Quels dangers la surexposition aux écrans représente-t-elle pour les enfants ?

Juillet 21, 2025 - 15:40
Quels dangers la surexposition aux écrans représente-t-elle pour les enfants ?

Le 27 juin dernier, Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, a signé un arrêté interdisant l’exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans dans les structures d’accueil.

Cette interdiction s’inscrit dans une stratégie interministérielle de protection des enfants, portée par le Président de la République, et vise à mieux encadrer l’usage des écrans et des réseaux sociaux par les plus jeunes. Elle répond notamment aux recommandations du rapport de la commission « Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu », remis en avril 2024, qui met en garde contre les nombreux effets délétères de la surexposition numérique sur la santé des enfants. 

En 2024, un foyer français comptait en moyenne près de six écrans : le smartphone, le plus répandu, équipe 92 % des ménages. Pourtant, depuis plusieurs années, de nombreuses études alertent sur les dangers d’une surexposition aux écrans sur la santé physique, mentale et sociale des enfants : troubles du sommeil, de la vue, du langage et du comportement, surpoids, appauvrissement des échanges…

Ces risques sont particulièrement préoccupants au cours des mille premiers jours de la vie d’un jeune enfant, une période décisive pour le développement de son cerveau et de ses fonctions cognitives.

Selon l’étude ELFE publiée en avril 2023 par Santé publique France, le temps quotidien d’écran des enfants français est en hausse depuis plusieurs années. Il est de 56 minutes à deux ans, 1h20 à trois ans et demi, et 1h34 à cinq ans et demi. Quant aux enfants et adolescents âgés de six à dix-sept ans, ce chiffre dépasse les quatre heures par jour

Une étude de l’Institut national d'études démographiques (Ined) révèle néanmoins que seul un parent sur sept respecte la recommandation visant à ne pas exposer les tout-petits à la télévision, aux smartphones ou aux tablettes. 

 

LES EFFETS DÉLÉTÈRES DE LA SUREXPOSITION NUMÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS

La pédiatre Sylvie Dieu Osika, membre fondatrice du CoSE (Collectif Surexposition Écrans) et co-autrice de L’enfant‑écran : Comment échapper à la pandémie numérique, rappelle que l’on parle de surexposition lorsqu’un enfant est en contact avec un écran avant l’âge recommandé, trois ans, et pendant une durée qui dépasse les préconisations.

La spécialiste dresse un tableau sombre des effets de la surexposition numérique sur la santé globale des enfants. « Les enfants que je vois [en consultation] sont surexposés dès l’âge de six à huit mois, et plusieurs heures par jour. […] L'un des symptômes les plus inquiétants, c’est un retard important voire une absence de langage. [On a] des enfants qui ne parlent pas ou qui répètent tout ce qu’ils ont entendu ». 

Dans son livre, le docteur évoque ce qu’elle appelle le « Youtube Leash » (laisse numérique). « Malheureusement, les enfants regardent une application très fréquemment, bien connue des parents, qui s’appelle Youtube Kids. Ils regardent pendant des heures des dessins animés. Et du coup, ils répètent ce qu’ils entendent en anglais ou dans d’autres langues. Ce n’est pas du langage, c’est de la répétition ». 

Une note de Santé publique France publiée en 2020 rappelle qu’un enfant de 0 à 3 ans surexposé aux écrans multiplie par trois son risque de développer des troubles primaires du langage. Ce risque est multiplié par six si l’enfant ne discute jamais, ou rarement, avec ses parents de ce qu’il a vu. De plus, ces enfants « ont des troubles de la frustration, du caractère, du comportement, dans le sens qu’ils ne supportent pas le lien avec les autres. [Ils] ont aussi des troubles de la motricité fine : ils ne savent pas se servir de leurs petites mains ». 

Outre les risques pour le sommeil et la vue, l’usage excessif des écrans réduit le temps consacré à l’activité physique, favorise la sédentarité et le surpoids. « Les enfants courent moins, donc ils ont des capacités cardiaques, respiratoires beaucoup moins bonnes qu'avant », précise la pédiatre. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), les enfants exposés aux écrans dès deux ans atteignent un taux de masse corporelle supérieure à la moyenne à l’âge de cinq ans. 

Pour le docteur, « la technologie attire les enfants qui ont des troubles de l’attention, du neurodéveloppement. […] Si ces enfants passent trop de temps devant les écrans à un jeune âge, [cela] va alors altérer encore plus leur développement ». Sylvie Dieu Osika constate, au fil de ses consultations, que le comportement de « ces enfants va être amélioré avec un sevrage, mais vont garder des troubles inhérents à leur génétique ». 

Chez « un enfant [surexposé aux écrans mais] qui n'aurait aucun trouble du neurodéveloppement au départ », les altérations qui peuvent apparaître sont en grande partie liées à cet usage excessif d’appareils numériques. Après un sevrage, « ces enfants gardent des petits troubles, mais extrêmement mineurs par rapport à ce qu’ils avaient avant. [...] Ceci est déjà une donnée qui peut permettre de dire qu'il y a un lien entre trop d'écrans et certains troubles », conclut la pédiatre.  

 

PRÉSERVER LE LIEN ADULTE-ENFANT

Quel que soit son âge, l’enfant reste vulnérable face à l’exposition aux écrans. « Mais le petit enfant de moins de trois ans l’est encore plus », relève Sylvie Dieu Osika. À cet âge, « il a énormément de choses à apprendre : à dire des mots, à marcher… » et son cerveau, encore très malléable, est en plein développement. Le temps passé devant les écrans correspond alors à « du temps volé, [qui aurait dû être consacré] à toutes ces acquisitions indispensables pour bien évoluer, au niveau psychique et moteur ». 

L’enfant de moins de trois ans « a besoin d’apprendre des tas de choses qu’il ne peut pas acquérir sur un écran ». Le docteur Sylvie Dieu Osika insiste : « on n’apprend rien avant six ans sur un écran, et encore moins avant trois ans. […] Même une application qui serait pédagogique, éducative (et il n’y en a pas), n’apprend rien par rapport à ce que peut apprendre un adulte disponible pour l’enfant ».

La spécialiste explique que « l’enfant est aussi vulnérable du fait qu’il devient totalement scotché à un écran qui bouge. [Chez] un bébé, c’est son regard qui va être le plus important, et dès qu’il va avoir quelque chose de lumineux qui bouge, il va être attiré. […] Il y a tellement d’informations que son cerveau est saturé, et il ne peut plus bouger : il reste fixé dessus, sans être intéressé par ce qui l’entoure ». 

Concernant l’arrêté signé en juin dernier, qui encadre l’usage des écrans dans les structures d’accueil du jeune enfant, le docteur Sylvie Dieu Osika insiste sur la nécessité de le recontextualiser : « très clairement, dans les crèches, il y a très peu d’écrans, voire pas du tout. Les nourrices, les assistantes maternelles formées par [les services de] Protection Maternelle et Infantile (PMI) sont très souvent sensibilisées à cette problématique et, dans la majorité des cas, ne placent pas les enfants devant les écrans ».

Elle souligne que cette interdiction « est une façon pour Madame Vautrin de passer un message aux parents pour leur dire que si c'est interdit dans les crèches ou chez la nourrice, c'est que chez vous non plus, ce n'est pas bon pour votre enfant ». 

Pour la spécialiste, « le principal problème des troubles des interactions précoces » réside dans le phénomène de technoférence : « c’est l’objet numérique qui fait irruption dans la relation et empêche un échange de qualité entre les deux personnes présentes », notamment entre l’adulte et l’enfant. « Un enfant, pour se construire, a besoin d’un adulte, disponible, qui le regarde dans les yeux et qui enrichit tous les appels qu’il peut faire. […] Le langage non-verbal chez l'enfant est absolument essentiel : se regarder, se sourire, faire des grimaces en retour des réactions du bébé. C'est comme ça que le langage [verbal] s'installe ». 

De fait, cette interférence numérique, en s’immisçant très tôt dans la relation adulte-enfant, peut altérer les bases du langage. « Les enfants font ce que font leurs parents, pas seulement ce qu'ils disent. L'exemple du parent est donc absolument essentiel ». Chez l’enfant plus âgé, la technoférence peut avoir « un impact extrêmement important et très large sur sa motivation ».

 

CAPTOLOGIE ET DÉPENDANCE

La pédiatre estime que « ce n’est jamais trop tard » pour prendre conscience de cette utilisation délétère de l'écran. Pour elle, « on améliore toujours [la situation] quels que soient l'âge, l'enfant et le problème ». Mais il ne s’agit pas simplement de supprimer totalement les écrans : « on est disponible pour [l’enfant], on fait des choses avec lui, on lui parle ».

Pour les enfants fortement surexposés aux écrans et présentant de très importants retards, « il faut un sevrage total, parce que malheureusement, on est en train de parler d’un produit dont les effets addictifs sont similaires à ceux d’une drogue », précise-t-elle. Derrière ce problème de santé publique majeur, se cache une stratégie technologique appelée la captologie, « qui est faite pour capter votre attention et que vous ne lâchiez pas l’écran ». La pédiatre met en garde : « on est dans la même situation qu'à l'époque du tabac ou de l'alcool : il y a des lobbies très forts, très intelligents et qui font en sorte de minimiser le problème ». 

Dans une enquête menée par la cellule d'investigation de Radio France, Emmanuel Gavard, journaliste tech pour Stratégies, souligne la proximité entre les laboratoires de sciences cognitives et les géants du numérique, et en explique les ressorts : « le but des plateformes, c'est que vous soyez happés. C'est ce qu'on appelle l'économie de l'attention. Donc ces entreprises ont besoin de faire des études sur notre comportement, pour comprendre ce qui nous retient et comment fonctionne le cerveau ». 

Pour le docteur Sylvie Dieu-Osika, adultes comme enfants sont « victimes de ce modèle économique ». Selon elle, face aux dangers que représentent les écrans pour les enfants, « la prise de conscience est insuffisante. […] Il y a encore des parents qui ont encore cette notion que les écrans peuvent être pédagogiques ou éducatifs. Certains grands-parents, eux, se disent qu’ils ont mis leurs propres enfants devant la télévision, et que ce n’est donc pas gênant pour leurs petits-enfants ». Or, il y a vingt ans, la captologie n’existait pas encore, et « les programmes de télévision n’avaient rien à voir avec ce qu’on trouve aujourd’hui sur Internet ».

La pédiatre rappelle une règle assez simple pour limiter l’usage des écrans : celle des quatre PAS. « C’est trois temps et un lieu sans écran, et c’est bon pour tout le monde » : pas d’écran dans la chambre, pas le matin, pas pendant les repas, et pas d’écran une heure avant de dormir. Sylvie Dieu Osika estime que l’interdiction des écrans avant trois ans est insuffisante et appelle à proscrire également l’usage du smartphone avant quinze ans.