Fermi, le vaisseau spatial qui a changé notre façon de voir l'univers

Enfant, j'allais l'été dans le nord de l’État de New York, dans la maison de mes grands-parents, au bord d’un lac, loin de la pollution lumineuse des grandes villes. À la nuit, je tirais une couverture de mon lit et la traînais jusqu’au ponton à bateaux. Étendue là, je regardais le ciel empli d’étoiles aussi longtemps que les adultes l’autorisaient. Je n’avais pas de mots pour exprimer ce que je ressentais : l’attraction du cosmos, beau et impressionnant.
À l’été 2002, j’ai commencé à étudier l’astronomie. J’ai effectué un stage à l’université de Chicago, une institution réputée pour ses pionniers en physique. Parmi eux figura Enrico Fermi, qui y passa les dernières années de sa vie et de sa carrière.
À l’université de Chicago, je remettais en état un équipement de détection des rayons cosmiques, protons à haute énergie et autres nucléons qui nous bombardent depuis l’espace. J’ai entendu parler des rayons gamma (la forme de lumière la plus Lettre d’amour à un télescope énergétique), dont la détection nécessite créativité et innovation, ainsi que des observatoires envoyés dans l’espace. Je suis devenue accro. Six ans plus tard, un observatoire de ce type a été placé en orbite autour de la Terre. Baptisé en l’honneur d’Enrico Fermi, il est devenu mon engin spatial favori.
Le télescope spatial à rayons gamma Fermi m’a dévoilé un Univers dont jamais je n’aurais pu rêver – brillant, violent, débordant de beauté et de mouvement. Chaque élément de lumière gamma capté par Fermi contient des milliers de milliards de fois plus d’énergie que la lumière que peuvent distinguer des yeux humains.
Ces rayons gamma recèlent les secrets des choses les plus remarquables de l’Univers : les spirales de matière dont se nourrissent les trous noirs et les vestiges d’étoiles massives qui ont explosé. Ces événements et ces mouvements projettent une lumière d’une énergie telle que peu de phénomènes sur la Terre peuvent la reproduire.
Fermi a été envoyé dans l’espace avec deux instruments de capture de rayons gamma. Les scientifiques tablaient sur une mission de cinq ans – dix, espéraient les optimistes. Or voilà treize ans que Fermi nous révèle explosions et collisions célestes.
L’une des découvertes fortuites de Fermi a eu lieu un an après le lancement. Le télescope a repéré deux énormes bulles de rayons gamma – des nuées de particules chargées que le coeur de notre Voie lactée émet depuis des millions d’années. Ces structures massives, chacune haute de 25 000 annéeslumière, témoignent sans doute d’une activité cataclysmique survenue il y a longtemps. Mais leur cause précise demeure un mystère.
Fermi a également répondu à une question vieille d’un siècle sur les origines des rayons cosmiques. En août 1912, à bord d’une montgolfière, à plus de 5 km d’altitude, le physicien Victor Hess devint le premier homme à détecter des particules de rayons cosmiques, ce qui lui valut de partager un prix Nobel. Mais, malgré des années de travail, ni Hess ni personne ne parvint à préciser la cause du rayonnement cosmique. Chargées d’électricité, ces particules sont déviées par les champs magnétiques des galaxies. Leurs trajectoires sont confuses et aléatoires.
Or les événements qui engendrent les rayons cosmiques suscitent aussi des rayons gamma distincts. Les yeux de Fermi nous ramènent donc directement aux lieux d’anciennes explosions stellaires et à l’origine du rayonnement cosmique. Ce qu’ils ont détecté a confirmé une hypothèse : les étoiles qui explosent et leur environnement turbulent peuvent accélérer les protons et d’autres noyaux atomiques, produisant des rayons cosmiques.
La lumière que voit Fermi est si énergétique que les optiques traditionnelles ne s’y appliquent pas. Cet observatoire n’utilise ni miroirs réfléchissants (comme le télescope spatial James Webb, qui doit être lancé à l’automne) ni lentilles réfractives (qui courbent et concentrent la radiation entrante). Fermi, lui, est un détecteur de particules placé en orbite autour de la Terre.
Son instrument principal est une sorte de millefeuille en silicone et en tungstène de la taille d’une cabane de jardin : le Large Area Telescope (LAT, ou Télescope de grande dimension). Celui-ci observe environ un cinquième du ciel nocturne à la fois. Il peut pourtant localiser une source de rayons gamma en un point du ciel qui ne vous apparaîtrait pas plus grand qu’un grain de sable tenu à bout de bras.
Fermi a ainsi cartographié des milliers d’objets célestes émettant des rayons gamma – depuis des environnements extrêmes autour de trous noirs jusqu’à des vestiges d’étoiles mortes ayant explosé.
Le LAT contraint certains rayons gamma passant à travers ses couches de tungstène à se séparer en un électron et un positron (l’antiparticule associée à l’électron). Puis ces particules chargées traversent les couches de silicone alternées, qui détectent leurs traces. Enfin, à la base du LAT, un troisième composant absorbe ces particules et mesure leur énergie.
En quelques secondes, l’ordinateur de Fermi rassemble toutes ces informations. À partir de là, il peut déduire quelle était l’énergie du rayon gamma et sa direction – donc, d’où venait la lumière. En parallèle travaille l’autre instrument de Fermi : quatorze détecteurs de particules plus petits qui oeuvrent à l’unisson, explorant tout le ciel en quête d’éclairs de lumière lointains – les sursauts gamma. Si deux détecteurs ou plus perçoivent l’un de ces pics de rayons gamma, les systèmes informatiques de Fermi peuvent alerter les astronomes sur la Terre. Fermi est indispensable en raison de sa capacité à embrasser tout le ciel. Il a été conçu pour fouiller un firmament sans cesse agité, pour observer la mort des étoiles et les ondes de choc massives qui gavent d’énergie les particules de l’Univers. Cela a permis une découverte inattendue.
Le plus grand exploit de Fermi est survenu près d’une décennie après son lancement. Sur la Terre, les astronomes avaient commencé à user d’un autre type de détecteur : des installations gigantesques capables de percevoir les ondes gravitationnelles (les ondulations de l’espace-temps lui-même).
Un matin d’août 2017, Fermi a senti un éclair bref, mais très intense, de rayons gamma. Il en a aussitôt averti les astronomes sur la Terre. Or, 1,7 s plus tôt, les observatoires terrestres Ligo et Virgo avaient senti passer la poussée quasiment imperceptible d’ondes gravitationnelles. Fermi, Ligo et Virgo ont alerté les astronomes du monde entier. Ceux-ci ont activé des télescopes optiques (en lumière visible), des satellites à rayons X et des radiotélescopes. Lesquels ont confirmé que les signaux provenaient tous du même événement.
Après analyse, les chercheurs ont pu se forger une image solide de ce qui était arrivé. Les ondes gravitationnelles et le spectre lumineux tout entier provenaient d’une collision très ancienne entre deux étoiles à neutrons (des vestiges d’étoiles, d’une densité phénoménale).
En détectant cette éruption de rayons gamma, Fermi avait établi le lien entre ces signaux gravitationnels – qui constituent un nouveau moyen d’information sur les objets célestes – et diverses formes de lumière.
Fermi marche à l’énergie solaire. Il fonctionnera donc aussi longtemps que ses panneaux solaires et son système de positionnement seront en bonne santé. Espérons que cela durera, car aucun autre télescope ne réalise ce que réalise Fermi – et la Nasa ne prévoit pas d’instrument pour le remplacer. Cet engin spatial établit le lien entre la lumière (celle des étoiles, telle que nous la connaissons depuis l’enfance) et les ondes gravitationnelles, ce type de messager céleste nouveau pour nous. Fermi a ainsi changé la façon dont je vois l’Univers.