Comment les cigales sont devenues un symbole de la Provence

En Provence, dès qu’arrive l’été vient le temps des cigales. Dans le sud, ces insectes ne sortent de terre que pour quelques semaines, lorsque le temps est chaud et ensoleillé. Une fois dehors, elles se mettent à chanter.
Les cigales produisent une variété de bruits secs et de crissements qui s'élèvent dans les champs et les villages de la région comme une symphonie estivale unique en son genre. Ce « chant », qui est en réalité une cymbalisation, peut avoir différentes significations mais les cigales mâles qui l’exécutent le font souvent entendre dans le cadre d'un rituel d'accouplement.
L'apparition annuelle des cigales n'est pas l'apanage de la Provence mais l'amour que la région porte à cet insecte chanteur est quant à lui sans pareil. Les cigales sont tellement ancrées dans la culture provençale qu’il est souvent possible de les trouver dans les boutiques et les galeries locales qui vendent des souvenirs et des céramiques à leur effigie.
Comment un insecte ailé aux yeux perlés, considéré comme une nuisance sonore dans la plupart des pays du monde, est-il devenu ce célèbre symbole de bon temps en Provence ?
LA CIGALE, INSECTE D’ART ET DE RÊVES
Les cigales sont connues pour une chose : leur chant. Leur cymbalisation est unique et peut atteindre 90 décibels, un vrombissement qui n'est pas si éloigné de celui d'un moteur à réaction. Les diverses espèces de cigales produisent des sons différents, bien qu’il ne soit pas toujours évident de le percevoir à l'oreille humaine. En règle générale, à la nuit tombée, elles gardent le silence.
D’aucuns ont interprété le chant de la cigale comme une preuve de paresse, dans l’idée que celle-ci passerait sa journée à chanter. Jean de La Fontaine, fabuliste du 17e siècle, a encouragé cette manière de penser avec sa fable de 1668 intitulée La Cigale et la Fourmi. Dans cette dernière, la fourmi passe son été à amasser de la nourriture, tandis que la cigale, musicienne et rêveuse, chante tout au long de la saison et finit par devoir implorer la première de partager sa récolte. Pour le fabuliste, la cigale est mal préparée, imprudente et perdue par son art.
Artistes et poètes provençaux voyaient en la cigale une âme sœur, qui tout autant s’adonnait à la musique pour le plaisir et aimait le soleil, autre symbole de la vie en Provence. Comme dans la fable de Jean de La Fontaine, les cigales semblaient savoir prendre du bon temps, ce qui valait d’être salué.
Le poète Frédéric Mistral a érigé l'insecte en tant que symbole de la région lorsqu'il a participé à la fondation d'une association de poètes provençaux en 1854. Connue sous le nom de Félibrige, celle-ci se consacre au patrimoine culturel de la Provence, notamment à la survivance de l'occitan, qui était autrefois la langue dominante de la région.
Frédéric Mistral a proposé comme devise pour le groupe cette phrase en occitan : « Lou soulèu me fai canta », soit « Le soleil me fait chanter ». Celle-ci aurait tout aussi bien pu décrire la cigale, amoureuse du soleil, dont le chant entêtant n'est pas sans rappeler l'ode d'un poète au soleil provençal.
Le naturaliste Jean-Henri Fabre, originaire du sud, a écrit en 1879 : « Quatre années de rude besogne sous terre, un mois de fête au soleil, telle serait donc la vie de la Cigale. Ne reprochons plus à l'insecte adulte son délirant triomphe. »
À la fin du 19e siècle, même les touristes en sont venus à associer les cigales au mode de vie provençal. L'auteur anglais Edward Harrison Barker qui écrivait sur ses voyages a été sensible au symbolisme de l'insecte lors d'une randonnée dans le sud. Le chant de la cigale « n'est pas un son musical, mais il est empli de la joie de la nature », a-t-il écrit en 1890.
« Lorsque le soleil surgit, il semble ivre de plaisir, et dans la cime de chaque pin se trouve un esprit joyeux qui s'écrie : "La tristesse est partie ; ô joie ! À tout jamais la joie !" ».
UNE ICÔNE PROVENÇALE SOLIDEMENT ANCRÉE DANS LA CULTURE
En 1895, le céramiste d'Aubagne Louis Sicard reçoit une commande de la Société générale des tuileries de Marseille & Cie. Le groupement d’entreprises souhaitait un cadeau unique qu'il pourrait envoyer à ses clients et qui se devait d’être typiquement provençal.
Louis Sicard a créé des presse-papiers en forme de cigales, avec pour finition des ailes qui semblaient s'enrouler autour de leur dos comme une cape. Il y a ajouté la devise emblématique du Félibrige : « Le soleil me fait chanter. »
Les cigales de Louis Sicard remportent un vif succès et l'insecte devient une composante majeure de son œuvre. D'autres artistes lui emboîteront le pas au siècle suivant, intégrant ainsi les cigales dans leurs propres créations.
Aujourd'hui, les artistes provençaux continuent de brandir la cigale, symbole de leurs terres et de « farniente ». Bien que l'humble insecte ne sorte de terre que pour quelques semaines chaque été, l'amour que la Provence lui porte assure à la cigale de rester une figure chérie tout au long de l'année.