L'Américain Jim Morrison devient le premier à skier la voie la plus dangereuse de l’Everest

Oct 16, 2025 - 16:00
L'Américain Jim Morrison devient le premier à skier la voie la plus dangereuse de l’Everest

Le 15 octobre, l’alpiniste américain Jim Morrison, âgé de cinquante ans, est devenu la première personne à skier la face nord du mont Everest (8 848 mètres) en empruntant le chemin le plus difficile et le plus insaisissable : une combinaison du couloir Hornbein et de la voie japonaise. À 12h45, heure locale, Jim Morrison a atteint le sommet de l’Everest par cette même route après six semaines et demie passées dans la montagne et une ascension finale exténuante. Avec lui se trouvaient onze autres alpinistes, dont des fixeurs, des Sherpas et une équipe de tournage dirigée par le vidéaste, photographe et explorateur National Geographic Jimmy Chin.

Jimmy Chin et Chai Vasarhelyi, qui ont remporté l'Oscar du meilleur documentaire avec le film Free Solo en 2018, réalisent un documentaire National Geographic sur l’exploit de Morrison.

Après les photos au sommet, Jim Morrison a dispersé les cendres de sa compagne Hilaree Nelson, morte presque exactement trois ans plus tôt après une chute près du sommet du Manaslu (8 163 mètres). « J’ai eu une petite conversation avec elle et j’ai senti que je pouvais lui dédier toute la journée », raconte Jim Morrison. Le reste de l’équipe a entamé la longue et lente descente le long des cordes fixes. Jim Morrison, lui, a chaussé ses skis et a passé les quatre heures et cinq minutes suivantes à effectuer des virages sur la pente glacée à 50 degrés qui descend sur près de 2 750 mètres jusqu’au glacier de Rongbuk. Son exploit est sans conteste la descente à ski la plus audacieuse de l’histoire.

C’est en réalité la troisième fois que Jim Morrison tentait de skier cet itinéraire. « Pendant deux ans, tout le monde regardait ce parcours et me disait : tu es fou ? » raconte Jim Morrison. En octobre 2023, l’équipe avait été empêchée par des problèmes de permis pour entrer en Chine et était arrivée sur la montagne trop tard pour tenter d'accéder au sommet. En 2024, ils ont fait davantage de progrès : Jim Morrison était descendu depuis environ 7 000 mètres d’altitude. « Les conditions étaient plutôt bonnes, et je skiais assez agressivement, en m’amusant beaucoup », m’a confié Jim Morrison en août. Mais quelques jours plus tard, alors que son équipe de fixation de cordes travaillait dans une tempête approchante à 8 000 mètres, Yukta Gurung a été touché par une petite avalanche, a chuté, s'est raccroché à sa corde après une chute de 50 mètres, et s’est fracturé le fémur. S'en est suivi « un sauvetage herculéen », se souvient Jim Morrison. Yukta a été évacué vers Katmandou pour être opéré et s’est complètement rétabli, mais l’accident a mis fin à la tentative de cette année-là.

La descente par le couloir Hornbein a échappé au monde du ski pendant des décennies. Le fait que ce soit Morrison qui l’ait réalisée ne surprendra personne ayant suivi sa carrière. Au cours de la dernière décennie, ce skieur professionnel basé à Lake Tahoe a discrètement accumulé certaines des descentes de haute altitude les plus audacieuses jamais enregistrées, beaucoup d’entre elles aux côtés de sa défunte compagne Hilaree Nelson. Le couple se préparait à une tentative de descente à ski en 2023 sur l’Everest par le couloir Hornbein au moment de la mort d'Hilaree Nelson, qui était une exploratrice National Geographic et avait été élue Aventurière de l’année 2018 par National Geographic. Skier le couloir Hornbein ensemble aurait été l’apogée des exploits alpins du couple. Au lieu de quoi Morrison s’est retrouvé seul, avec pour seul compagnon un chagrin abyssal, et a vite été confronté au choix d’abandonner ou de continuer.

L’Everest a la réputation d’être bondé, mais pas sur le couloir Hornbein et pas au mois d'octobre. En fait, il ne s’agissait que de la sixième expédition à avoir jamais gravi le couloir Hornbein, et de la première à réussir cet exploit depuis plus de trente ans. Cela est à mettre en comparaison aux quelque 500 clients d'expéditions commerciales chaque printemps jusqu’au sommet par la voie de l’arête sud-est depuis le camp de base népalais et, de plus en plus, par la voie du col Nord, qui monte du côté chinois de la montagne.

La voie de l’arête sud-est fut gravie pour la première fois par Sir Edmund Hillary et Tenzing Norgay en 1953. Dix ans plus tard, en 1963, la première expédition américaine, dirigée par Jim Whittaker, tenta la montagne par cette même voie de l’arête sud-est. Mais un sous-groupe d’élite de l’équipe, comprenant l’explorateur National Geographic Tom Hornbein et Willi Unsoeld, tenta un itinéraire inédit qui suivait l’arête ouest de la montagne avant de traverser sur la face nord puis de terminer par un goulet raide et étroit menant directement au sommet. Hornbein et Unsoeld, sans cordes fixes ni aide de Sherpas au-delà de leur camp d’altitude, grimpèrent dans le style alpin le plus pur de l’époque. Ils survécurent de justesse à une nuit à la belle étoile à plus de 8 000 mètres d'altitude après avoir atteint le sommet au crépuscule. Le lendemain, leurs coéquipiers, l’explorateur National Geographic Barry Bishop et Lute Jerstad, gravirent la voie de l’arête sud-est et les raccompagnèrent au camp. Le ruban de neige devint le couloir Hornbein.

Par définition, les couloirs sont des goulots étroits et raides de neige et de glace descendant d’une montagne. Mais le couloir Hornbein est aussi le plus droit, le plus raide et la ligne la plus directe depuis l’Everest. C’est ce qu’on appelle la ligne de chute, ou la route qu’une goutte d’eau suivrait en descendant la montagne, guidée par la gravité la plus forte. Les Italiens l’appelleraient la direttissima ; les Français, la voie directe. « C’est super raide et implacable du haut jusqu’en bas », dit Morrison, « c’est plus d’un kilomètre et demi de long, et simplement massif, sombre, et d’une beauté à couper le souffle. »

Peu de temps après la première ascension américaine, des skieurs commencèrent à convoiter l’Everest. En 1970, le Japonais Yuichiro Miura tenta de skier la face du Lhotse de l’Everest, en partant juste en dessous du camp IV sur le col Sud. Il utilisa un grand parachute circulaire pour ralentir sa descente, mais s’écrasa tout de même après avoir dévalé en ligne droite une grande partie de la face ; il survécut miraculeusement. Ce n’est qu’à l’automne 2000 qu'enfin une première descente à ski fut réussie. En octobre 2000, le Slovène Davo Karničar gravit l’Everest par la voie de l’arête sud-est, puis redescendit jusqu’au camp de base à ski depuis le sommet, y compris le périlleux Hillary Step, en quatre heures et demie, devenant ainsi la première personne à descendre l’Everest en skiant.

Mais la voie de l’arête sud-est de l’Everest n’est pas vraiment une piste de ski. Elle est orientée principalement vers le sud et l’ouest et suit une arête protégée plutôt que d’affronter directement la montagne. Les pistes de ski les plus esthétiques de l’Everest, les couloirs Norton et Hornbein, se trouvent toutes deux sur le versant nord de la montagne, qui reste ombragé et conserve davantage de neige, surtout pendant la saison d’escalade d’automne après que les moussons d’été ont déposé la majeure partie des précipitations annuelles de la chaîne.

La course pour revendiquer la descente ultime depuis le sommet de l’Everest a commencé à s’intensifier à l’automne 2001. Le snowboarder français Marco Siffredi est devenu le premier à descendre la face nord cet automne-là, en empruntant le couloir Norton, ininterrompu. À noter que les descentes sont si rares et risquées que les observateurs font peu de distinction entre ski et snowboard. L’année suivante, il tourna son attention vers le couloir Hornbein. En septembre 2002, Marco Siffredi et une équipe de Sherpas atteignirent le sommet par la voie plus facile du col Nord, avec l’idée que Siffredi se lancerait depuis le sommet dans le couloir Hornbein. Cela signifiait qu’il avait eu peu d’occasions d’évaluer les conditions de sa descente. Siffredi fit ses adieux à ses guides sherpas et s’élança dans le couloir Hornbein... On ne le revit jamais. Son corps est toujours porté disparu.

Il y a eu d’autres tentatives notables. En 2003, au début de sa carrière de photographe, Jimmy Chin s’est joint au snowboarder Stephen Koch dans une tentative de gravir puis de skier le couloir Hornbein. Les deux hommes progressaient bien dans la montagne, mais de petites avalanches déclenchées par la chaleur les ont conduits à abandonner leur tentative et à repartir en ski bien en dessous du sommet. Deux ans plus tard, en octobre 2006, Jimmy Chin est revenu pour descendre l’Everest en ski par la voie de l’arête sud-est, cette fois avec la skieuse et exploratrice National Geographic Kit DesLauriers, qui est devenue la première femme à skier sur cette montagne.

Après 2006, le ski au sommet du monde est entré dans une sorte d’âge sombre. L'ascension de l'Everest a connu une commercialisation croissante et le chaos associé à des alpinistes amateurs dépassés par les événements. Puis, en 2014, l’avalanche du glacier du Khumbu tua seize Sherpas locaux alors qu’ils transportaient du matériel pour des Occidentaux. L’année suivante, le tremblement de terre au Népal tua près de neuf mille personnes, dont vingt-deux au camp de base de l’Everest. Ce n’est qu’en 2018, avec la descente du couloir du Lhotse par Hilaree Nelson et Jim Morrison, que le ski sur l’Everest refit brièvement la une de l’actualité, avant que les interdictions de voyager liées à la pandémie ne viennent tout interrompre. 

Après la mort d'Hilaree Nelson en 2022, Jim Morrison s'est demandé s’il allait continuer à poursuivre leur rêve commun. Ce n’était pas la première fois qu’il faisait l’expérience d’un traumatisme dévastateur. En 2011, la femme de Jim, Katie Morrison et leurs deux jeunes enfants, Hannah et Wyatt, sont morts dans un crash d’avion près de Barstow, en Californie. Katie Morrison pilotait le Cessna 210 du couple lorsqu’elle a rencontré des turbulences en se rendant à Las Vegas et a disparu des radars. Une enquête du Conseil national de la sécurité des transports américain n’a pas permis de déterminer avec certitude la cause de l’accident.

Jim Morrison a de fait la mentalité de quelqu’un capable de faire face à une terrible réalité et de continuer à se dépasser malgré tout. La mort est omniprésente en montagne. Sir Edmund Hillary lui-même perdit sa première femme, Louise Mary Rose, et leur plus jeune fille, Belinda, en 1975, lorsque leur avion s’écrasa peu après le décollage à Katmandou.

Jim Morrison attribue sa résilience à l’intellectuel allemand Eckhart Tolle, dont il a découvert le livre Le Pouvoir du moment présent après ce premier drame, et qu’il est allé rencontrer chez lui à Vancouver, en Colombie-Britannique, alors qu’il touchait le fond. De cet ouvrage, il a tiré la vérité apparente selon laquelle « rien ne s’est jamais produit dans le passé », se souvient Jim Morrison. « Le passé, c’est le passé. C’est fini. Tu ne peux pas le changer. Rien ne s’est jamais produit dans le futur. Littéralement, cela ne s’est jamais produit. »

Ainsi, il a appris à faire la paix avec le fait d’exister dans l’instant présent et a décidé de continuer d’avancer. De retour à Lake Tahoe, Morrison a travaillé comme promoteur immobilier pour les ultra-riches. Il a construit plus de cinquante maisons haut de gamme autour du lac Tahoe, pour des personnalités comptant parmi les plus célèbres de la Silicon Valley.

Mais tout en construisant ces maisons, Jim Morrison est reparti poursuivre ses rêves en montagne. Même lorsqu’il est à Telluride, dans le Colorado, dans la maison qu’il construisait avec Hilaree Nelson au moment de sa mort, il dort dans une tente hypoxique qui simule les conditions de haute altitude.

En octobre 2023, Jim Morrison, accompagné de Jimmy Chin et de son équipe de tournage, est parti pour la Chine dans l’espoir de descendre en ski le couloir Hornbein. Mais les difficultés d’obtention des permis et le mauvais temps ont fait qu’ils n’ont même pas eu la chance d’approcher le sommet. L’équipe a pris son mal en patience, tissé des liens politiques à Pékin, et est revenue en 2024.

Jim Morrison, toutefois, s’est attaqué à un autre géant himalayen ambitieux. Si quelque chose avait changé, c’est que sa tolérance au risque s’était accrue. En mai 2024, il s’est joint à l’alpiniste américaine Chantel Astorga et à la skieuse-alpiniste canadienne Christina Lustenberger pour gravir et skier la plus haute des Tours de Trango, au Pakistan, une pointe vertigineuse de 6 286 mètres d'altitude qui semble totalement impropre au ski. Et pourtant, d’une manière ou d’une autre, ils ont trouvé un chemin.

La tentative sur l’Everest de 2024 a été écourtée par l’accident de Yukta, puis éclipsée après que le réalisateur Jimmy Chin et les cinéastes Erich Roepke et Mark Fisher ont découvert les restes partiels de l’explorateur britannique Andrew « Sandy » Irvine, disparu sur l’Everest depuis presque exactement 100 ans. Cette année, Jim Morrison est arrivé au camp de base avancé bien préparé, seulement quelques mois après une importante opération du genou. L’équipe était plus réduite, avec l’organisation des cordes fixes et de l’équipement assurée par Adrian Ballinger, de la société Alpenglow Expeditions basée à Lake Tahoe.

« Cette année, j’ai sélectionné personnellement une équipe de Sherpas de Phortse que nous connaissons », explique Jim Morrison, en référence au célèbre village sherpa de la région de l’Everest, qui abrite la Khumbu Climbing School. Yukta, complètement rétabli, est revenu. Jim Morrison a également recruté le meilleur guide d’Alpenglow, l’Équatorien Esteban « Topo » Mena, trente-cinq ans, pour diriger la partie escalade de l’expédition. Mais, comme pour l’Everest les années précédentes, l’ascension n’était pas le seul défi que l’équipe devait surmonter.

Peu de temps après l’arrivée de l’équipe sur la montagne, le Népal a été secoué par des manifestations nationales et une coupure des réseaux sociaux qui ont dégénéré en violences, renversé le gouvernement parlementaire et perturbé la haute saison automnale habituelle du trekking. Plusieurs hôtels de luxe ont été incendiés. L’armée a imposé des couvre-feux et abattu près de deux douzaines de manifestants. Ces troubles ont ébranlé les guides et les agences d’expéditions. « De nombreux touristes annulent à cause des choses terribles qui se passent ici et des gens qui regardent les informations internationales », déclare Jiban Ghimire, l’un des fixeurs les plus connus du Népal. « Beaucoup ont décidé de reporter leur voyage. »

Le skieur-alpiniste polonais Andrzej Bargiel, trente-sept ans, n'a lui pas annulé son voyage, et a réalisé la première descente à ski de la voie normale de l’arête sud-est sans oxygène supplémentaire. Plus tard dans la semaine, également sur le versant sud de la montagne, l’ultra-marathonien américain Tyler Andrews a tenté de battre le record de vitesse de l’Everest sans oxygène supplémentaire. Pendant ce temps, Jim Morrison, Jimmy Chin et leur équipe restaient discrets sur le versant nord de la montagne, leur camp de base étant installé sur le glacier du Rongbuk.

Au cours de la deuxième semaine d’octobre, il est devenu clair qu’ils auraient une brève fenêtre météo. « C’était littéralement le dernier jour possible pour le faire », relève Jim Morrison. « Nos permis expiraient le lendemain. »

Jim Morrison, Yukta Gurung et dix autres personnes ont quitté le camp 4 à six heures du matin le 15 octobre. Les vents étaient calmes, mais les températures dangereusement basses, à -27 °C. Topo Mena, d’Alpenglow, et son partenaire d’escalade Roberto « Tico » Morales ont dirigé l’équipe de fixation à travers le couloir Hornbein, atteignant le sommet à 12h45. « Seulement environ cinq personnes avaient déjà gravi le couloir japonais jusqu’au Hornbein, et nous étions douze au sommet », se rappelle Jim Morrison.

Pour Jim Morrison et Jimmy Chin, qui avait eu cinquante-deux ans deux jours plus tôt, c’était l’aboutissement d’une odyssée commencée avec Hilaree Nelson : « Nous poursuivions ce projet depuis six ans ».

Morrison a commencé sa descente à ski peu avant 14h. La montagne avait été balayée par le vent la semaine précédente. « Les conditions étaient abominables », se souvient Jim Morrison. Il s’est frayé un chemin vers le couloir Hornbein. Le point de passage le plus étroit du couloir était fait de rochers à nu, ce qui l’a obligé à retirer ses skis et à descendre en rappel sur environ 200 mètres, en passant devant les vieilles bouteilles d’oxygène jaunes de Tom Hornbein et Willi Unsoeld datant de 1963, avant de remettre ses skis.

« C’était un mélange de ski de survie et de vrai ride », dit Morrison. « Certaines sections étaient suffisamment lisses pour de véritables virages. D’autres étaient creusées et relevées de plus d’un mètre, comme des vagues gelées. »

Il a fait une courte pause au camp 3 et a skié la grande pente ouverte qu’ils avaient surnommée le terrain de football jusqu’au camp 2. « C’était vraiment du bon ski, enchaîner comme ça des virages à 8 000 mètres », dit-il. « Difficile, mais incroyable. »

Il ne restait plus que la portion de descente douce jusqu’au camp 1. « Je n’arrêtais pas de penser : je ne reviendrai jamais ici. Je devrais faire encore quelques virages tant que je le peux.

« Quand j’ai enfin franchi la rimaye, j’ai pleuré. J’avais pris tellement de risques, mais j’étais en vie. C’était comme un hommage à Hilaree, quelque chose dont elle serait fière. Je l’ai vraiment sentie avec moi, comme si elle m’encourageait. »