Une sieste après un café ? Cette alliance improbable boosterait vraiment votre énergie

Dans la culture actuelle où la caféine est reine, les boissons énergisantes sont légion et les conseils pour mieux dormir se multiplient. Mais une stratégie en apparence simple refait surface : un café et une sieste.
Bien sûr, la soi-disant « sieste caféinée » n’est pas entièrement nouvelle. En Espagne, par exemple, il est courant de terminer le déjeuner avec un café, puis de faire une courte sieste. Mais peu d'experts se sont jusqu'à présent penchés sur le fondement scientifique de cette pratique.
Un café avant une sieste peut-il vraiment donner à votre cerveau un coup de pouce salvateur ? Des endocrinologues et des experts du sommeil nous en disent plus sur les bienfaits et les limites potentielles de la « sieste caféinée ».
CAFÉINE ET ADÉNOSINE : LE YIN ET LE YANG ?
La somnolence n’est pas seulement un sentiment, des processus chimiques et biologiques sont à l’œuvre.
Chez les humains, l’un des acteurs clés est l’adénosine, un neuromodulateur qui s’accumule régulièrement dans le cerveau à mesure que nos cellules brûlent de l’énergie au cours de la journée. À mesure que l’adénosine s’accumule, elle se lie à une famille de récepteurs (A1, A2A, A2B et A3) qui aident à réguler des fonctions cellulaires critiques, y compris le sommeil.
« Lorsqu’ils sont activés, [les récepteurs] ralentissent la transmission nerveuse et la libération de neurotransmetteurs », dit Scott Rivkees, endocrino-pédiatre et professeur à l’École de santé publique de Brown. L’effet est comme un variateur mental : la liaison inhibe l’activité neuronale, nous donnant une sensation de somnolence. Pendant que nous dormons, l’adénosine est décomposée jusqu’à ce que le cerveau puisse reprendre son fonctionnement normal.
La caféine exploite ce système pour nous maintenir éveillés. « [La caféine est] un antagoniste puissant de l’adénosine qui bloquera l’adénosine à chacun des différents sous-types de récepteurs », dit Rivkees. Avec ces récepteurs occupés, l’adénosine ne peut pas s’arrimer et ralentir l’activité cérébrale. Au lieu de cela, les cellules nerveuses continuent de tirer, les neurotransmetteurs continuent de circuler, et nous nous sentons alertes.
« C’est cette relation yin-yang », explique Scott Rivkees. Plus vous consommez de caféine, plus le nombre de récepteurs remplis est important, bien qu’il y ait une limite physiologique. « Lorsque vous avez des concentrations vraiment élevées de caféine, vous bloquez la majorité des récepteurs de l’adénosine. »
Cependant, cette relation n’est pas statique. Alors que la caféine bloque les récepteurs de l’adénosine, le corps compense en en générant davantage. Avec le temps, il faut des doses plus élevées de caféine pour obtenir le même effet, conduisant à la tolérance et à la dépendance au niveau moléculaire.
CE QU'EN DIT LA SCIENCE
Les siestes comme la caféine peuvent « remettre à jour » notre cerveau, les siestes en éliminant l’adénosine, la caféine en la bloquant. Mais une question demeure : une courte sieste après une tasse de café pourrait-elle amplifier l’effet du stimulant ?
L’idée a un attrait intuitif. « Une sieste en elle-même combat la somnolence. La caféine en elle-même combat aussi la somnolence. Donc, si nous combinions les deux, nous pourrions avoir un effet plus fort », avance Seiji Nishino, professeur émérite de psychiatrie, sciences du comportement et médecine du sommeil à Stanford. La caféine met environ vingt à trente minutes à agir, soit à peu près la durée d’une sieste idéale. « Si nous dormons plus de trente minutes ou une heure, nous entrons dans un sommeil profond », prévient Seiji Nishino. Mais si l'on parvient à dormir moins de trente minutes, cela nous donne un vrai coup de boost mental, sans brouillard cérébral persistant.
« Une des raisons de combiner café et sieste est ce problème d’inertie du sommeil », soulève Siobhan Banks, professeure et directrice du Behaviour-Brain-Body Research Centre à l’Université d’Australie du Sud, en référence à la somnolence qui persiste après une sieste.
Malgré l'engouement, la sieste caféinée reste peu étudiée. Une étude de 1997 a observé une amélioration de la capacité de conduite parmi les participants qui combinaient caféine et courte sieste, et une étude de 2001 a décrit les bénéfices de la caféine pour réduire la somnolence post-sieste. Mais les preuves sont minces, et des experts comme Nishino restent prudents. « En théorie c’est exact », dit-il. « Mais je ne sais pas si ça marche ou pas. »
Aujourd’hui, des scientifiques comme Siobhan Banks commencent à tester la théorie de façon plus rigoureuse. Ses recherches se sont concentrées sur l’utilisation plus stratégique de la caféine, en particulier sur le lieu de travail. Les premiers résultats sont prometteurs. Dans une étude pilote publiée en 2020, Banks et son équipe ont découvert qu’une sieste caféinée, 200 mg de caféine immédiatement avant un repos de trente minutes, réduisait la fatigue et augmentait la performance cognitive.
Alors que Siobhan Banks indique que les résultats initiaux « confirment qu’il y a un certain bénéfice », elle admet que les études sont relativement petites et ont été réalisées en laboratoire. D’autres chercheurs ont noté des limites similaires, appelant à davantage d’études testant les siestes caféinées dans un éventail plus large de scénarios réels.
« Ces études ont des limites », soulève Nora D. Volkow, directrice du National Institute on Drug Abuse aux National Institutes of Health. « L’une est que la plupart impliquaient des volontaires en bonne santé âgés d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années. Donc, les personnes d’âge moyen et plus âgées, ou celles ayant des troubles du sommeil, pourraient ne pas voir les mêmes bénéfices. »
Il y a aussi des différences individuelles à considérer. Certaines personnes sont plus ou moins enclines à faire la sieste, tandis que d’autres ont une sensibilité inhabituelle à la caféine. Peu importe ce que la recherche montre sur l’efficacité des siestes caféinées, cela « dépend en fin de compte de la personne et de la situation », souligne Nishino.
Et aussi efficace que soit la caféine pour améliorer l’attention et la vigilance, Volkow avertit que les siestes caféinées ne seront jamais une solution miracle à la productivité, ni un substitut à une bonne nuit de sommeil.
Néanmoins, Siobhan Banks pense qu’une certaine expérimentation à la maison vaut la peine et recommande de commencer avec de plus petites doses. « Amusez-vous, testez et prenez une tasse de café avant une sieste », dit-elle. « Je pense qu’il y a assez de preuves pour tenter le coup et voir si ça marche. »