Bénin : Patrice Talon brise le silence sur son conflit avec Boni Yayi

Nov 5, 2025 - 11:00
Bénin : Patrice Talon brise le silence sur son conflit avec Boni Yayi
Bénin : Patrice Talon brise le silence sur son conflit avec Boni Yayi

Mardi 4 novembre 2025, le président Patrice Talon est annoncé dans un grand oral. « Un entretien exclusif autour des grands sujets d’actualité nationale, dans un format clair, direct et sans détour« , a indiqué la présidence de la République. Le rendez-vous était donc pris. 20 h 30, le chef de l’État apparaît à l’écran, face au journaliste Serge Ayaka de la télévision nationale. Dès les premiers mots, le décor était planté. Au menu de cet entretien de 48 minutes : Boni Yayi, Les Démocrates, la réforme du système partisan. Cette sortie médiatique fait suite à la déclaration de Boni Yayi qui accusait le président Patrice Talon de museler l’opposition et d’empêcher la compétition électorale.

Bénin : Patrice Talon se décharge et accuse Boni Yayi d’avoir saboté ses réformes

L’entretien a commencé très fort. Comme on le lui connaît, le chef de l’État n’est pas allé par le dos de la cuillère. C’était sans ambages et sans état d’âme. Le président a reconnu d’abord que la situation politique actuelle ne l’enchante pas. « Elle porte préjudice à l’image de notre pays », a-t-il indiqué. À qui donc la faute ? Patrice Talon se dédouane et blanchit la réforme du système partisan dont il est l’initiateur.

Le président n’est pas allé loin pour désigner son prédécesseur comme le coupable de tout ce qui se passe. Selon les révélations de Patrice Talon, Boni Yayi s’emploierait depuis 2016 à faire échec à toutes les réformes. « En effet, depuis 2016, mon prédécesseur, le président Boni Yayi, s’emploie avec beaucoup d’énergie à faire échec à toutes les réformes, quelles qu’elles soient, et à l’action publique, quel que soit le secteur », a-t-il confié.

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Dès sa prise de fonction en 2016, Patrice Talon dit avoir tendu la main à toutes les sensibilités politiques, notamment aux FCBE, qui, à l’époque, étaient encore une coalition de plusieurs partis dirigée par Boni Yayi. Là encore, Boni Yayi aurait fait échec à cette ouverture.

L’appel de Patrice Talon à entrer en partenariat avec les FCBE et à accueillir des cadres FCBE dans la gouvernance politique et technique du pays a été refusé à tous ceux qui ont estimé le contraire et ont montré leur disponibilité à collaborer. Tous ceux-là ont été bannis. Cette volonté du régime de la Rupture d’associer toutes les compétences et bonnes volontés, quels que soient leurs bords politiques, à la construction du pays, s’est manifestée très tôt, dès la formation du premier gouvernement.Patrice Talon

Certains proches du camp de Boni Yayi, compte tenu de leurs compétences techniques et de leur leadership politique, avaient quand même rejoint le nouveau régime. Ceux qui sont restés fidèles à Boni Yayi, à croire Patrice Talon, « sont manifestement entrés en quasi-rébellion contre le nouveau régime, et ceux qui ont choisi de servir le pays à mes côtés ont été purement et simplement bannis ». Selon le président, c’est le refus d’adhérer aux réformes politiques et le refus de collaborer avec son régime qui ont conduit à l’éclatement des FCBE et donné naissance au parti Les Démocrates.

Conflits politiques et violences électorales de 2019 : Boni Yayi, seul responsable selon Patrice Talon

Les rivalités qui ont vu le jour entre les deux personnalités dès les premières semaines du nouveau régime ont atteint leur paroxysme en 2019. Alors que le régime de la Rupture devait organiser ses premières élections, un grand conflit éclate. Pour la première fois depuis l’avènement de la démocratie, le Bénin a connu des périodes électorales violentes. Des morts, des blessés et d’énormes dégâts matériels ont été dénombrés. Ces événements malheureux, qui ont mis le Bénin sur orbite de la plus mauvaise des manières, sont la conséquence de la bataille rangée qui s’est déroulée en coulisse entre le camp de Patrice Talon et celui de Boni Yayi.

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Le chef de l’État dit avoir assumé tout ce qui s’est passé, mais qu’en réalité, il n’était pas le responsable : « Je suis tenu à la fin de dire, pour que tout le monde m’entende, que ce qui s’est passé en 2019, c’est le président Yayi Boni qui a été le seul responsable. Il a empêché la tenue normale des élections, il a empêché les démocrates de participer aux élections, c’étaient les FCBE à l’époque, parce qu’il a empêché que des textes consensuels soient mis en œuvre pour permettre une élection apaisée. »

Le seul problème que les FCBE ont eu dans le passé, quand elles étaient dirigées par Boni Yayi, le seul problème que Les Démocrates ont aujourd’hui, dirigés par Boni Yayi, c’est parce qu’il y a un problème entre Patrice Talon et Boni Yayi. La guéguerre entre mon ami, mon grand frère, l’ancien président et moi est en train de pourrir l’environnement politique au Bénin.

En fin de mandat, le président Patrice Talon constate que les guéguerres entre lui et son prédécesseur n’apportent rien de positif au pays. « Notre relation nuit au Bénin. Moi, j’aimerais bien qu’il en soit différemment, qu’il n’en soit plus ainsi, mais je n’y arrive pas. Je n’y arrive pas. Je souhaite que le terme de mon mandat arrive, pour que les Béninois vivent autre chose, en dehors de Talon et Boni Yayi », a-t-il indiqué.

« Vivement les élections de 2026 pour que nous quittions la scène politique »

Patrice Talon souhaite que lui et son prédécesseur quittent définitivement la scène politique. « Je voudrais qu’il quitte aussi la scène politique. Qu’on se retrouve dans un conseil de sages pour donner des conseils aux gens, pour faire des arbitrages. »

Pour le président de la République, cette retraite politique des anciens chefs d’État s’impose pour garantir un développement harmonieux du pays. « Moi, je demanderais bien au Parlement de voter une loi constitutionnelle pour interdire à Talon, à Yayi Boni et à Soglo de faire de la politique. Qu’on aille passer nos vacances au village », a-t-il déclaré.

Yayi – Talon : de l’amitié à la guerre politique, une rivalité historique

Les divergences entre Patrice Talon et Boni Yayi relèvent d’un paradoxe. Deux amis, deux partenaires politiques, devenus de farouches adversaires au point de prendre en « otage » tout un pays. En 2006, Boni Yayi devient président de la République en succédant à feu Mathieu Kérékou. Dans sa quête du pouvoir, l’ancien président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a bénéficié du soutien permanent de Patrice Talon, alors homme d’affaires et bien introduit dans les arcanes du pouvoir.

En 2011, pour le renouvellement de son mandat, Boni Yayi a maintenu son partenariat avec l’homme d’affaires. Mais les divergences vont surgir en 2012. Une affaire de tentative d’empoisonnement dont Patrice Talon serait l’auteur principal. Un bras de fer judiciaire s’installe, et les relations entre les deux hommes commencent à se dégrader. Dans la foulée, une autre affaire dite « PVI » s’ajoute aux ennuis judiciaires de l’homme d’affaires, magnat de l’or blanc. Dans la précipitation, Patrice Talon quitte Cotonou et trouve refuge à Paris, où il a nourri et mis en place son ambition de briguer la magistrature suprême. Depuis son lieu d’exil, il a mené une farouche opposition contre le régime dont il avait contribué à l’installation quelques années plus tôt.

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Après trois ans d’exil, Patrice Talon rentre à Cotonou après plusieurs médiations. Il se présente à l’élection présidentielle et bat au deuxième tour le candidat de Boni Yayi, Lionel Zinsou. Depuis lors, Patrice Talon et Boni Yayi n’ont jamais réussi à faire table rase de leur différend. La lune de miel n’a jamais duré trop longtemps entre les deux. Même la réconciliation organisée à Abidjan par Alassane Ouattara et Faure Gnassingbé n’a pas réussi à recoller les morceaux entre Patrice Talon et Boni Yayi. À la vérité, cette rivalité dépasse de simples querelles partisanes.