Le Président Doumbouya : des ambitions réformatrices aux promesses trahies
Lorsque le général Mamadi Doumbouya a pris le pouvoir en Guinée le 5 septembre 2021, il a promis une rupture nette avec des décennies de corruption et d’autoritarisme. Le coup d’État qui a renversé le président Alpha Condé (2010-2021) était présenté comme une mission morale : rétablir la justice, combattre la corruption et ramener le pays à l’ordre constitutionnel. Officier des forces spéciales formé en France, Doumbouya s’est alors présenté comme un réformateur rigoureux, un homme de principes qui ferait passer la Guinée avant ses intérêts personnels.
Tribune de Mamadi Kouyaté, expert en développement socio-économique
Quatre ans plus tard, ces promesses se font toujours attendre. Mamadi Doumbouya est devenu l’un des hommes forts de l’Afrique de l’Ouest, mais avec une politique intérieure parfois questionnée, notamment sur le volet économique où des décisions soudaines et l’incompréhension des acteurs sèment le doute sur le cap choisi par la présidence.
La dissidence politique est violemment réprimée, la justice instrumentalisée, les médias bâillonnés et les entreprises privées exposées à des saisies arbitraires. Loin de lutter contre la corruption, le président en est devenu le principal moteur, enrichissant son entourage tout en sapant les institutions censées le contrôler.
Axis Minerals, un permis annulé sans préavis
L’illustration la plus frappante de cet autoritarisme économique est le cas d’Axis Minerals, une société active dans la bauxite, ciblée de manière arbitraire. Le 14 mai 2025, son permis d’exploitation a été révoqué sans préavis, sans justification juridique ni procédure contradictoire. Plusieurs demandes de clarification sont restées sans réponse. Des analystes locaux estiment qu’il s’agissait d’une manœuvre politique visant à transférer le permis à un proche du pouvoir.
En juillet 2025, le ministère des Mines a discrètement signé un accord avec la société chinoise SD Mining, lui attribuant le permis en échange de 250 millions de dollars. En août, l’accord est discrètement annulé, après que Axis Minerals a lancé une procédure d’arbitrage, sous la pression croissante de l’opinion. Cet épisode illustre non seulement l’opacité du processus décisionnel sous Doumbouya, mais aussi l’absence de réelle gouvernance économique dont bénéficient certains profiteurs.
Axis Minerals n’est pas un cas isolé. L’environnement des affaires en Guinée est dominé par l’incertitude et l’absence de communication des autorités. Les saisies d’actifs, les négociations opaques et les décisions politiquement motivées sont devenues des instruments courants de gouvernement. Les investisseurs – qu’ils soient guinéens ou étrangers – ne peuvent plus espérer un traitement équitable. Le pouvoir est concentré entre les mains d’un cercle restreint de fidèles, tandis que les Guinéens ordinaires paient le prix de la mauvaise gestion des ressources et de la dégradation environnementale.
À cette mainmise économique s’ajoute une répression politique croissante. Des militants comme Foniké Mengué ou Billo Bah, critiques du régime, ont disparu dans des circonstances troublantes. Les journalistes subissent au quotidien le harcèlement et la censure. Les opposants sont contraints à l’exil ou empêchés de participer à la vie politique. L’appareil judiciaire, initialement présenté comme un outil de lutte contre la corruption, sert désormais à intimider les opposants… tout en protégeant les alliés du régime.
Quand le le Président Mamadi Doumbouya oublie le Coran
Alors que le Président Mamadi Doumbouya poursuit d’anciens responsables pour corruption, ses proches s’enrichissent dans l’ombre. Le président lui-même arbore des montres de luxe – dont deux Richard Mille (250 000 et 400 000 euros) et une Rolex en or – symboles ostentatoires qui contredisent frontalement son image de dirigeant intègre.
Cette consolidation du pouvoir politique va de pair avec la prédation économique. Doumbouya avait promis une transition pacifique et avait même juré sur le Coran qu’il céderait le pouvoir une fois l’ordre constitutionnel rétabli. Mais le référendum du 21 septembre 2025 et l’élection présidentielle prévue le 28 décembre 2025 sont structurés pour exclure toute opposition crédible.
Face à cela, la communauté internationale est étonnamment complice. La France, les États-Unis, l’Union européenne et les institutions multilatérales continuent de dialoguer avec la Guinée, malgré les violations répétées de l’État de droit et les abus économiques flagrants. Doumbouya a parfaitement appris à projeter une façade de légitimité à l’extérieur, tout en gouvernant intérieurement avec une assise limitée.
Les conséquences pour la Guinée sont graves. La richesse en ressources naturelles, notamment en bauxite et en fer, profite à quelques-uns, pas au peuple. La dégradation environnementale, les marchés opaques et les contrats étrangers nébuleux ont laissé les citoyens sans bénéfices tangibles. Des projets comme Simandou 2040, présentés comme des moteurs de croissance, sont devenus les symboles du détournement, de l’opacité et du clientélisme.
Le cas d’Axis Minerals est à lui seul un condensé de tous les maux du régime : expropriations arbitraires, arrangements opaques, favoritisme politique – des maux que la présidence laisse prospérer. La Guinée, autrefois pleine de promesses démocratiques et économiques, est devenue un énième exemple de trajectoire politique incertaine en Afrique de l’Ouest. Le président qui se disait porteur de justice, de transparence et d’intégrité semble avoir oublié sa vocation initiale.
Plus de lisibilité sous Alpha Condé
À l’approche de l’élection de décembre, une vérité s’impose : les institutions politiques et économiques de la Guinée sont désormais façonnées au service d’un seul homme. Les ressources nationales sont accaparées par une élite, les voix dissidentes sont muselées, et la communauté internationale reste largement complice par son silence.
Pour certains observateurs, la période dirigée par l’ancien président Alpha Condé – aussi imparfaite fût-elle – semble aujourd’hui plus lisible et moins toxique que la réalité actuelle. Les promesses de 2021 se sont muées en une réalité autoritaire en 2025 : répression, corruption et trahison déguisées en réformes. Axis Minerals n’est qu’un exemple, mais il raconte l’histoire d’une nation capturée par son propre libérateur.