Produits alimentaires enrichis en protéines : tendance santé ou illusion marketing ?

Difficile aujourd’hui de faire défiler son écran sur les réseaux sociaux sans tomber sur des influenceurs nous enjoignant de consommer davantage de protéines. Ces mêmes influenceurs donnent des conseils pour arriver à ingérer ce macronutriment en plus grande quantité (en engloutissant des aliments ultratransformés à haute teneur en protéines, comme des macaronis au fromage), comparent les avantages et les inconvénients de différentes barres protéinées et nous pressent de remplacer nos desserts par des cookies protéinés et conditionnés, le tout au nom de la prise de masse musculaire. « Les protéines sont les reines du bal en ce moment », observe Brian St. Pierre, directeur de la nutrition de performance chez Precision Nutrition.
Mais les influenceurs ne sont pas les seuls à capitaliser sur la mode des protéines. Des célébrités lancent des en-cas ultratransformés enrichis en protéines et les allées des supermarchés sont remplis de chips et autres gaufres surgelées protéinées. « On constate une hausse des aliments enrichis en protéines sous forme ultratransformée », note Katie Sanders, maîtresse de conférences et spécialiste de la vulgarisation de l’Université d’État de Caroline du Nord, données à l’appui. Ces « protéines pratiques », ainsi qu’on les appelle parfois, figurent parmi les dix grandes « macro-tendances » du rapport de la National Restaurant Association publié en 2025. De plus, une étude publiée en 2024 a montré que les trois quarts des personnes interrogées avaient consommé un aliment transformé à haute teneur en protéines.
Les nutritionnistes s’accordent à dire que la consommation de protéines est importante. Mais ces en-cas ultratransformés sont-ils la meilleure façon d’augmenter sa consommation de protéines ?
PROTÉINES : À PARTIR DE COMBIEN EST-CE ASSEZ ?
Les protéines sont sans aucun doute dignes de l’engouement dont elles font l’objet : il s’agit d’un macronutriment dont on a prouvé qu’il contribuait à l’établissement et au maintien d’une masse musculaire ; il favorise également la perte de poids et est bon pour de nombreuses fonctions corporelles importantes. Mais il existe une différence entre un régime alimentaire bien équilibré riche en viande maigre (poulet, poisson et autres sources saines de protéines telles que le soja) et un régime riche en aliments ultratransformés tels que ceux largement mis en avant sur les réseaux sociaux.
« Je pense que les protéines reçoivent enfin le niveau d’attention qu’elles méritent », se réjouit Marily Oppezzo, responsable du département de nutrition et des changements comportementaux au Centre de recherche et de prévention de l’Université Stanford. « Les recommandations étaient trop basses depuis trop longtemps et étaient mesurées avec des méthodes dépassées, explique-t-elle. Elles [se fondaient] sur la survie, et non sur le fait d’être en pleine forme. »
Brian St. Pierre abonde, les protéines sont importantes (le mot lui-même vient du grec proteios, qui signifie « de prime importance »). Mais cet intérêt croissant s’accompagne d’une multiplication des fausses informations, notamment d’une multitude de recommandations concernant la quantité exacte nécessaire chaque jour. L’apport journalier recommandé actuel est de 0,8 gramme par kilogramme de poids de corps, ce qui, selon Marily Oppezzo, est trop faible pour un fonctionnement optimal. Ingérer 0,8 gramme de protéines par kilogramme de poids de corps est le minimum et ne facilitera pas la croissance ou le maintien musculaire.
« Je pense que 1,2 est vraiment le minimum et je dirais que 1,6 est idéal », préconise-t-elle. Ingérer une quantité de cet ordre-là, légèrement supérieure, permet au corps de s’épanouir plutôt que de simplement empêcher un déficit. Brian St. Pierre est du même avis : « De nouvelles recherches indiquent qu’il est préférable d’être à 1,2 grammes par kilogramme [et] si vous faites beaucoup d’exercice physique, alors 1,6 à 2,2 grammes par kilogramme de poids de corps est sans doute une meilleure cible encore. » (Marily Oppezzo ajoute qu’elle n’a pas constaté de bénéfices supplémentaires au-delà de 2,2 grammes par kilogramme, même en ce qui concerne les culturistes et les personnes en quête d’une croissance musculaire spectaculaire).
C’est parce que notre corps « ne dispose pas de forme de stockage pour les protéines », explique-t-elle. Cela les distingue des autres macronutriments : notre corps emmagasine les graisses et les glucides. Si vous ne mangez pas assez de protéines, votre corps pourrait commencer à puiser dans les muscles, chose qui avec le temps peut mener à la sarcopénie (une perte de masse musculaire liée à l’âge) et à l’ostéopénie (perte de densité osseuse). Les protéines aident également à réguler l’appétit, ce qui veut dire que l’on se sent rassasié avec moins de calories, ce qui peut contribuer à la perte ou au maintien du poids.
D’après une analyse systématique de l’American Journal of Clinical Nutrition, si la majorité de la population américaine, à l’exception des adultes les plus âgés, atteint l’apport minimum recommandé, on ne sait pas si elle en absorbe suffisamment pour bien se porter, ainsi que le rappelle Marily Oppezzo. « Rien n’indique que les personnes jeunes ne consomment pas assez de protéines. »
Si l’on compare cela à l’apport en fibres, la fixation sur les protéines semble d’autant plus biaisée : selon une analyse publiée en 2017 dans l’American Journal of Lifestyle Medicine, 95 % des Américains ne consomment pas assez de fibres pour être en bonne santé. En outre, une fixation exacerbée sur les protéines pourrait réduire encore davantage l’apport en fibres, qui sont présentes dans les fruits, dans les légumes et dans les aliments riches en céréales complètes. « Un enthousiasme trop important pour les protéines est susceptible de reléguer les fruits et les légumes au second plan ainsi que les fibres et les phytonutriments », prévient Marily Oppezzo.
QUELS BÉNÉFICES APPORTENT VRAIMENT LES EN-CAS PROTÉINÉS ULTRATRANSFORMÉS ?
Si la plupart des habitants du monde occidental consomment déjà suffisamment de protéines, qu’est-ce qui explique l’explosion des aliments ultratransformés enrichis en protéines ?
Selon Marily Oppezzo, la réponse se trouve en partie chez les femmes, qui sont de plus en plus conscientes de l’importance de la masse musculaire. Selon une revue narrative publiée en 2025 dans Sports Medicine and Health Science, davantage de femmes pratiquent la musculation. « La musculation et un apport suffisant en protéines vont main dans la main », affirme Brian St. Pierre. En effet, ces dernières aident à maximiser les bienfaits de la première.
Selon Katie Sanders, on observe également un glissement du marketing, qui vend désormais la prise de masse musculaire aux femmes dans le cadre de nouvelles normes esthétiques. Tandis que les générations précédentes mettaient l’accent sur la minceur, « cette nouvelle folie des protéines [concerne] ce corps musclé idéalisé et désormais valorisé [comme un] type corporel positif et un signe de santé, explique-t-elle. Je ne connais pas pour le décrire de meilleur mot que thicc avec deux C [« thick » signifie épais en anglais]. »
Il est évident que bon nombre de ces aliments ultratransformés sont spécifiquement destinés aux femmes. Prenez par exemple le popcorn enrichi en protéines récemment lancé par la star de téléréalité Khloe Kardashian. « Clairement, si [une] Kardashian a un popcorn protéiné, [les femmes sont] sa cible, cela ne cible pas les hommes », observe Brian St. Pierre. Les sachets pastel de sa marque de popcorn tranchent d’ailleurs nettement avec les pots de poudre protéinée décorés de crânes et de dragons, qui ciblent nettement plus les hommes.
Selon Brian St. Pierre, ces aliments ne sont « pas intrinsèquement mauvais », mais, ajoute-t-il, « je ne compterais pas dessus pour atteindre mon apport en protéine ». C’est malheureusement ce qu’il voit beaucoup de personnes faire. « Ils trouvent ces aliments ultratransformés, qu'il faut consommer avec modération, et les traitent [comme s’ils étaient] équivalents à du blanc de poulet, ce qui n’est pas le cas. »
Selon lui, à cause de toute cette attention portée aux protéines, certaines personnes finissent par passer à côté de l’essentiel. « Il nous faut le plein de protéines, mais il ne faut pas manger que des protéines, ni y voir un gage de santé », prévient-il. Un cookie protéiné reste un cookie. « C’est juste une entreprise qui ajoute trois grammes supplémentaires de protéines pour donner l’impression que ça vous sera plus bénéfique. »
La clé est de réfléchir à ce que vous voulez tirer de ce que vous mangez : « Si vous le mangez pour ses protéines, il y a de meilleures façons d’en obtenir, assure Marily Oppezzo. Je pense que les gens se laissent illusionner par un halo de santé autour de cela, il y a l’idée que si je mange des protéines, je ne prendrai pas de poids, que cela va juste faire du bien à mes muscles, que je préfèrerais manger des protéines à tout prix plutôt qu’autre chose. » Dans la culture des régimes alimentaires, explique-t-elle, on a tendance à confondre morale et choix alimentaires, à classer certains aliments comme « bons » et d’autres comme « mauvais », mais ce type de raisonnement binaire peut conduire à une alimentation trop restrictive.
Cela vaut également pour les aliments ultratransformés ; ils ne sont pas intrinsèquement « mauvais » et il n’y a pas besoin de les éliminer complètement, mais ils ne devraient représenter que 20 à 30 % de vos calories quotidiennes, au maximum, selon Brian St. Pierre. Si vous faites une pizza surgelée une fois par semaine et que vous décidez de remplacer cela par une pizza surgelée « à haute teneur en protéines », « cela pourrait potentiellement être très légèrement bénéfique », explique-t-il.
Mais comme toute mode alimentaire, un enthousiasme excessif pour les protéines peut avoir des inconvénients. Selon Marily Oppezzo, si c’est un mythe que le fait de surconsommer des protéines peut entraîner des problèmes rénaux, elles peuvent être dangereuses pour les personnes ayant déjà des problèmes rénaux ou sous dialyse. Dans ces cas, ou si vous avez toute autre maladie préexistante, il est important de consulter son médecin ou un diététicien doté d’une expertise concernant votre affection avant d’augmenter votre apport en protéine au-delà de ce qui est recommandé. De plus, le fait de manger de la viande rouge en grande quantité peut faire augmenter le cholestérol et ainsi accroître le risque de crise cardiaque.
Il peut également y avoir des conséquences sociales inattendues. Katie Sanders pense à la culture de la préparation des repas (meal prep), qui voit ses adeptes cuisiner d’une traite l’équivalent d’une semaine de repas équilibrés en macronutriments, ou à ceux qui consomment beaucoup de poudres protéinées et d’aliments emballés. « On se prive de nombreux aspects culturels que l’on associe généralement à la nourriture au profit de choses comme la prise de masse, observe-t-elle. Et ce n’est pas une expérience hédoniste ; c’est purement axé sur des résultats et sur la nourriture comme carburant. »
LE JUSTE ÉQUILIBRE
La vérité est que les influenceurs et les médecins et scientifiques spécialistes des protéines ont raison sur au moins un point : celles-ci sont essentielles. Mais la plupart des gens peuvent en consommer suffisamment en ajustant légèrement leur alimentation, sans avoir à quadriller les allées du supermarché pour dénicher des en-cas enrichis.
« Mettre l’accent sur les protéines maigres va vous aider à vous sentir mieux que jamais, à avoir meilleure mine que jamais, à atteindre vos meilleures performances, quel que soit votre but, cela vous sera bénéfique dans l’ensemble », affirme Brian St. Pierre. L’idée est de privilégier les protéines issues d’aliments peu transformés, comme la viande maigre, les fruits de mer, les œufs, les produits à base de soja ou les produits laitiers riches en protéines, plutôt que les aliments protéinés manufacturés vendus dans de jolis emballages. « Les gens ont toujours tendance à compliquer la [nutrition], ajoute-t-il. On essaie toujours de vous vendre quelque chose de nouveau. »
Pour l’essentiel, une alimentation saine est simple à mettre en place. « Mangez des protéines maigres, beaucoup de fruits et de légumes, un peu de céréales complètes et des graisses saines et vous serez dans une excellente situation. »