Radiographie de l’échec du Front Commun PPA-CI – PDCI-RDA
En Côte d’Ivoire, l’alliance Front Commun PPA-CI et PDCI RDA, qui avait toutes les chances de balayer le régime RHDP du président Alassane Ouattara, au soir de son bilan, se trouve face à un échec consécutif à une succession d’actes manqués.
L’histoire des alliances entre partis politiques ivoiriennes
Dans le pays de feu Félix Houphouët-Boigny, toutes les fois que deux des trois plus grands partis politiques s’allient, le pouvoir en place vacille. Cette réalité dure depuis 1995, avec la naissance du Front Républicain FPI-RDR de Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara.
Même si ces alliés de l’époque n’ont pas fait partir le régime d’Henri Konan Bédié du pouvoir, ils l’ont structurellement fragilisé, ce qui a facilité son effondrement par le coup d’État du Général Robert Gueï en 1999.
L’histoire s’est répétée lorsque le PDCI-RDA d’Henri Konan Bédié s’est lié au RDR d’Alassane Ouattara à travers le RHDP. Laurent Gbagbo, déstabilisé dès 2002, a fini par perdre le pouvoir à la première élection présidentielle organisée sous son régime.
En 2000, la tentative de coalition aux contours non clarifiés entre Henri Konan Bédié et les partis de l’opposition a donné ses premières secousses au régime Ouattara sans le couler pour autant. Le Front Commun et le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire semblaient annoncer la fin du régime Ouattara, mais non. Celui-ci semble avoir gagné le premier round de la bataille.
Alassane Ouattara, dénominateur commun des alliances réussies
On pourrait dire que le dénominateur commun aux deux premiers succès des alliances politiques est Alassane Ouattara. Si cette perception est juste, alors il a su se servir de son expérience et de ses relations sulfureuses avec le FPI puis le PDCI pour déjouer le piège, mais pas complètement. Les derniers alliés ont aussi, et surtout, commis des erreurs qui ont facilité leur échec.
Dès la naissance du Front Commun, on soupçonnait un partage des rôles entre le PDCI et le PPA-CI. Tidjane Thiam devait jouer de son potentiel relationnel à l’étranger pour déstabiliser l’image du président Alassane Ouattara et de son régime. Sur place, en Côte d’Ivoire, terrain familier à Laurent Gbagbo, le PPA-CI devait s’activer pour faire trembler le pays. C’est la somme de ces deux offensives qui devait faire perdre à Alassane Ouattara ses illusions d’un 4ᵉ mandat.
Comment Alassane Ouattara a embrouillé Tidjane Thiam

Sauf qu’aussi bien du côté de Tidjane Thiam à l’international que de celui de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, rien n’a véritablement fonctionné. L’ancien patron de Crédit Suisse devait couper Ouattara de son principal soutien, la France, et de ses autres réseaux d’amis avant que Laurent Gbagbo ne lui porte le coup de grâce en Côte d’Ivoire.
Sauf que Ouattara n’est ni Gbagbo ni Bédié. Conscient de la capacité des pluies parisiennes à inonder Abidjan, il a mis de côté toute gêne pour se faire recevoir par Emmanuel Macron au moment crucial de l’offensive de Thiam auprès de l’Élysée.
Si l’ancien banquier a bien convaincu Emmanuel Macron de couper son soutien à Alassane Ouattara, la visite de ce dernier en France lui a permis de rabattre les cartes. Pour l’occasion, il était dans la capitale française avec Dominique Ouattara, son couteau suisse, et chacun a touché qui il devait pour contrer les plans de l’opposition. Le renouvellement de l’amour du Président à son épouse au Stade Félix Houphouët-Boigny est un remerciement de la compétence démontrée.
Comment Ouattara a retourné Macron

Il est vrai que, dans un premier temps, Emmanuel Macron a dépêché Nicolas Sarkozy et l’ex-président sénégalais Macky Sall auprès d’Alassane Ouattara pour le convaincre de renoncer à son 4ᵉ mandat de trop. Aussi bien l’un que l’autre émissaire du président français ont fait chou blanc. Face à la tentation AESiste qui traverse l’Afrique, Ouattara s’est positionné en seul rempart capable de rallier à la cause française ou de maintenir certains États dans le giron français.
Cet argument a été facile à utiliser lorsqu’on connaît la proximité de Laurent Gbagbo avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Tidjane Thiam, la vraie option de Paris, était la véritable raison des messages passés par Macron.
Les Ouattara ont été méthodiques pour expliquer aux Français qu’ils devaient bien lever la tête pour regarder le déplacement des cartes sur l’échiquier ouest-africain. Dans cette alliance de circonstance, le jeu de Laurent Gbagbo à se servir de Thiam, pour se retrouver au second tour de la présidentielle qu’il avait beaucoup de chances de remporter, a été l’élément clé qui a fait basculer Paris.
Notons que l’ancien Président ivoirien a un contentieux avec la France, dont l’armée, sous Nicolas Sarkozy, avait bombardé sa résidence pour le livrer aux forces pro-Ouattara. Il a ensuite été déporté à La Haye où il est retenu détenu à la prison de chevengen durant 9 ans.
La peur de Laurent Gbagbo
Paris a alors plaidé auprès de Ouattara l’acceptation de la seule candidature de Tidjane Thiam. Laurent Gbagbo étant condamné à 20 ans de prison par la justice, son cas aurait été plus facile à justifier. Refus d’Alassane Ouattara, qui a mis en évidence les risques de troubles dans le pays, suivis d’un véritable rejet de la France si celle-ci n’œuvrait qu’à un match entre deux amis Ouattara et Thiam.
La question sécuritaire serait alors devenue plus importante, avec le laissez-passer qu’aurait pu accorder le chapeau AES aux terroristes pour déstabiliser le régime d’Abidjan, puisque ces trois pays percevraient une vraie menace dans une telle opération.
Qu’on l’aime ou non, le Président Alassane Ouattara venait là de désactiver le principal pion de Tidjane Thiam, à savoir la France. Paris, le fessier entre deux chaises, a décidé d’observer. Le président Ouattara a dit qu’il maîtrisait le game, la France lui a juste demandé de bien muscler son jeu afin de s’assurer de ne pas se louper, car elle n’aurait d’autre choix que d’adapter sa position officielle à la situation du moment.
Alassane Ouattara rentre en Côte d’Ivoire avec ke sentiment du devoir accompli et annonce sa candidature. Ses partisans sont ravis et certains leaders recommencent à raffermir leur verbe.
Le coup de sang de Tidjane Thiam qui traduit une désilution

Pendant ce temps à Paris, complètement sonné presque debout, Tidjane Thiam montre les premiers signes de fragilité face à l’échec de sa stratégie.
Dans son interview avec Alain Foka, le président du PDCI-RDA lâche les nerfs en se montrant sous une nouvelle couture. Entre mépris pour un Alassane Ouattara, dont il a presque envie de dénoncer les manœuvres parisiennes, et son air supérieur, y compris en traitant les deux sous-traitants Banca et Doumbia « imbéciles », le président du PDCI a rapidement perdu de son prestige.
Pire encore, il va jusqu’à rappeler que le Ouattara FMIste n’était pas à comparer à lui, le CEO de grandes multinationales rémunéré à coups de milliards de FCFA par an. L’homme s’est totalement fragilisé aux yeux de l’opinion qui est pratiquement tombé en sympathie pour ADO. Oui, le peuple ivoirien, comme celui de France, n’aime pas les arrogants.
L’autre grosse erreur de Tidjane Thiam est d’être resté en France, prétextant la crainte d’une arrestation ou même pour sa vie. Dans la politique en Afrique francophone, tous les leaders enjambent du liquide vital qui circule dans les vaisseaux sanguins de leurs militants, soit par celui des titulaires du trône. Il n’y a pas de victoire propre en Afrique francophone. Vouloir gouverner la grande Côte d’Ivoire sans se casser un ongle est tout juste chimérique. Abidjan n’est pas encore Accra et donc il faut descendre sur le terrain et accepter de subir s’il le faut pour espérer arriver à ses faims.
Et puis, avec Tidjane Thiam qui se montre désormais critique envers le franc CFA, la stratégie du PDCI qu’il dirige a perdu de son éclat. C’est d’ailleurs ce manque de lisibilité sur sa ligne politique qui a conduit le dinosaure Maurice Kakou Guikahué à s’auto-censurer. Il n’est pas d’accord avec le nouveau président du parti sur certaines choses, mais il tient à ne pas passer pour un ennemi interne, ce qui, plus tard, sera dommage pour Thiam, qui aurait pu apprendre de son expérience.
Maurice Kakou Guikahué, de Félix Houphouët-Boigny à Henri Konan Bédié, a été de tous les combats difficiles du PDCI-RDA. D’accord pour aider Thiam à remettre le parti dans le bon sens de la marche, il n’avait pas apprécié d’être ignoré par le président du parti sur des questions importantes qu’il apprenait dans la presse, malgré son rôle de conseiller spécial de celui-ci.
Tidjane Thiam, mais que faisait-il encore en France
La présence de Tidjane Thiam en Côte d’Ivoire aurait pu galvaniser davantage les militants du PDCI. Quel militant intelligent irait affronter les forces de l’ordre ivoiriennes pour un homme politique calé à Paris pour sauver ses propres fesses ? Chaque militant a pris conscience de son propre cas d’insécurité, d’où les faibles réponses aux appels du Front Commun.
Du côté du PPA-CI, le quasi-désengagement d’Emmanuel Macron aux côtés de son ami Tidjane Thiam a porté un coup à la stratégie de pourrissement de la situation locale.
Si Laurent Gbagbo ne devait compter que sur ses seules forces, il serait allé plus loin dans son rabibochage avec l’opposition. Il ne se serait pas arrêté aux seules rencontres avec Vincent Toh Bi Irié, Assalé Tiémoko et Affi N’Guessan. Il aurait continué jusqu’à Charles Blé Goudé pour qu’il lui ramène Simone Gbagbo. La rencontre avec Ahoua Don Mello aurait même eu lieu pour le convaincre de renoncer à son « aventure personnelle ».
Charles Blé Goudé, porte-parole du Front Commun, quel bénéfice ?
L’histoire aurait été différente si Charles Blé Goudé avait été intégré au projet et bombardé à la mobilisation, notamment dans la rédaction et la lecture des communiqués. Malgré ses efforts, Me Habiba Touré, malgré ses efforts, n’est clairement pas taillé pour la fonction. Ses éléments de langage ne transcendent pas. « Elle donne la paresse », selon un militant du Front commum.
Comme dit un certain Steve Beko, la crédibilité d’un discours ne tient que par « le discoureur ». Me Habiba Touré aurait peut-être été plus efficace sur les plateaux télé internationaux pour parler à l’étranger, mais pas pour galvaniser des foules en Côte d’Ivoire. Ses demi-mots ou ses appels bien trop balisés par des mots-clés effrayants en ajoutent au frein à la mobilisation.
Un « appel à manifester les mains nues » de Charles Blé Goudé n’a pas la même signification que les appels de Me Touré « à des manifestations pacifiques » n’a pas le même entrain. Les longs discours de l’avocate, à rallonge, endormaient plus qu’ils ne motivaient les masses à sortir contre « l’injustice ».
Quand Laurent Gbagbo constate l’échec

La combinaison de l’échec de Thiam, sa décision de rester au chaud en France et les mauvais choix des alliés, des hommes pour porter la mobilisation au plan local, ne pouvait que faire constater l’échec à Laurent Gbagbo. Sachant qu’il avait loupé le coche, l’ancien Président ne pouvait que reculer, sans doute de peur de devoir inutilement retrouver les chemins de la prison.
En lieu et place des mots d’ordre annoncés mais jamais livrés, il a complètement consacré l’échec en affirmant : « Je n’appelle pas les gens à descendre dans la rue. » Même s’il dit soutenir ceux qui y vont, Laurent Gbagbo disait là implicitement à ses militants de calmer le jeu.
Les conséquences de l’échec

Ce qui est dommage, c’est que de nombreux jeunes gens qui croyaient en la lutte du Front Commun sont aujourd’hui derrière les barreaux. Plusieurs personnes sont mortes, et une nuit effroyable s’est abattue sur Nahio. Des militants se revendiquant du parti au pouvoir, parce qu’empêchés d’aller voter, ont calciné une personne, tué deux autres et blessé une vingtaine d’individus avant de mettre le feu à des maisons.
Comme en 2020, où des individus se réclamant du RHDP avaient décapité Koffi Toussaint et utilisé sa tête pour jouer au football, une personne est cette fois brûlée vive à Nahio, comme pour infliger la peur et tuer tout esprit de révolte populaire.
Et l’absence de visites des hautes autorités du gouvernement ivoirien sur ce lieu du drame laisse penser à une réponse à l’opposition. Même si Alassane Ouattara joue parfois juste, son manque de compassion lorsque se produisent de tels drames donne à son régime la réputation d’un pouvoir violent et fermé.
Les critiques en trompe-l’œil de la presse française
Alors que le jeu est bouclé par l’élection présidentielle qui a vu la brillante élection du président Alassane Ouattara, tels des médecins après la mort, les médias français se réveillent avec des critiques. Ouattara est comparé à Paul Biya, et son élection à plus de 89 %, score soviétique, est mal vue par beaucoup.
Mais que peuvent encore ces critiques à un régime déjà centré sur les élections législatives auxquelles comptent participer les partis exclus de la présidentielle ? Comble de l’incohérence, le Front Commun compte aller à ces élections avec une CEI décriée avec force ces derniers mois.
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