Qui étaient les Cathares, ce groupe religieux qui osa défier l’Église catholique ?

Nov 6, 2025 - 08:20
Qui étaient les Cathares, ce groupe religieux qui osa défier l’Église catholique ?

L’Europe du début du 13e siècle vit émerger çà et là diverses communautés chrétiennes dissidentes, comme les cathares et les vaudois. Ces mouvements remettaient en cause des éléments centraux de la doctrine catholique : la validité des sacrements et le message de l’Église concernant le salut de l’âme, notamment. Selon eux, l’Église et ses membres s’étaient éloignés de l’idéal chrétien et il fallait revenir à une pauvreté évangélique. Avant l’Inquisition, l’Église catholique traitait le problème des divergences doctrinales en organisant des débats publics avec les dissidents dans le but de les ramener à la « foi véritable ».

Diego de Acebes, évêque du diocèse castillan de Burgo d'Osma, qui fut un témoin direct de l’implantation du catharisme, exhorta les prélats catholiques du sud de la France à changer de mode de vie. Il savait que lorsque les prêtres essayaient de prêcher contre l’hérésie, les dissidents les tournaient en dérision, les traitant d’hypocrites et critiquant leurs vies extravagantes et impures ; si l’Église souhaitait avoir la moindre chance de ramener les hérétiques dans son giron, ses membres allaient devoir se consacrer à la prédication, renoncer à la propriété et mettre en pratique ce qu’ils prêchaient. En 1207, dans la ville de Montréal, aujourd’hui dans le département de l’Aude, dans le sud de la France, on organisa un débat public lors duquel plusieurs chefs cathares s’opposèrent à Diego de Acebes et à son chanoine Dominique de Guzmán (le futur fondateur de l’ordre dominicain). Le diacre cathare Arnaud Oth aurait alors dénoncé l’Église catholique comme étant « l’Église du diable », une institution semblable à « cette Babylone que Jean, dans l’Apocalypse, accusait d’être la mère de la fornication et des abominations, ivre du sang des saints et des martyrs de Jésus-Christ ».

 

LA CROISADE DES ALBIGEOIS

Les troubles religieux grandissants provoquèrent une agitation qui tendait à se généraliser. En Occitanie, la situation fut aggravée par le contexte politique et social de cette région où la Couronne française, catholique, n’était pas parvenue à imposer une autorité efficace. Cela laissait aux seigneurs féodaux et aux oligarchies urbaines une certaine liberté de culte, tout en limitant l’emprise de l’Église catholique sur la région. Parmi les nobles qui s’étaient éloignés de l’orthodoxie catholique figurait notamment le vicomte de Carcassonne, fervent défenseur du catharisme, ainsi que le comte de Toulouse et le comte de Foix. En réaction, la papauté imposa une série de mesures. On promulgua des lois afin que les hérétiques encourent des peines lourdes. En outre, le pape, par l’intermédiaire de ses légats, c’est-à-dire ses émissaires sur le terrain, pressa rois, princes et seigneurs de prendre les armes et d’expulser tout hérétique de leurs domaines.

Les tensions dégénérèrent en janvier 1208 avec l’assassinat du légat papal Pierre de Castelnau par un écuyer de la maison de Toulouse. L’Église riposta promptement et en mars, le pape Innocent III appela tous les nobles, comtes et barons d’Europe, ainsi que leurs hommes, à se joindre à une croisade contre les hérétiques et les seigneurs féodaux qui les protégeaient. L’année suivante débuta la croisade des Albigeois. Contrairement à ce que peut laisser penser son nom, cette croisade avait pour but d’éradiquer les cathares non seulement d’Albi mais également de l’ensemble du sud de la France. Certaines sources estiment que le massacre de Béziers, en 1209, fit 20 000 morts. Bien que ce nombre puisse être exagéré, il est clair qu’il s’agit d’une période marquée par des pertes et souffrances considérables.

 

L’INQUISITION

La croisade des Albigeois prit fin avec le traité de Meaux-Paris, signé en avril 1229 par le roi Louis IX (sous la régence de sa mère Blanche de Castille) et Raymond VII, comte de Toulouse. Le comte fut contraint d’accepter les conditions extraordinairement difficiles dictées par la Couronne. Il accepta de reconnaître la souveraineté française et consentit à l’occupation de ses terres par les troupes du roi. Il retira le soutien qu’il avait accordé à ses vassaux dans leur combat contre l’Église, paya de lourdes indemnités à celle-ci et prêta allégeance au pape. Raymond alla ensuite plus loin encore en appuyant la lutte de l’Église contre l’hérésie, et ce de deux manières : il accepta de financer la faculté de théologie de l’Université de Toulouse, dont la faculté de théologie fut confiée aux dominicains, et il institutionnalisa la procédure inquisitoriale au sein de ses territoires. À partir de ce moment, les cathares furent confrontés à un environnement de plus en plus hostile et répressif.

L’Inquisition (du latin inquirere, « chercher à savoir », « s’enquérir ») débuta à la fin du 12e siècle et ses tenants établirent que les évêques avaient l’obligation d’éradiquer les hérétiques de leurs diocèses. Dans les années 1230, le pape Grégoire IX promulgua une série de bulles (des décrets formels) faisant de l’hérésie un crime de lèse-majesté (semblable à la trahison) et rendant obligatoire l’ouverture d’une procédure inquisitoriale dès lors que quelqu’un renonçait à des articles de foi.

La première phase de l’inquisition médiévale, menée par la papauté, vit les évêques se voir confier la responsabilité de prononcer les sentences ou la réintégration dans l’Église après que les accusés eurent formellement renoncé à leurs points de vue hérétiques. En outre, le pape Grégoire IX accorda des privilèges aux frères de l’ordre dominicain, de sorte qu’ils eurent carte blanche pour mener leur travail inquisitorial sans être soumis à l’autorité civile. C’est dans ce cadre que les premiers tribunaux inquisitoriaux se formèrent.

 

TRIOMPHES DE LA RÉPRESSION

L’Inquisition lancée par le pape Grégoire n’avait pas de siège fixe ; elle était itinérante et l’on tenait des procès dans les monastères, dans les maisons des évêques ou dans tout autre lieu approprié. Elle culmina entre mai 1245 et août 1246 avec la « Grande Inquisition » menée à Toulouse par les dominicains Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre.

En tout, 5 471 hommes et femmes, dont des nobles, des médecins, des moines, des savants, des artisans et des bergers de tout le Lauragais (la région qui se situe entre Toulouse et Carcassonne) furent convoqués à la basilique Saint-Sernin pour témoigner sur des questions de foi. Là, devant des juristes, des scribes et des témoins sous serment, les personnes interrogées (jusqu’à 200 par jour) devaient indiquer si elles ou tout autre personne qu’elles connaissaient, vivante ou morte, avait été témoins de croyances hérétiques, les avaient promues ou avaient cherché le salut par elles.

Si quelqu’un était reconnu coupable d’avoir prêché l’hérésie en public et si cette personne persistait dans ses idées hérétiques après avoir été réintégrée à l’Église, alors on pouvait la condamner pour hérésie. Alors, ses biens mobiliers et immobiliers étaient confisqués et on la remettait aux autorités civiles pour la brûler au bûcher.

C’est à peu près à cette période que les premiers manuels des inquisiteurs apparurent. Le juriste dominicain Raymond de Peñafort fut chargé de définir le cadre et les garanties juridiques permettant de traiter les personnes soupçonnées d’hérésie ainsi que celles qui avaient écouté, aidé ou encouragé un hérétique sans nécessairement partager ses croyances.

L’activité de l’Inquisition entraîna la fragmentation du catharisme dans le sud de la France. Cependant, durant la seconde moitié du 13e siècle, les communautés cathares trouvèrent dans le nord de l’Italie un espace suffisant pour s’étendre. Là, les cathares se firent appeler patarins, reprenant le nom d’un mouvement de réforme du clergé du 11e siècle. Les nouveaux patarins occupèrent une place notable dans plusieurs villes, notamment Florence, Orvieto, Bologne et Naples. En Italie, les adhérents du catharisme se recrutaient dans les familles de l’élite urbaine, comme les marchands et les artisans prospères, et jouissaient généralement de la protection de grandes maisons nobles. En Italie, quand éclata le conflit entre les guelfes (le parti du pape) et les gibelins (le parti des empereurs), la question cathare fut ravivée, car les cathares bénéficiaient du soutien des gibelins contre la papauté. Au début du 14e siècle, Pierre Authier, notaire du comté de Foix se rendit dans le nord de l’Italie et y rencontra les grands maîtres cathares qui enseignaient encore dans les écoles de Lombardie. Pierre Authier était si fasciné par leur enseignement qu’il se convertit et, avec son frère, rentra à Foix, d’où il entreprit de redynamiser la communauté cathare.

 

LE CATHARISME RESSUSCITÉ

Près de cent ans après le début de la croisade des Albigeois, la situation avait beaucoup changé en Occitanie : les hérétiques ne bénéficiaient plus du soutien des seigneurs et des oligarchies urbaines. Cependant, en un rien de temps, les frères Authier avaient ravivé les braises de l’Église cathare et converti des foules entières à leurs doctrines. Leur succès fut si marqué qu’en 1308, le village de Montaillou, dans le comté de Foix, fit l’objet d’une inquisition collective qui visa toutes les personnes de plus de 14 ans. Mais cela ne permit pas d’éradiquer les hérétiques ; ainsi une seconde inquisition de masse eut lieu dans le même village vers 1320, cette fois-ci ordonnée par Jacques Fournier, évêque de Pamiers.

Cette activité inquisitoriale conduisit à la capture de Pierre Authier, que les inquisiteurs condamnèrent en avril 1310 au bûcher à Toulouse. Un témoin, Guillem Baille, expliqua à l’évêque qu’il avait entendu qu’Authier, juste avant d’être brûlé vif, avait dit que si ses accusateurs le laissaient s’exprimer et prêcher à la foule, alors il convertirait tout le monde à sa foi.

Après la mort d’Authier, l’Église cathare du comté de Foix fut dissoute. Toutefois, un petit groupe parvint à fuir à travers les Pyrénées et à se réfugier dans plusieurs villes de Catalogne, de Valence et d’Aragon. Dans celui-ci se trouvait Guillaume Bélibaste, dernier cathare perfectus (c’est-à-dire maître) et les frères Pierre et Jean Maury. La plupart de ceux qui fuirent étaient des bergers et des artisans de Montaillou. Ils s’installèrent dans des communautés d’autres exilés occitans mais vécurent leur foi secrètement.

Finalement, Guillaume Bélibaste fut trahi par Arnaud Sicre, dont la mère s’était vu confisquer sa propriété puis mettre à mort au bûcher pour ses croyances cathares. Arnaud Sicre avait fait un pacte avec l’évêque de Pamiers : les biens confisqués lui seraient restitués s’il parvenait à livrer un des hérétiques en fuite, ce qu’il fit. Guillaume Bélibaste fut capturé et emmené au château de Villerouge-Termenés, résidence de l’archevêque de Narbonne. Là, le 24 août 1321, Guillaume Bélibaste fut brûlé vif sans avoir jamais renoncé à sa foi cathare.

Quelques jours plus tard, on arrêta les frères Maury et on les condamna à la prison à perpétuité. Dans sa confession, Pierre Maury se souvint d’une conversation avec Pierre Authier : « Il y a en réalité deux Églises : celle qui délie et pardonne et l’autre qui lie et écorche. “Laquelle des deux est selon-toi la meilleure ?” [demanda Authier]. Je répondis qu’il me semblait que celle qui pardonne valait mieux que celle qui écorche. Il ajouta : “C’est celle qui nous semble la meilleure également et c’est notre Église.” »