Dans le Var, une épave datant du 16e siècle a été découverte à plus de 2 500 mètres de profondeur

« La mer, le plus grand musée du monde » : la célèbre formule de l’archéologue français Salomon Reinach (1852-1932) n’a jamais été aussi actuelle, alors que l’épave d’un ancien navire marchand italien du 16e siècle vient d’être mise au jour sur le littoral varois.
C’est en traitant les données du sonar, déployé lors d’une plongée opérationnelle, que les opérateurs du Centre expert plongée humaine et intervention sous la mer (CEPHISMER) ont détecté les contours d’une épave inconnue. La découverte a ensuite été signalée au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), service à compétence nationale du ministère de la Culture basé à Marseille, puis confirmée lors d’une seconde plongée grâce à des images et vidéos capturées par un drone sous-marin filoguidé.
L’annonce de cette remarquable découverte n’a été rendue publique que le 11 juin dernier, lors d’une conférence de presse animée par le Drassm, en marge de la Troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC 3) qui se tenait à Nice.
Rebaptisée « Camarat 4 » en référence à sa localisation, l’épave est celle d’un navire de commerce italien datant du 16e siècle, long de 30 mètres et large de 7 mètres. Dans ce secteur autrefois très fréquenté, traversé par plusieurs routes maritimes, « Camarat 4 » est le quatrième bien culturel maritime à avoir été inventorié.
UNE DÉCOUVERTE EXCEPTIONNELLE DANS UN SECTEUR TRÈS FRÉQUENTÉ
Pour Marine Sadania, archéologue sous-marin au Drassm et plongeuse professionnelle, le site mis au jour « est vraiment exceptionnel par sa profondeur puisqu’il s’agit, en réalité, de l’épave la plus profonde [jamais référencée] en France ». Selon la spécialiste, d’un point de vue chronologique, cette découverte n’est néanmoins pas si rare puisque « une bonne dizaine d’épaves de cette période-là [sont aujourd’hui] répertoriées entre le littoral Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et la Corse ».
Depuis les années 1980, « dans le secteur varois, il y a déjà eu au moins quatre ou cinq autres épaves de la même chronologie » qui ont été découvertes. « Ces sites doivent traduire des liaisons commerciales qu’on pourrait commencer à dessiner grâce à toutes ces épaves », précise l’archéologue.
Marine Sadania rappelle que la région PACA est l’un des berceaux de l’archéologie sous-marine. En 1952, « les premières fouilles sous-marines ont [été menées] à Marseille, au pied du Grand Congloué, dans les calanques, [par le commandant] Cousteau et Fernand Benoît », archéologue et alors directeur des Antiquités de Provence. « L’archéologie sous-marine est aussi marquée [par] l’histoire de la Marine nationale et la création du GERS », le Groupe d’études et de recherches sous-marines, dont le CEPHISMER, basé à Toulon, est aujourd’hui l’héritier. Ce sont d’ailleurs les équipes du CEPHISMER qui, dans le cadre des politiques de maîtrise des fonds marins, ont rendu cette découverte possible.
CONSERVER UN SITE QUASI INTACT
En raison de son importante cargaison, « très rapidement, on constate que c’est un navire de commerce du 16e siècle », affirme Marine Sadania. « Il y a différentes cargaisons qui ont été identifiées, au moins trois à ce stade. On n’est pas à l’abri qu’il y en ait d’autres », précise-t-elle. Parmi les marchandises retrouvées figurent plusieurs centaines de pichets ligures en céramique, ainsi que des assiettes empilées, probablement aussi de production ligure, mais plus difficiles à identifier en raison de leur agencement. « Dans les archives, on parle [également] de transport de fer en barres », qui aurait pu servir à la fabrication d’outils ou d’armes.
Sur la partie arrière du bateau, aujourd’hui vide, Marine Sadania s’interroge sur la nature de la cargaison disparue : « est-ce que la cargaison serait enfouie ou est-ce qu’elle aurait été constituée de denrées périssables ? ». De plus, « à ce stade, on n’a pas de vestiges en bois qui semblent apparents ». Ont-ils été bien conservés sous les sédiments ? Les prochaines expertises devront répondre à cette question. « Les céramiques, elles, sont de prime abord très bien conservées. Elles n’ont pas non plus été colonisées, comme on peut le voir sur d’autres épaves, par la faune ou la flore qui vient en recouvrir un peu la surface », assure l'archéologue.
Aujourd’hui, la question de la conservation du site reste encore ouverte. « Qu’on soit très clair : on ne va pas fouiller cette épave. On est vraiment au-delà de nos capacités technologiques actuellement », estime la spécialiste. Les futures études archéologiques porteront donc sur une expertise ciblée, conduite par échantillonnage. À une telle profondeur, « les prélèvements seront très limités, mesurés avec une surveillance accrue », afin de garantir des vestiges de qualité à présenter au public.
Des ROV (Remotely Operated Vehicle), véhicules téléopérés depuis la surface, permettant d’agir sur les fonds marins, seront mobilisés par le Drassm pour effectuer ces prélèvements, en collaboration avec la Marine nationale. Ces robots filoguidés « sont reliés au navire par un ombilical, ce qui assure [leur alimentation électrique] et permet un retour image en direct de ce que vous êtes en train de faire au fond », explique l'archéologue. « L'épave Camarat 4 vient s’inscrire dans cette dynamique de recherche et de développement » des outils robotiques utilisés pour les explorations marines, à l’image du prototype ROV Arthur, développé par le Drassm.
Désormais, pour Marine Sadania, « l’objectif principal va être de constituer une équipe de chercheurs, en s’appuyant sur des [compétences] interdisciplinaires ». Parmi les spécialistes mobilisés : des experts en artillerie, en culture matérielle, en architecture navale, des historiens, des céramologues, ainsi que des archéologues. Alors que ce consortium scientifique est en cours de formation, « le projet serait de monter une expédition conjointe avec la Marine nationale dans les années à venir, en 2026 ou 2027 ».
La première étape de valorisation du site consistera à réaliser une photogrammétrie complète de l’épave. Pour Marine Sadania, il s’agit de produire « un plan à l’échelle du site dans son ensemble, afin de bien comprendre où se répartissent les objets, où sont les zones de concentration, et d’aller faire des observations ciblées ». Cette cartographie permettra ensuite la création d’un modèle 3D. « Notre volonté est bel et bien de restituer au public à la fois toute la recherche scientifique, toute la démarche qui est menée et les résultats [obtenus] », précise-t-elle, en évoquant une possible présentation au sein d’un musée du littoral PACA.
QUAND LA POLLUTION PLASTIQUE BROUILLE L’ÉTUDE ARCHÉOLOGIQUE
La profondeur de l’épave, estimée à plus de 2 500 mètres, lui a permis de bénéficier d’une forme d'inaccessibilité, ce qui a contribué à la préserver dans un état quasi intact. « C’est un site qui a subi la violence du naufrage, mais c’est un site qui a été préservé des phénomènes de récupération », souligne Marine Sadania. Traditionnellement, une phase de récupération s’organisait après un naufrage, menée par des amateurs. Des plongeurs-apnéistes étaient alors réquisitionnés pour remonter les marchandises de grande valeur dans des zones d’une trentaine de mètres de profondeur. Camarat 4 a aussi été épargné par le chalutage profond et les activités anthropiques, du fait de sa localisation extrême : une telle profondeur ne permettait pas l’envoi d’engins robotiques classiques, trop lourds à déployer.
Mais le navire naufragé n’a pas échappé à la pollution plastique. La quantité de déchets retrouvés autour du site était « un choc, voire un écœurement » pour les spécialistes du Drassm. « Des canettes, des bouteilles, des gants, des caisses en plastique, un coussin, des menottes, une boite d’œufs, des pots de yaourt, des gobelets, etc. » encombrent le site, perturbant son analyse. Ces déchets « vont créer des reflets, des brillances » et « masquer un certain nombre de vestiges qui se situent en-dessous », explique l’archéologue. Cette pollution complique la lecture des couches archéologiques et la compréhension globale du site.
Dans ce contexte, « parallèlement à nos objectifs archéologiques et historiques, il va falloir réfléchir à d’autres partenaires », affirme Marine Sadania, en évoquant notamment une possible collaboration avec l’Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). L’épave, formant un récif artificiel, soulève de nouvelles questions : « est-ce qu’il s’agit d’un épiphénomène qui serait lié à une courantologie particulière dans la zone ? » Ou bien est-ce la manifestation concrète d’un phénomène global, à savoir la prolifération des plastiques dans les milieux marins ? L’archéologue s’interroge.
« C'est sûr que c'était aussi l'argument du Drassm et de la Marine nationale que d'organiser cette conférence de presse au sein du sommet de l’UNOC », où quatre-vingt-seize pays ont réaffirmé leur engagement commun en faveur d’un traité international ambitieux contre la pollution plastique. « Notre service n’a pas vocation à protéger le patrimoine sous-marin, mais on peut se faire le relais de messages » de sensibilisation auprès du grand public, conlut Marine Sadania.