TDAH chez l’adulte : comment expliquer l'augmentation des diagnostics ?

Les médecins s’étaient trompés. Pendant des décennies, de nombreux psychiatres ont cru que les enfants souffrant de troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), finiraient tout simplement par en guérir en grandissant. Mais de nouveaux éléments révèlent une réalité différente. Si sept millions d’enfants environ se sont vu diagnostiquer un TDAH aux États-Unis, une récente enquête des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) montre que 15,5 millions d’adultes américains sont également concernés et que la moitié d’entre eux ont reçu ce diagnostic à l’âge adulte. En France, deux millions de personnes sont concernées et 5 % des enfants le seraient selon le site info.gouv.fr.
Désormais, les chercheurs admettent que le TDAH chez l’adulte se manifeste différemment, car ceux-ci sont souvent plus aptes à dissimuler leurs symptômes. Les personnes atteintes de TDAH ont généralement du mal à se concentrer ou à s’appliquer à une tâche. Elles peuvent se sentir agitées, parler de manière excessive, agir de manière impulsive en interrompant les autres ou bien éprouver des difficultés dans des situations qui exigent d’attendre son tour. « Là où un enfant ne va pas être capable de rester assis calmement en classe et va se lever sans cesse, un adulte peut se montrer très impatient aux feux rouges ou dans la queue au supermarché », explique Jill RachBeisel, professeure de psychologie au Centre médical de l’Université du Maryland. « Et là où un enfant va lever la main impatiemment en classe et perturber le déroulement du cours, un adulte est susceptible d’interrompre les conversations des autres. »
Ensuite, il faut prendre en compte l’intensité des réactions. Selon la professeure, chez les enfants comme chez les adultes, les symptômes de ce type peuvent se présenter sous une forme « très légère à très grave ». Souffrir de TDAH signifie qu’une personne manifeste fréquemment ces tendances dans des situations diverses et variées, y compris à l’école, à la maison et au travail, tendances qui entravent leur aptitude à réaliser des tâches. Craig Surman, médecin et psychiatre à la tête du programme de recherche sur le TDAH au Massachusetts General Hospital, explique que bien que l’aspect impulsif et hyperactif du trouble diminue généralement à l’âge adulte, « les traits inattentifs persistent souvent ».
La prévalence toujours plus grande du TDAH chez les adultes s’explique en partie par une plus grande sensibilisation à ce trouble et par le fait que des personnes auparavant non diagnostiquées cherchent désormais de l’aide. Le TDAH est un trouble du neurodéveloppement, c’est-à-dire qu’il affecte le développement et le fonctionnement du cerveau et est principalement d’origine génétique. Des facteurs ou problèmes environnementaux durant la grossesse peuvent également jouer un rôle dans son apparition. Certains chercheurs suggèrent que notre dépendance excessive aux technologies pourrait exacerber ce trouble ou bien causer des symptômes similaires.
« Il est légitime d’envisager la possibilité d’un déficit de l’attention acquis », observe John Ratey, médecin, neuropsychiatre et professeur-praticien en psychiatrie à la Faculté de médecine de l’Université Harvard. Aujourd’hui, les individus sont poussés à faire plusieurs choses à la fois et sont bombardés en permanence de stimuli technologiques qui peuvent entraîner une addiction aux écrans. Cela « pourrait potentiellement conduire à une capacité de concentration plus restreinte », suggère-t-il.
Bien que certaines études se soient penchées sur le lien entre TDAH et écrans, les conclusions ne sont pas définitives. Il y a près de dix ans, une étude publiée dans la revue Psychology of Addictive Behaviors avançait une corrélation entre TDAH et utilisation compulsive et excessive des jeux vidéo et des réseaux sociaux. Plus récemment, en 2020, des scientifiques de l’Université de Californie à Los Angeles ont découvert, malgré le fait que la majorité des recherches aient porté sur des enfants et des adolescents, que le lien entre le temps d’écrans et symptômes du TDAH a été constaté chez des individus de toutes les tranches d’âge.
Mais il faut être clair, un TDAH acquis n’est pas un diagnostic officiel. On pourrait également attribuer le lien entre utilisation des technologies et problèmes d’attention au fait que les personnes qui sont constamment devant des écrans ont moins d’occasions de laisser leur cerveau se reposer en mode « par défaut ». « Longtemps, l’association entre TDAH et présence excessive sur Internet était pour notre domaine une question du type “l’œuf ou la poule ?” », explique Elias Aboujaoude, professeur-praticien à la Faculté de médecine de l’Université Stanford. « Devient-on un internaute forcené parce que l’on souffre de TDAH et que la vie en ligne convient mieux à notre capacité de concentration ou bien contracte-t-on un TDAH à force d’une consommation excessive de contenus en ligne ? » L’expérience clinique et les recherches en cours suggèrent de plus en plus que les écrans influencent le comportement, ajoute-t-il.
Certains spécialistes contestent cette idée. Mais selon Lidia Zylowska, psychiatre de la Faculté de médecine de l’Université du Minnesota et autrice de The Mindfulness Prescription for Adult ADHD, notre culture de la connexion permanente tournant autour du smartphone contribue probablement à la sensation de distraction chez certaines personnes et « pourrait aggraver un TDAH préexistant ou habituer un cerveau ne souffrant pas de TDAH à un état de dispersion ».
Des facteurs autres que la technologie sont également susceptibles de contribuer à des traits typiques du TDAH chez les adultes, voire de les causer directement. Selon John Ratey, des changements hormonaux liés aux menstruations ou à la ménopause font souvent émerger des symptômes latents du TDAH chez les femmes. « Les femmes sont l’un des groupes démographiques les moins diagnostiqués pour ce qui est du TDAH et on leur prescrit souvent des antidépresseurs et des anxiolytiques alors qu’en réalité elles présentent des symptômes liés au TDAH », explique-t-il.
La tendance des symptômes du TDAH à se chevaucher avec ceux d’autres troubles mentaux n’est évidemment pas propre aux femmes. « Chez les adultes, le TDAH voyage rarement seul, prévient Lidia Zylowska. De même qu’une fièvre peut s’expliquer de plusieurs façons, les problèmes d’attention peuvent être dus à différentes raisons. » Selon elle, des facteurs tels que le stress, les effets secondaires de certains médicaments et le manque de sommeil peuvent compliquer le processus de concentration. « De la même manière, d’autres symptômes mentaux ou physiques, comme l’anxiété, la dépression, l’apnée du sommeil, les changements cognitifs liés à l’âge et les problèmes de thyroïde sont susceptibles d’imiter le TDAH », ajoute-t-elle.
De plus, comme le TDAH figure souvent aux côtés d’autres troubles, il n’y a rien d’anodin à ne pas le traiter, met en garde Mark Stein, psychologue du programme d’étude du TDAH de l’hôpital pédiatrique de Seattle et professeur de psychiatrie et de sciences du comportement à l’Université de Washington. « Mon conseil le plus important est de faire en sorte d’obtenir une évaluation digne de ce nom », préconise-t-il.
Les adultes cherchant à obtenir un diagnostic clinique pourraient bien entendu découvrir que les problèmes sous-jacents étaient là depuis toujours. Les psychiatres cherchent souvent des symptômes qui se sont manifestés dès l’enfance (le seuil de diagnostic est fixé à 12 ans), même s’ils sont passés largement inaperçus. Ils peuvent déceler des indices en lisant de vieux journaux intimes ou les remarques de professeurs, en interrogeant les membres de la famille ou en écoutant le patient se souvenir de cette période.
Il peut arriver que lorsque les parents ou les professeurs n’ont pas reconnu les symptômes du TDAH, l’enfant ait développé des stratégies de contournement. Certains enfants ne sont tout simplement pas assez en difficulté pour susciter d’inquiétude. « Il n’est pas rare qu’un enfant inattentif mais qui ne perturbe pas la classe passe inaperçu », explique Lidia Zylowska. Les emplois du temps fixes, les activités structurées et l’aide apportée par les parents peuvent aussi facilement occulter les symptômes jusqu’à ce qu’une personne perde ces facteurs structurants et cette aide une fois adulte. Jill RachBeisel explique que lorsque l’on passe à côté d’un TDAH et que les enfants concernés grandissent et quittent le domicile familial, ils commencent parfois à lutter ou « remarquent qu’ils doivent travailler deux à trois fois plus dur pour atteindre le même niveau de succès que leurs pairs ».
La bonne nouvelle est qu’une fois que le trouble est correctement identifié, de nombreuses options existent pour ceux qui cherchent de l’aide. « C’est un trouble tout ce qu’il y a de plus traitable [après avoir été diagnostiqué] », rappelle Jill RachBeisel. Le traitement se présente souvent sous la forme de médicaments ou bien d’approches thérapeutiques telles que la thérapie cognitivo-comportementale. Un entretien avec un professionnel du diagnostic et du traitement du TDAH peut permettre de savoir si un traitement médicamenteux ou au contraire une approche non médicamenteuse sont susceptibles d’être bénéfiques.
« Le TDAH comporte ses difficultés, mais il s’accompagne aussi d’immenses atouts, comme la créativité, l’enthousiasme, la curiosité, la loyauté et l’esprit de projet quand l’intérêt est là, explique John Ratey. Il s’agit de trouver le bon emploi, les bons amis et le bon partenaire pour développer les atouts du cerveau TDAH et le faire s’envoler. »