique se spécialise dans la médecine régénérative et de la longévité et explique que les résultats doivent être interprétés avec précaution. « Un homme et une femme atteints d’Alzheimer ou de toute autre maladie neurologique ne métabolisent pas le bleu de méthylène de la même manière ; [les effets peuvent] être très différents selon le patient », continue la médecin.
CE QUE DISENT LES EXPERTS SUR LE BLEU DE MÉTHYLÈNE PAR VOIE ORALE
Les médecins observent l’essor de cette trend qu’est la consommation de bleu de méthylène comme complément alimentaire, en partie grâce à quelques vidéos devenues virales sur les réseaux sociaux. TikTok, tout particulièrement, est inondé de vidéos dans lesquelles les utilisateurs vantent les mérites du dernier nootrope, un complément aux bienfaits cognitifs. Bronwyn Holmes, qui siège au conseil médical de la mutuelle de santé Eden Health, explique qu’elle a eu pour la première fois des patients qui lui ont posé des questions sur les « bienfaits neurologiques » du bleu de méthylène il y a trois ans.
Certains experts sont sceptiques quant à l’usage sans avis médical préalable de cette substance, simplement pour donner un coup de fouet au cerveau. « Jamais un patient n’est venu vers moi en souffrant d’un brouillard cérébral de périménopause ou postménopause, a pris du bleu de méthylène et s’est soudainement retrouvé en parfait état », déclare Brownyn Holmes. Roger Rothenberg suggère qu’« il est très difficile de réellement prouver ou infirmer ces déclarations quand des individus le consomment seuls, plutôt que lors d’une étude scientifique bien contrôlée et bien pensée. »
Par sa couleur vive, le bleu de méthylène peut également tacher les dents et donner une couleur bleue ou verte aux urines ou aux selles humaines, un effet secondaire bénin, bien qu'alarmant. « J’ai dû travailler avec un dentiste une fois parce qu’un patient avait consommé une grande quantité de bleu de méthylène », ajoute Bronwyn Holmes.
LES EFFETS DU BLEU DE MÉTHYLÈNE SUR LA SANTÉ
Au-delà des inquiétudes cosmétiques, les médecins avertissent sur l’existence d’un grand nombre de risques pour la santé associés à la consommation de bleu de méthylène en tant que complément alimentaire. Le plus sérieux est le syndrome sérotoninergique, une maladie rare mais potentiellement mortelle, qui peut survenir si le bleu de méthylène est consommé en plus d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (SSRI, selective serotonin reuptake inhibitors), qui sont souvent prescrits dans le traitement de la dépression et des troubles de l’anxiété.
« Les SSRI que vous prenez interagissent avec le bleu de méthylène et aggravent ses effets », explique Bronwyn Holmes, ce qui peut mener à l’apparition de symptômes d’anxiété, accélérer le rythme cardiaque, causer sueurs et tremblements. Dans des cas graves, l’essor en sérotonine peut provoquer des crises d’épilepsie, des arythmies, de la fièvre, des hallucinations et une perte de conscience.
Une étude menée en 2013 montre que les personnes souffrant d’une déficience en G6PD, une enzyme clé protégeant les globules rouges des dommages, doivent éviter de consommer du bleu de méthylène car il peut provoquer une anémie hémolytique, une maladie où les globules rouges se décomposent rapidement.
Les effets secondaires moins graves incluent maux de tête, vertiges et nausées, tandis qu’« à très haute dose, on peut voir que le bleu de méthylène, paradoxalement, peut provoquer une méthémoglobinémie, ce qui est la principale raison de son approbation dans son traitement », explique Raphael E. Cuomo. « Il est inquiétant de voir que des personnes consomment le bleu de méthylène en le buvant, cela augmente énormément les risques d’overdose. »
Si vous vous inquiétez de votre santé cognitive, les experts recommandent de s’intéresser à d’autres facteurs de votre nutrition et de votre mode de vie plutôt que d’avoir recours au bleu de méthylène par vous-même.
« Si vous ne cherchez pas à rendre vos toilettes bleues, il n’y a aucune raison de consommer ce produit en dehors d’un cadre médical », avertit Roger Rothenberg. « Les nootropes que nous connaissons et qui fonctionnent sont la caféine, l’exercice et le repos. Les deux derniers sont ceux que je recommanderais le plus à quiconque voudrait booster ses fonctions cognitives. »