Qui étaient les premières showgirls ?

Lorsque Taylor Swift annonça que son douzième album s’intitulerait « The Life of a Showgirl », les spéculations allèrent bon train quant à ce que celui-ci contiendrait. La reine des swifties serait-elle dans une période extravagante, avec plumes et poitrine dénudée ?
Si, à l’annonce de la chanteuse, vinrent essentiellement aux esprits des images de paillettes et de plumes, le stéréotype de la showgirl, une beauté de Las Vegas aujourd’hui disparue des spectacles modernes, fut également mis en lumière. À ce propos, qui étaient donc ces showgirls ? Et pourquoi leur image subsiste-t-elle encore aujourd’hui ?
Tout comme Taylor Swift, les showgirls sont admirées pour leur beauté, leur côté ostentatoire et leur capacité à se mettre à nu devant leur public. Découvrez l’histoire de ces artistes emblématiques.
LES RACINES EUROPÉENNES DE LA SHOWGIRL
Les femmes sont depuis longtemps de prodigieuses artistes mais le terme anglais « show girl » apparut vers 1750 et fut d’abord employé de manière péjorative pour décrire une femme qui se vêtait ou se comportait de façon ostentatoire. « Ces filles ne sont que des show girl, comme tant d’autres, qui chantent, jouent, dansent, s’habillent, flirtent et tout ça », se plaignit un personnage du roman Patronage de Maria Edgeworth, publié en 1841, soit l’une des premières fois où il était fait usage de ce terme.
Entre-temps, les changements sociaux qui survinrent aux 18e et 19e siècles donnèrent naissance à l’ancêtre du spectacle de revue, ainsi qu’aux showgirls. En Angleterre, les pubs commencèrent à se transformer en music-halls afin de répondre à une demande croissante de spectacles très dynamiques présentant des artistes suscitant l’exaltation. En France, les cafés et les cabarets devinrent des lieux populaires, tout comme les chanteuses qui s’y produisaient.
En 1881, l’artiste Rodolphe Salis poussa le cabaret encore plus loin en ouvrant Le Chat noir, un établissement qu’il imagina comme un refuge pour ses homologues artistes. Au début, ce dernier fonctionnait comme un salon artistique mais le cabaretier réalisa rapidement qu’il tenait là une potentielle mine d’or. Au fil du temps, le café devint l’un des plus prisés de Paris et sa programmation variée fit des émules, inspirant des hommes de spectacle tels que Joseph Oller, qui ouvrit son propre établissement en 1889, ainsi que Charles Zidler, qui le secondait. Ils le baptisèrent « Moulin Rouge ».
LES DANSEUSES DE FRENCH CANCAN ET LA NAISSANCE DU BURLESQUE
Derrière les portes, des danseuses audacieuses soulevaient leurs jupes pour exécuter une toute nouvelle danse, le « french cancan », dévoilant leurs jupons et leurs sous-vêtements plus intimes tandis qu’elles lançaient leurs jambes en l’air. Le demi-monde sulfureux des danseuses et des tenanciers du club était l’un des sujets de prédilection des artistes parisiens, et plus particulièrement d’Henri de Toulouse-Lautrec. Les spectacles comprenaient également des sketches satiriques qui parodiaient les personnalités politiques et de la société de l’époque. D’autres établissements suivirent rapidement le mouvement, les music-halls et les cabarets devenant des refuges à la fois pour les personnes pauvres habitant en ville et qui n’avaient pas les moyens d’aller au théâtre ou à l’opéra, ainsi que pour celles fortunées désireuses de « s’encanailler » dans le quartier artistique de Montmartre.
L’une des plus célèbres salles était les Folies Bergère qui connut de pâles débuts en tant que théâtre dans les années 1860. En 1886, l’impresario Édouard Marchand en prit la direction et présenta un nouveau spectacle et type d’artiste féminine insolite. S’inspirant de son amour pour les femmes et de la popularité des danseuses et des chanteuses, il décida de centrer la revue sur le corps féminin, la composante scandaleuse du spectacle étant des femmes presque nues.
LES SHOWGIRLS EXPOSÉES À TOUS LES REGARDS
L’idée traversa rapidement l’Atlantique et, au 20e siècle, le terme « showgirl » faisait dès lors partie de la langue vernaculaire aux États-Unis. Les théâtres vantaient les mérites de leurs artistes féminines élégamment vêtues dans leurs publicités, ainsi que dans les titres de leurs spectacles, promettant un « célèbre chœur d’éblouissantes showgirls dans des robes somptueuses », comme l’indiquait une publicité de 1902.
Il faudra attendre l’arrivée d’un impresario, et les conseils d’une femme avisée, pour voir naître la showgirl glamour que nous connaissons aujourd’hui. Florenz Ziegfeld se fit d’abord connaître en présentant le culturiste Eugen Sandow, puis en faisant venir aux États-Unis Anna Held, une chanteuse franco-polonaise qui fut sa maîtresse. Il aguichait le public avec des photos d’elle nue se baignant dans du lait. Elle lui suggéra d’utiliser une formule très populaire provenant des Folies Bergère, écrit la biographe Eve Golden : « un mélange entre spectacle de charme et défilé de mode, avec un zeste d’humour ». Il tenta le coup et remporta un franc succès : les Ziegfeld Follies étaient nées, une aventure qui dura plus de trente ans.
Les « Ziegfeld Girls » étaient magnifiques. Elles n’étaient cependant pas connues pour leur apparence uniquement. La mode et le glamour constituaient des éléments essentiels du spectacle de revue. Comme le note l’historienne Elspeth H. Brown, certaines des femmes figurant dans ces revues étaient en réalité chargées d’être des mannequins plutôt que des danseuses ou des actrices, soit l’illustration du mot « show » présent dans « showgirl » puisqu’elles « défilaient habillées devant le public ». Les représentations de Florenz Ziegfeld permirent à des centaines de femmes de faire leurs débuts dans le monde du spectacle.
Si certaines devinrent célèbres, d’autres furent stigmatisées pour avoir exhibé leur corps. Les rapports de longue date entre le théâtre, la prostitution et l’exploitation sexuelle gangrénaient les revues de showgirls et les abus sexuels étaient monnaie courante au sein de la profession. Les tenanciers fortunés s’attendaient à pouvoir courtiser, et exploiter, les danseuses qui attiraient leur attention, et le genre de la revue musicale coexistait avec les spectacles burlesques, les strip-teases et autres formes de divertissement émoustillant.
LES SHOWGIRLS À LAS VEGAS
Ces liens étaient toujours de mise lorsque les showgirls firent leur apparition dans la ville du péché dans les années 1940 et 1950, en quête de la fortune et du glamour du strip de Las Vegas en plein essor. Le premier casino moderne de la ville, El Rancho Vegas, accueillait les « El Rancho Starlets », un groupe de showgirls réputées pour leurs tenues légères. À mesure que Las Vegas se développait et que les investissements des célébrités donnaient naissance à tout un strip de casinos, de boîtes de nuit et de salles de spectacle, les showgirls devinrent de plus en plus populaires, éclipsant parfois même les artistes de renom à l’affiche.
Les casinos se distinguèrent en ne sélectionnant que les plus belles femmes pour défiler en plumes et paillettes, éblouissant le public et contribuant à la renommée de Las Vegas en matière de divertissement. L’on attribue aux showgirls le mérite d’avoir aidé la ville à surmonter une grave récession, bien que ce genre connût un déclin dans les années 1970 et 1980. Les spectacles qui existaient alors depuis longtemps, comme les Folies Bergere du Tropicana, finirent par mettre la clef sous la porte. Les somptueuses revues de showgirls furent ainsi reléguées au passé.
L’héritage de ces danseuses demeure néanmoins aujourd’hui. Ces artistes entretiennent une longue histoire d’amour avec les cinéastes, qui mirent en scène leur vie dans des films tels que Showgirls et The Last Showgirl respectivement arrivés dans les salles françaises en 1996 et 2025. Toujours célèbres pour leur style extravagant, leurs mouvements glamour et leurs corps dénudés, leur héritage perdure aujourd’hui à travers le spectacle vivant.
Veillez néanmoins à ne pas utiliser le mot « showgirl » comme un raccourci pour désigner quelque chose de miteux. « Aucune d’entre nous n’aime être appelée "chorus girl" », déclara Felicia Atkins, showgirl du Tropicana Las Vegas, à un journaliste en 1959. « Ça suggère une fille sans classe. Nous voulons être connues sous le nom de showgirls ». Peut-être que Taylor Swift fera à nouveau évoluer ce terme, chanson après chanson.