Sept artefacts que vous ne verrez pas au nouveau Grand musée égyptien
Après plus de deux décennies ponctuées de nombreux contretemps, le Grand musée égyptien (GEM) ouvre enfin officiellement ses portes au Caire ce mois de novembre.
Les salles du musée débordent d’artefacts inestimables, comme la colossale statue de Ramsès II, les barques solaires de Khéops ou encore 5 000 trésors du tombeau de Toutankhamon, exposés pour la première fois depuis la découverte de sa sépulture.
Cependant, de nombreux autres artefacts égyptiens à la grande valeur historique et archéologique font figure de grands absents au GEM. Raflés par des troupes étrangères en Égypte, passés en contrebande au nez et à la barbe des autorités ou bien revendiqués dans le cadre des systèmes de partage, de nombreuses antiquités furent saisies pour le profit d’anciennes puissances coloniales qui les exposent désormais dans leurs musées.
Voici sept inestimables artefacts égyptiens que vous ne verrez pas au Grand musée égyptien et les raisons pour lesquelles les partisans d’une restitution souhaitent leur retour.
1. LA PIERRE DE ROSETTE
Où la voir : British Museum, à Londres
Quand les soldats de Napoléon posèrent les yeux sur la pierre de Rosette en 1799, ils surent qu’ils venaient de découvrir la clé qui leur permettrait de décoder les hiéroglyphes. Sur cette stèle de granodiorite de la taille d’un bureau figurent trois écritures distinctes et parfaitement lisibles : grec ancien, hiéroglyphes et démotique. « De la même [racine] que le mot “démocratie”, le terme démotique désigne l’écriture égyptienne utilisée par le commun des mortels », explique Bob Brier, égyptologue et chercheur à l’Université de Long Island et auteur d’une dizaine d’ouvrage sur l’Égypte ancienne.
Avant cette découverte cruciale, nombreux étaient les universitaires qui croyaient que les hiéroglyphes n’étaient que des pictogrammes. Mais la présence d’autres écritures suggérait une tout autre réalité.
Bien que les mots de la pierre de Rosette ne soient pas particulièrement intéressants (il s’agit d’un message de remerciement public adressé au roi par le prêtre d’un temple pour avoir baissé les impôts), ils eurent des conséquences immenses.
« Il a fallu vingt années de plus pour traduire la pierre et à partir de là tout s’est ouvert », raconte Bob Brier, qui dit de l’artefact qu’il constitue « la plus importante découverte de l’histoire de l’égyptologie ».
Toutefois, l’Égypte était à cette époque « comme le Far West », rappelle-t-il, « et les aventuriers pouvaient y aller et prendre tout ce qu’ils voulaient ». Le général Jacques François de Menou considérait la pierre comme sa propriété personnelle. Mais les Britanniques ne l’entendaient pas de cette oreille et, selon Bob Brier, « finirent par le braquer avec une arme en disant donne-la-nous. »
Dès 1802, la pierre de Rosette fut exposée au British Museum ; les visiteurs du 19e siècle purent la toucher librement, car il n’y avait pas la moindre vitrine pour la protéger. Malgré des tentatives continues de la rapatrier en Égypte, elle s’y trouve encore aujourd’hui (sous verre, bien entendu).
2. OBÉLISQUE DE LOUXOR
Où la voir : place de la Concorde, à Paris
De même que les aiguilles de Cléopâtre, les obélisques séparés qui se trouvent désormais à New York et à Londres, l’obélisque de Louxor, à Paris, est l’un des deux éléments d’une paire distincte. « Il y avait une paire d’obélisques devant presque tous les temples du Nouvel Empire », explique Bob Brier. (Le Nouvel Empire, qui dura de 1550 à 1070 avant notre ère environ, fut la période la plus influente et la plus prospère de l’Égypte ancienne, si bien qu’on en parle souvent comme de l’âge d’or égyptien).
Le temple de Louxor se dresse aujourd’hui encore sur la rive orientale du Nil et, chaque année, des millions de touristes ne peuvent s’empêcher de remarquer une absence flagrante : « Il ne s’y trouve qu’un obélisque, qui a l’air triste, comme s’il regrettait son frère », illustre Bob Brier, auteur d’un livre sur le sujet intitulé Cleopatra’s Needles: The Lost Obelisks of Egypt.
Vieux de 3 000 ans, ces monolithes de granit rouge étaient des symboles de victoire pour Napoléon, qui n’eut pas besoin de les piller, car le gouverneur de facto d’alors, Méhémet Ali, en fit don à la France en 1829. Mais il y avait un problème. « Leur transport était si difficile et coûteux que les Français décidèrent de n’en prendre qu’un », explique Bob Brier. En retour, la France offrit l’horloge de la citadelle du Caire, la toute première horloge publique d’Égypte, qui cessa de fonctionner presque aussitôt et que l’on mit 175 ans à réparer.
3. LE ZODIAQUE DE DENDÉRAH
Où le voir : musée du Louvre, à Paris
Pendant deux millénaires, des prêtres purent lever les yeux vers le plafond du temple d’Hathor pour admirer le zodiaque de Dendérah. Dédié à Osiris et (possiblement) commandé par Cléopâtre en 50 avant notre ère, ce bas-relief de 2,50 mètres de diamètre est l’une des plus anciennes cartes du ciel connues et saisit un fascinant mélange de cultures.
« Voilà un amalgame de pensée grecque et égyptienne – religion, science, technologie – dans la dernière dynastie de l’Égypte ancienne », déclare Salima Ikram, professeure d’égyptologie à l’Université américaine du Caire. Naturellement, ajoute-t-elle, « il suscitait la convoitise de tous ceux qui le voyaient ».
Comment est-il arrivé à Paris ? Les récits divergent. Le récit officiel est que les Français l’auraient emporté avec la permission des autorités égyptiennes en 1821. D’autres affirment que le voleur d’antiquités Claude Lelorrain se serait rendu au temple, situé à 65 kilomètres environ au nord de Louxor, dynamite à la main, pour en détacher le zodiaque.
« C’était l’un des plus beaux temples d’Égypte et ils l’ont tout simplement fait exploser et réduit en morceaux », déplore Laura Ranieri, égyptologue et fondatrice d’Ancient Egypt Alive, organisation dédiée à la sensibilisation des visiteurs à l’histoire complexe de l’Égypte.
Quoi qu’il en soit, ces fragments furent expédiés au roi Louis XVIII, encore irrité que la France ait perdu la pierre de Rosette, qui paya la somme exorbitante de 150 000 francs pour installer le zodiaque dans la bibliothèque royale. Un siècle plus tard, on le déplaça au Louvre, où les groupes de visiteurs de Laura Ranieri sont toujours émerveillés et captivés par le raffinement de ce monument en grès. Le temple d’Hathor a quant à lui installé une réplique.
4. LE SARCOPHAGE DE SÉTHI Ier
Où le voir : Sir John Soane's Museum, à Londres
Dans le sous-sol obscur de trois maisons mitoyennes interconnectées de Londres repose un artefact dont personne ne voulait en 1817 : le sarcophage de Séthi Ier, pharaon important mort en 1279 avant notre ère et enterré dans l’un des tombeaux les plus profonds et les mieux décorés de la vallée des Rois.
« L’archéologue italien Giovanni Belzoni l’a rapporté d’Égypte en pensant que le British Museum l’acquerrait, mais ils ont bêtement refusé », raconte Salima Ikram. Ce sarcophage inestimable vieux de 3 200 ans fut, à la place, vendu pour la somme dérisoire de 2 000 livres sterling de 1824 (217 000 euros environ aujourd’hui) à un collectionneur excentrique, Sir John Soane, qui le cacha dans sa cave. Préservée dans l’état où on le découvrit à la mort de John Soane en 1837, la maison est aujourd’hui un musée rempli de bizarreries en tout genre, dont aucune ne rivalise avec le sarcophage.
« Il est taillé dans un albâtre translucide et décoré avec de la peinture bleue, explique Salima Ikram. Si l’on place une lumière à l’intérieur, l’ensemble brille et les formes bleues semblent s’animer. » En 1825, 900 visiteurs purent voir de leurs propres yeux cette lueur étrange à l’occasion d'une exposition de trois jours organisée par John Soane.
5. LE BUSTE DE NÉFERTITI
Où le voir : Neues Museum, à Berlin
En 1912, l’archéologue juif allemand Ludwig Borchardt aperçut un visage féminin alors qu’il fouillait la capitale détruite d’Akhetaton. « Il s’agissait de Néfertiti en personne, gisant visage vers le haut et en belle condition », rapporte Laura Ranieri, qui doit à cette reine mystérieuse qui fut peut-être pharaonne son attrait pour cette discipline. Après l’accession au trône de son beau-fils, Toutankhamon, les effigies de Néfertiti furent délibérément mutilées et détruites.
Ludwig Borchardt parvint à s’emparer de cet artefact miraculeusement intact en minimisant sa valeur et son importance. « Borchardt affirma qu’il était en gypse, du plâtre, en fait, et non en précieux calcaire, lequel devait selon la loi en vigueur alors rester en Égypte », explique Laura Ranieri. Au sujet du buste, une note délibérément obscure consignée dans le journal de fouilles de Ludwig Borchardt dit : « Description inutile, doit être vu. »
Huit ans plus tard, Néfertiti était exposée à Berlin. Son buste, qui mesure près de 46 centimètres et pèse 20 kilogrammes, arbore une coiffe haute et plate peinte à la main dans un bleu égyptien évocateur et ornée d’un ruban rouge et or. Les Égyptiens entamèrent immédiatement des négociations pour récupérer Néfertiti et furent sur le point d’y parvenir en 1929, avant qu’Adolf Hitler ne retoque l’accord.
Le buste dispose désormais de sa propre salle au Neues Museum, où un million de visiteurs admirent chaque année ce que Laura Ranieri considère comme « l’une des plus grandes œuvres d’art du monde ».
6. LA ROBE DE TARKHAN
Où la voir : musée Petrie d’archéologie égyptienne, à Londres
La robe de Tarkhan fut découverte en 1913 dans la nécropole antique de Tarkhan, située à 65 kilomètres du Caire sur les rives du Nil. D’abord prise pour un simple chiffon, la robe passa soixante ans dans une boîte jamais ouverte à l’University College de Londres. Daté au carbone 14 en 2015, le « chiffon » se révéla avoir plus de 5 000 ans, ce qui en fait l’un des plus vieux vêtements tissés au monde.
Malgré son ancienneté, ce vêtement de bonne facture est dans un remarquable état de conservation, comme le remarque Colleen Darnell, égyptologue de l’Université Yale et passionnée de mode vintage : « La robe se compose de trois pièces de tissu avec de délicats plis en lin encore visibles », décrit-elle. Bien que sa partie inférieure, qui allait vraisemblablement jusqu’à terre, ait été perdue, le haut est doté d’un col en V plutôt familier et d’une taille coupée dans le style empire que l’on pourrait retrouver aujourd’hui dans n’importe quel magasin H&M.
Par rapport à d’autres vêtements à nous être parvenus, comme des robes de mariage sophistiquées portées une fois par des personnages assez importants pour qu’on préserve leurs ensembles, la robe de Tarkhan, qui correspond plus ou moins à une taille 34, tire son importance de ce qu’elle était ordinaire pour les roturiers égyptiens. Et comme nos vieux habits, elle possède un charme auquel on peut facilement s’identifier : « Des taches au niveau des aisselles suggèrent que c’était un vêtement porté dans la vie quotidienne », révèle Colleen Darnell.
Taches comprises, la robe de Tarkhan est accrochée au musée Petrie de Londres, qui tient son nom de l’archéologue britannique Flinders Petrie qui, en 1883, mit au point le système de « partage » qui consistait à répartir à parts égales les artefacts entre les archéologues étrangers et le pays fouillé. La législation égyptienne mit fin à ce système en 1983.
7. BUSTE D’ANKHHAF DE GIZEH
Où la voir : musée des Beaux-Arts, Boston
Ankhhaf fut à la fois prince et vizir (ou premier ministre) lors de la 4e dynastie et vénéré pour avoir supervisé la construction de la pyramide de Khéops et du Sphinx.
Exhumé en 1925 lors d’une expédition colossale de plus de quarante ans entreprise par l’Université Harvard en Égypte et au Soudan, cette effigie d’Ankhhaf était « un buste funéraire destiné à être placé avec lui dans sa tombe afin que son âme puisse être réanimée », explique Salima Ikram. Mauvaise nouvelle pour son âme : le système de partage en vigueur attribua le buste à l’archéologue américain George Reisner avant qu’il ne revienne au musée des Beaux-Arts de Boston.
Le buste d’Ankhhaf est important en raison de son réalisme rare. « On peut voir une calvitie naissante et des cernes sous ses yeux », fait observer Salima Ikram. En effet, celui-ci frappe par sa normalité alors que les Égyptiens prenaient de grandes libertés quand il s’agissait de représenter les pharaons, leur donnant très souvent les traits de dieux parfaits. « On reconnaît instantanément que c’est une personne réelle, s’étonne Salima Ikram. Si vous lui mettiez un costume, il pourrait descendre la Cinquième Avenue sur-le-champ. »
Bien que le buste d’Ankhhaf ait été acquis légalement car il fut offert par le gouvernement égyptien à George Reisner en 1927, cela n’arriva pas sans quelques tractations politiques douteuses. À l’est de la pyramide de Khéops, George Reisner avait également découvert la tombe d’Hétep-Hérès Ire, assez unique en son genre car elle était intacte. Or à cette époque, la loi interdisait le pillage des tombes. Le buste d’Ankhhaf fut donc en quelque sorte un cadeau diplomatique plus que sympathique en guise de remerciement pour n’avoir rien dérobé.