Shri rapax : découverte d’un raptor d'un nouveau genre

Un peu avant 2010, dans les sables rouges du désert de Gobi en Mongolie, où les fossiles sont légion, des contrebandiers ont mis au jour et dérobé le sublime squelette d’un dinosaure carnivore.
Ils ont fait sortir le squelette du pays en toute discrétion avant de le mettre en vente sur le marché noir. Il a fait le tour de collections privées au Japon et en Angleterre avant d’être finalement acquis par la société française spécialisée dans les fossiles, Eldonia. En 2016, l’un des propriétaires du fossile a fait passer au crâne ainsi qu’à quatre vertèbres du fossile un scanner à tomodensitométrie au sein d’un musée belge. Quelques temps plus tard, le crâne et la nuque du fossile ont disparu. Les scientifiques ignorent où ils se trouvent. Les négociations entre Eldonia, les paléontologues et les autorités gouvernementales ont abouti au retour du fossile en Mongolie, où l’on pouvait en prendre soin et l’étudier.
À présent, ce cousin éloigné aux griffes acérées de Velociraptor, dénué de sa tête, a enfin un nom. Shri rapax est un raptor comme on n’en a jamais vu auparavant.
Ce dinosaure d’environ 1,80 mètre de long, et d'environ 42 centimètres de haut, arpentait un désert préhistorique il y a plus de 71 millions d’années. Tout comme Velociraptor, lui aussi découvert en Mongolie, Shri est un dromaeosauridé. Au sein de ce groupe de dinosaures prédateurs, on retrouve Deinonychus, Utahraptor, et d’autres carnivores à plumes dotés de grandes griffes hyper-extensibles sur leur deuxième orteil.
« Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir ce dromaesauridé inattendu découvert dans le même habitat que le très célèbre Velociraptor », confie Andrea Cau, paléontologue indépendant italien.
Andrea Cau et ses collègues ont publié un article le 13 juillet, paru dans la revue scientifique Historical Biology, qui décrit cette nouvelle espèce. La découverte fait partie d’un nombre grandissant de dinosaures aux allures de rapport en Mongolie, témoignant d’une diversité inattendue d’espèces et de morphologies au sein de ce groupe. On peut par exemple penser à Halszkaraptor escuilliei et Natovenator polydontus, sveltes et dotés d'un cou qui n’est pas sans rappeler celui d’une oie.
UNE MORSURE PLUS PUISSANTE, DES GRIFFES PLUS LONGUES
Malgré sa relation proche avec Velociraptor, chouchou d’Hollywood, Shri était bien différent. Un moule de son crâne, créé à partir du scanner à tomodensitométrie réalisé en 2016, l’original ayant disparu, indique que Shri avait un museau plus profond et plus court. Les découvertes pointent vers une puissante morsure, plus forte que celle de Velociraptor.
« D’autres différences, telles que son museau assez court, son cou plus long en proportion et sa courte queue, indiquent que ces deux cousins n’avaient pas les mêmes préférences écologiques », explique Tsogtbaatar Chinzorig, paléontologue du muséum d’histoire naturelle de Caroline du Nord et co-auteur de l’étude.
Les os de ses bras sont plus robustes et plus trapus, avec au bout des griffes longues et recourbées. Les mains de Shri étaient également plus corpulentes, ce qui implique une forte poigne. On ignore encore avec précision comment il faisait usage de ses bras et de ses griffes, mais les chercheurs suggèrent qu’il aurait pu s’en servir pour se battre avec d'autres dinosaures et les agripper, comme contre l’herbivore cornu, Protoceratops. Des os portant des marques de morsure de Protoceratops et un fossile célèbre ayant immortalisé Velociratopr et l’herbivore en plein combat, que l’on appelle « Fighting Dinosaurs » (littéralement, « combat de dinosaures »), indiquent que ces petits dinosaures cornus étaient les proies de dromaesauridés comme Shri.
Michael Pittman, paléontologue au sein de l’université chinoise de Hong Kong, qui n’a pas pris part à la présente recherche, pense que l’hypothèse des paléontologues est raisonnable, et que des études biomécaniques des bras du dinosaure pourraient potentiellement tester cette idée. Il décrit également le spécimen comme étant « magnifique et bien préservé ».
La possibilité que Shri et Velociraptor aient vécu ensemble porte à croire qu’il existait un phénomène de « différenciation de niche ». Des espèces proches l’une de l’autre peuvent parfois partager un même espace lorsque leurs préférences diététiques et leurs comportements sont différents. C’est le cas de l’île de Madagascar, où de nombreuses espèces de lémuriens cohabitent ; ils n’habitent pas dans les mêmes habitats et ne se nourrissent pas des mêmes aliments.
Les différentes spécialisations évolutives permettent aux animaux cousins de diviser leurs habitats de plusieurs manières, donnant un coup de fouet à la biodiversité. Dans le cas des dinosaures, les différences anatomiques entre Shri et Velociraptor indiquent qu’ils étaient concernés par ce genre d’interaction écologique.
SHRI RAPAX RENTRE CHEZ LUI
Étant donné que le squelette de Shri rapax a été victime de contrebande et qu’il a été vendu sans informations géologiques, les paléontologues ne savent pas avec précision où il a été découvert. La seule certitude est qu’il provient de la formation de Djadokhta, en Mongolie. Le fait que les scientifiques soient parvenus à étudier, décrire et aient commencé à comprendre Shri rapax représente une victoire pour la paléontologie. C’est un effort pour se battre contre les ventes de fossiles sur le marché noir.
« Cette affaire montre encore un autre exemple de contrebande de fossiles », déplore Tsogtbaatar Chinzorig. « Il s’inscrit sur une longue liste de transport illégal de fossiles depuis le désert de Gobi, qui a lieu depuis des décennies. »
Il est essentiel que de tels fossiles soient rapatriés, affirme Tsogtbaatar Chinzorig, à la fois pour étoffer les connaissances scientifiques du passé préhistorique et pour respecter l’héritage fossile de Mongolie. Si le fossile volé était resté entre les mains d’un propriétaire privé, les scientifiques n’auraient jamais connu ce dinosaure, les relations qu’il entretenait, ou quoi que ce soit du rôle qu’il jouait au sein de l’écosystème préhistorique.
« Au-delà de sa valeur scientifique, ajoute Andrea Cau, je suis heureux d’avoir prêté main forte au rapatriement de ces dinosaures chez eux. » En en présentant Shri rapax au monde, les paléontologues espèrent retrouver son crâne disparu.