Le changement climatique commence à bouleverser le rythme saisonnier des arbres

On distingue quatre saisons d’environ trois mois chacune : le printemps, l’été, l’automne et l’hiver. Elles débutent aux équinoxes (printemps et automne) et aux solstices (été et hiver). Chaque saison correspond à des conditions climatiques particulières : la température, la lumière et la disponibilité en eau. Ces repères permettent aux plantes et aux animaux de rythmer leur cycle de vie.
La phénologie désigne l’étude de ces rythmes saisonniers dans le monde vivant : apparition des bourgeons, floraison, migration des oiseaux, jaunissement et chute des feuilles… autant d’événements déclenchés par les variations du climat.
Avec le dérèglement climatique, ces conditions deviennent instables et le rythme saisonnier du vivant, notamment celui des arbres, s’en trouve profondément perturbé. L’adage populaire « Il n’y a plus de saisons » traduit ainsi une réalité : le dérèglement des cycles saisonniers naturels.
UN DÉBUT DE SAISON PLUS PRÉCOCE
« La phénologie, c'est la réponse des arbres au cycle saisonnier », explique Catherine Massonnet, chargée de recherche à l’INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) et spécialiste en écophysiologie végétale. En climat tempéré, la saison de végétation correspond à la période de l'année pendant laquelle les conditions météorologiques locales, principalement la température et les précipitations, permettent une croissance normale des plantes. Elle commence généralement au printemps et s’achève à l’automne.
« Dès le printemps, [on l’observe] notamment chez les feuillus, avec le débourrement : l'éclatement des bourgeons permet la mise en place des feuilles », poursuit-elle. Celles-ci s’étalent ensuite progressivement jusqu’à atteindre leur pleine maturité. « La température est le principal facteur qui déclenche la mise en place de ces feuilles au printemps », souligne la chercheuse. « L'autre côté de la saison, c'est l'automne, avec la sénescence foliaire. Là, sous l'impact de la température et de la photopériode, on a un jaunissement progressif des feuilles et une chute foliaire ».
Mais avec le réchauffement climatique, le rythme des saisons n’est plus le même pour les arbres. En début de saison, au printemps, « le réchauffement climatique a tendance à avancer la période de débourrement. On a un éclatement des feuilles plus précoce, ce qui entraîne des risques de gelée tardive », précise la spécialiste.
Lorsque les températures sont plus élevées, les arbres entrent en activité plus tôt et commencent à puiser l’eau du sol pour ensuite évacuer l’humidité par leurs feuilles. « Ils vont donc assécher le sol plus tôt qu’une année où le débourrement a lieu à la date habituelle », précise Nathalie Breda, directrice de recherche à l’INRAE. Si les pluies se font rares cette année-là, la sécheresse pourra s’installer en avance. « La sécheresse ayant démarré plus tôt, on peut aussi avoir une sénescence foliaire qui ne sera pas décalée en fin de saison, mais qui interviendra à la date normale, voire plus précocement », ajoute la chercheuse.
De plus, « si la sécheresse est plus précoce, cela impacte d’autant plus la croissance de l’arbre puisqu’il pousse surtout au printemps et en début d’été, plutôt qu’en fin de saison », explique Catherine Massonnet. « Pour le débourrement de printemps, le bourgeon a besoin de s’endormir et de s’endurcir. Il lui faut une période de froid avant d’accumuler la chaleur qui déclenchera sa date d’éclosion. On ne sait pas si le réchauffement, avec des hivers de plus en plus doux, ne risque pas de perturber ce processus de débourrement par manque de froid », ajoute-t-elle.
Au début de sa carrière, Nathalie Bréda se rappelle « que l’on disait que l’allongement de la saison de végétation était une des raisons pour lesquelles les arbres poussaient de mieux en mieux ». Aujourd’hui, cette tendance est en train de s’inverser. « On a quand même des étés très secs et, en l’absence d’eau en quantité suffisante, on perd cet effet bénéfique sur la croissance et sur la durée de la saison de végétation », assure la spécialiste.
UNE FIN DE SAISON AVANCÉE…
Le réchauffement climatique affecte également la fin de la saison de végétation des arbres, qu’il peut avancer ou retarder. « On a des sécheresses l'été qui font que, parfois, on a une sénescence foliaire précoce, comme cette année, avec un jaunissement des feuilles dès la fin de l'été », souligne Catherine Massonnet. Dans ce cas précis, les processus physiologiques à l’origine du dessèchement et du changement de couleur des feuilles ne sont pas les mêmes que lors d’un automne normal.
Habituellement, en automne, la photopériode, c’est-à-dire la durée d’ensoleillement, diminue à mesure que les jours raccourcissent. Cela réduit la photosynthèse et donc la production de chlorophylle. Les feuilles perdent alors leur vert et se parent de teintes rouges ou jaunes. Moins efficaces pour produire de l’énergie et plus vulnérables au froid, notamment au gel, elles finissent par tomber.
Cet été, le phénomène a été différent et résulte d’abord d’un fort ensoleillement. En cas d’excès de rayonnement lumineux, un mécanisme de défense, qui protège la feuille du stress oxydatif, modifie l’équilibre entre les pigments : la chlorophylle de couleur verte et les autres pigments jaunes, orangés ou rouges.
Mais comme le souligne Nathalie Breda, ces anomalies s’expliquent aussi par la conjugaison d’une sécheresse avec une vague de canicule. « Pour résister à la sécheresse [qu’ils perçoivent dans le sol], les arbres réduisent leur consommation d'eau […] en fermant leurs stomates, les petits trous qui sont à la surface inférieure de leurs feuilles ». En temps normal, ces orifices permettent à la plante de transpirer [en émettant] de la vapeur d'eau dans l'atmosphère.
« Comme chez beaucoup d'organismes vivants, la transpiration chez les arbres sert à refroidir les organes […] et permet de maintenir les feuilles à une température plus basse que la température de l'air », explique Nathalie Breda. « Mais si, pendant qu'on est en régulation, c'est-à-dire qu'on réduit, voire qu'on arrête la transpiration, [survient] une canicule, ce qui s'est produit cet été au mois d'août, les feuilles ne sont plus refroidies et finissent par s’échauffer jusqu’à brûler. [C’est alors qu’on observe] des feuilles toutes racornies, qui changent de couleur, qui se dessèchent et qui finissent par tomber », conclut-elle.
Ce type d’épisodes peut avoir des effets sur le long terme, en affaiblissant durablement les arbres. « Si l’arbre ferme ses stomates, il va produire moins de sucres, […] qui sont en particulier utilisés pour résister au froid », explique Catherine Massonnet. Ainsi, un arbre soumis à une sécheresse très intense sera plus vulnérable aux épisodes de grand froid.
Le phénomène observé cet été a été particulièrement spectaculaire, mais il n’est pas inédit. Il avait déjà été observé en 2003, 2018 ou encore 2022, lors de sécheresses et de canicules devenues plus fréquentes et plus intenses avec le réchauffement climatique. Catherine Massonnet souligne que la perte de feuilles précoce est parfois suivie d’un autre phénomène, encore très peu étudié : une seconde floraison à l’automne.
… OU RETARDÉE
« Pour l’automne, […] le réchauffement a [également] tendance à prolonger la saison de végétation, ce qui décale le jaunissement et la chute des feuilles », ajoute Catherine Massonnet. « On a eu des exemples où il a fait très chaud à l'arrière-saison : les feuilles ne tombent pas, les arbres continuent à être actifs du point de vue du fonctionnement physiologique et ne sont pas préparés au froid », précise Nathalie Breda.
Or, avant l’hiver, si les arbres ne sont pas « endurcis » au froid, des dommages à long terme peuvent survenir : « des organes qui gèlent, des lésions sur l’écorce et dans le bois, […] fragilisent les arbres et peuvent, dans certains cas, enclencher un processus de dépérissement », assure la chercheuse. En 2023, l’Institut national de l’information géographique et forestière relevait une nette accélération de la mortalité des arbres, en hausse de près de 80 % en dix ans. Cette mortalité est passée de 7,4 millions de mètres cubes par an (Mm³/an) entre 2005 et 2013 à 13,1 Mm³/an entre 2013 et 2021.
Même si la saison de végétation des arbres tend à commencer plus tôt et que sa fin peut varier, parfois avancée, parfois retardée, ces tendances s’inscrivent toujours dans un contexte de forte variabilité interannuelle. Ainsi, dans l’évolution de la phénologie des forêts, il subsiste de nombreuses inconnues et surtout des points de vigilance liés au changement climatique. « L’une des grandes incertitudes concerne les risques liés aux changements du rythme et du fonctionnement des arbres, ainsi que la manière dont ces changements vont se combiner et faire apparaître de nouveaux accidents », conclut Nathalie Breda.