Europe : mise au jour du plus ancien pigment bleu jamais découvert

Oct 2, 2025 - 15:20
Europe : mise au jour du plus ancien pigment bleu jamais découvert

Depuis 50 ans, une petite pierre ordinaire était exposée dans un musée allemand. Les archéologues ont mis au jour cette pierre à la fin des années 1970, sur le site de Mühlheim-Dietesheim, en Allemagne. Ils pensaient à l’époque qu’il s’agissait d’une lampe à huile toute simple, datant de la fin de la dernière période glaciaire du Paléolithique supérieur, et qui aurait donc entre 10 000 et 50 000 ans. Mais les chercheurs affirment désormais que la pierre présente des traces d’un résidu bleu datant d’il y a environ 13 000 ans, soit 8 000 ans avant la première utilisation connue de pigment bleu en Europe.

L’histoire du pigment bleu est relativement récente comparée à d’autres pigments naturels. Le seul autre exemple d’utilisation d’un pigment bleu au Paléolithique est visible sur des figurines mises au jour dans l’actuelle Sibérie, bien que les chercheurs n’aient pas pu identifier le type de pigment qui avait créé la couleur. Une autre étude a montré qu’il y a environ 33 000 ans, les humains de l’époque transformaient une plante qui pouvait être utilisée pour fabriquer une teinture bleue naturelle et comme médicament sur un site situé en Géorgie, sans que les chercheurs parviennent à trouver des éléments de preuve. Le bleu figurait aux abonnés absents de la palette paléolithique, qui se composait presque exclusivement de teintes rouge et noire.

« Il s’agit d’un des rares exemples où nous sommes complètement surpris par une découverte », confie Izzy Wisher, archéologue à l’université Aarhus au Danemark et autrice principale d’une étude sur cette découverte parue le 29 septembre 2025 dans la revue Antiquity.

 

UN MINERAI DE CUIVRE COLORÉ

C’est un collègue d’Izzy Wisher, Felix Riede, également archéologue à l’université Aarhus, qui a à nouveau examiné quelques objets précédemment mis au jour sur le site, dont la pierre. S’il s’agissait bien d’une lampe, pensait-il, elle devrait présenter des traces de graisses animales. Il a demandé à Izzy Wisher, qui s’y connaît en arts et pigments paléolithiques et en techniques d’éclairage du Paléolithique supérieur, de l’aider.

« Lorsque nous avons examiné cette lampe, nous avons remarqué ces minuscules traces de résidu bleu dessus. Au début, nous avons plaisanté en disant qu’il s’agissait peut-être d’encre moderne », raconte Izzy Wisher.

La recherche de graisses animales n’a donné aucun résultat, tandis qu’une série de coïncidences et la curiosité ont poussé les deux archéologues à s’attarder sur le résidu bleu. Avec l’aide de collègues en géosciences, Izzy et Felix ont découvert que le pigment contenait du cuivre, avant de parvenir à l’identifier : il s’agissait d’un minerai appelé azurite.

Les roches à proximité du site archéologique contiennent de l’azurite et l’empreinte chimique du minerai suggère qu’il provenait de la région. Dans ce recoin de l’Allemagne, les archéologues ont également mis au jour des éléments de preuve attestant que les locaux extrayaient deux autres minerais, du silex et de l’ocre, un pigment rouge, à la même époque. Pour l’équipe d’Izzy Wisher, ils seraient tombés sur de l’azurite en exploitant d’autres ressources et l’auraient extraite de la même manière que l’ocre et le silex. De petits fragments d’ocre découverts sur le site viennent étayer cette théorie.

« Le plus intéressant dans cette étude, c’est que cet objet est très ordinaire », confie Izzy Wisher à propos de la pierre qu’elle pensait originellement être une lampe. « Nous avons désormais le sentiment que cette catégorie d’objets doit être réexaminée à la lumière de cette étude, pour voir si d’autres de ces soi-disant lampes ont en réalité été utilisées pour la transformation des pigments ».

Elizabeth Velliky, archéologue à l’université de Bergen, en Norvège, étudie la relation entre l’utilisation de pigments naturels et les débuts de l’évolution culturelle, de l’expression et du symbolisme chez les humains. Selon elle, cette découverte ne représente qu’une infime partie de ce que nous savons sur la manière dont nos ancêtres utilisaient des pigments à la préhistoire.

« Je pense que le passé était bien plus coloré que nous ne le pensons, et nous en avons désormais la preuve », explique Elizabeth Velliky, qui n’a pas pris part à l’étude. Comme le précise l’archéologue, les humains qui vivaient en Europe à cette époque formaient des groupes sociaux plus complexes ; présents dans différentes régions, ils développaient différentes façons d’utiliser les outils en pierre.

Il est donc logique de penser qu’ils ont pu faire des expériences avec la couleur à l’époque où ils apprenaient à utiliser les pierres. « La population augmentait en Europe, les glaciers reculaient. Avec la multiplication des déplacements, la communication a sans doute augmenté et les différentes populations avaient sans doute besoin ou voulaient d’autres façons de s’exprimer, que ce soit pour des raisons personnelles, pour des questions d’identité sociale ou d’affiliation à un groupe », souligne Elizabeth Velliky.

 

LE BLEU, UNE COULEUR RARE AU PALÉOLITHIQUE

Si Izzy Wisher et ses collègues ignorent comment le bleu était utilisé à l’époque et quelle était sa signification, ils ont quelques théories.

« Si l’azurite était si abondante dans la région et qu’ils parvenaient à l’extraire, pourquoi n’en voyons-nous pas plus dans les registres archéologiques de cette période ? Nous pensons que cela s’explique probablement en raison du fait que l’azurite était utilisée pour des activités archéologiquement invisibles qui ne se conservent pas, comme la décoration des corps ou la teinture de tissus », explique l’autrice principale de l’étude.

L’extraction et la transformation de pigments naturels en teinture ou peinture demandent beaucoup de temps et d’énergie. Tous ces efforts suggèrent que la couleur bleue revêtait une importance culturelle. L’étude remet également en question des recherches précédentes qui suggéraient que les couleurs employées dans l’art paléolithique étaient le produit des couleurs auxquelles les populations de l’époque avaient accès.

« Au lieu de penser très simplement qu’ils n’avaient pas accès à certaines couleurs, nous devrions plutôt nous dire que les humains du Paléolithique étaient très regardants quant aux couleurs qu’ils utilisaient pour des activités spécifiques et aux effets visuels qu’ils souhaitaient créer ».