Arctique : pour la première fois, un photographe a observé un ours polaire se nourrissant d’un cachalot

Sep 20, 2025 - 07:20
Arctique : pour la première fois, un photographe a observé un ours polaire se nourrissant d’un cachalot

Un cachalot repose sur le flanc, au milieu des éclats de la banquise, et se décompose lentement, la gueule béante dans un cri silencieux. Sa chair noircie est constellée de taches orangées, semblables à la coque rouillée d’un vieux bateau. La composition est si saisissante qu’un observateur pourrait ne pas remarquer immédiatement l’ours polaire avançant nonchalamment sur le dos du cétacé.

Le photographe Roie Galitz a eu vent de cette scène grâce à un ami qui avait repéré la carcasse de la baleine à 82° nord, bien au-dessus du cercle polaire arctique. Début juillet, Roie Galitz dirigeait une expédition pour un petit groupe de passionnés de nature et de photographie, le long de l’archipel norvégien du Svalbard, en remontant vers le pôle Nord. En apercevant la masse sombre émergeant de la glace, Galitz et son équipage ont mis près de 24 heures à se frayer un passage avec leur navire brise-glace pour rejoindre la carcasse, et finalement découvrir un ours polaire mâle somnolant à proximité.

Le cours de photographie animé par Galitz, rythmé par des séances quotidiennes de prise de vues et de retouche d’images, a alors pris une toute autre dimension lorsqu’il s'est penché par-dessus la coque du bateau pour se rapprocher au maximum et immortaliser l’ourse polaire qui a fini par rejoindre la scène.

« Les participants, puisque c’était leur première fois là-bas, et moi ma 34e, ne réalisaient pas l'expérience incroyable qu'ils étaient en train de vivre », confie Galitz.

 

COMMENT UN CACHALOT A PU SE RETROUVER LÀ ?

Il est très rare d'observer des cachalots à cette latitude, car ces géants des mers affectionnent les eaux tempérées du globe mais évitent la glace. En plus d’avertir d’autres photographes présents dans la région, Roie Galitz a contacté deux spécialistes des cétacés : Michelle Dutro, de la National Oceanic and Atmospheric Administration, et Sean O’Callaghan, de l’Atlantic Technological University de Galway, en Irlande.

« Tous deux étaient enthousiastes de pouvoir observer une telle scène, car elle est extrêmement rare. Les cachalots se déplacent dans les eaux profondes, donc ils restent d’ordinaire sur la côte ouest du Svalbard, et uniquement les mâles. Les femelles et les petits restent plus au sud, dans des eaux plus chaudes », explique-t-il.

Les experts consultés par Galitz émettent l’hypothèse que la baleine a été poussée vers le nord par les courants et les vents. Quant à la cause de la mort, les scientifiques n’ont pas trouvé d’indices visibles. Ils évoquent la possibilité de son grand âge, d’une exposition à une toxine mortelle, ou encore d’une collision avec un navire. « Sans éléments plus précis, je pense qu’il est impossible de le déterminer », conclut Galitz.

Comme les expéditions de Roie Galitz suivent généralement les opportunités plutôt qu’un programme fixe, le navire est resté posté près de la carcasse pendant 24 heures supplémentaires, au cours desquelles le photographe a déployé un drone pour survoler la scène. « C’est à ce moment-là qu’on saisit vraiment l’ampleur des choses. J’avais une idée de ce à quoi m’attendre, mais je ne pensais pas que ce serait aussi grandiose », raconte-t-il.

À bord, Galitz disposait d’un écran lui permettant de voir ce que captait le drone et d’ajuster la vitesse d’obturation, l'ouverture et la sensibilité ISO selon les besoins. « Alors que je pilotais le drone, je me suis mis à crier et à jurer ! En tant que photographe, dans ce genre de cas, on s’emballe vraiment », rit-il. « Le jour où je cesserai de m’enthousiasmer, il sera temps d'arrêter de prendre des photos. »

Les images obtenues étaient si spectaculaires que certains internautes ont accusé Galitz de les avoir produites ou retouchées à l’aide de l’intelligence artificielle.

« Malheureusement, c’est quelque chose que l’on voit de plus en plus aujourd’hui. Quand une image paraît vraiment unique et exceptionnelle, les gens deviennent automatiquement plus sceptiques », explique-t-il. « Je comprends pourquoi, car beaucoup se sont déjà fait avoir… et une fois que la confiance est brisée, il devient difficile de croire naïvement aux images que l'on voit. »

Aussi frustrant que cela puisse être, Galitz prend toujours le temps d’expliquer, avec respect, qu’il dispose non seulement de plusieurs milliers de clichés de la journée, sous différents angles, mais aussi des fichiers bruts. « Mais je pense que c’est la réalité dans laquelle nous vivons », conclut-il.

 

PHOTOGRAPHIER LA SCÈNE

Au fil de cette journée de juillet, le groupe est resté près du cachalot, tandis que Roie Galitz le photographiait dans la brume, en plein jour et sous le soleil de minuit. Quelques heures après leur arrivée, une ourse a rejoint le mâle, et les photographes ont observé les deux prédateurs lutter pour percer l’épaisse peau du cétacé. Des marques de griffes sont apparues sur la cuirasse coriace, tandis que la femelle léchait, mordait et écartait ses mâchoires pour tenter d’atteindre la chair. « À la voir tourner autour, grimper, redescendre, plonger dans l’eau, essayer tous les moyens possibles pour y parvenir, on aurait dit qu’elle était frustrée », raconte Galitz.

Par instants, les ours lapaient l’eau douce issue de la fonte des glaces, se roulaient sur le dos et bondissaient tout autour.

Sous leurs pattes, la carcasse cédait et rebondissait, la décomposition libérant des poches de gaz. « C’est comme un énorme coussin d’air, bien moins solide qu’on ne l’imaginerait », relève le photographe. L’équipage du navire a eu la chance d’échapper aux effluves les moins agréables du processus. « Se trouver dans l’Arctique, c’est un peu comme être dans un grand congélateur », sourit Galitz. « Mais parfois, une odeur vous rattrape. »

Finalement, le groupe a repris la route, et Galitz a appris par des collègues que, quelques jours plus tard, la carcasse avait été repoussée par les vents du nord et avait fini par disparaître. La semaine suivante, de retour avec un autre groupe de photographes et d’aventuriers, il a constaté par lui-même que le cachalot n’était plus là.

« C’est tellement imprévisible et fragile », dit-il. « Une scène que vous observez aujourd’hui ne sera probablement plus là demain. »