Il existe six sous-types de dépression : voici comment les reconnaître

Août 3, 2025 - 07:30
Il existe six sous-types de dépression : voici comment les reconnaître

En France, on estime qu’une personne sur cinq a souffert ou souffrira de troubles dépressifs au cours de sa vie, une tendance particulièrement marquée chez les jeunes adultes. Parmi les millions de personnes concernées, beaucoup ne sont pas correctement diagnostiquées et se voient prescrire des traitements par tâtonnements, ce qui peut s’avérer coûteux, inefficace, frustrant et, dans certains cas, préjudiciable. Pour inverser cette tendance, des chercheurs de l’Université Stanford s’emploient à identifier des biomarqueurs uniques à chaque type de dépression, dans l’objectif de proposer des traitements plus ciblés.

Leurs conclusions, publiées en 2024 dans Nature Medicine, reposent sur une étude menée sur des centaines de patients analysés à la fois au repos et lors de la réalisation de tâches cognitives. L’équipe a ainsi identifié six sous-types distincts de dépression.

« La psychiatrie, contrairement à d'autres domaines médicaux, repose encore largement sur les symptômes rapportés par les patients et n’utilise pas de tests biologiques pour les diagnostiquer et les traiter », explique Leanne Williams, autrice principale de l’étude et professeure de psychiatrie et de sciences du comportement à la faculté de médecine de l’Université Stanford. « Pour cette raison, il est crucial de développer des tests capables d’établir un diagnostic précis fondé sur la biologie des symptômes, afin d’offrir des traitements personnalisés. »

Si les résultats doivent encore être confirmés par d’autres études avant une application clinique, de nombreux professionnels de la santé mentale saluent une avancée prometteuse. Cette recherche pourrait ouvrir la voie à l’utilisation de l’imagerie cérébrale pour diagnostiquer et traiter la dépression, de la même manière que les cardiologues utilisent les radiographies du thorax pour identifier et traiter les problèmes cardiaques.

« Ces résultats n’ont pour le moment pas d’application clinique, mais ils constituent une étape importante dans la recherche de marqueurs biologiques mesurables pour établir un diagnostic précis et à adapter le traitement », commente Robert Bright, psychiatre réputé et président du département de psychiatrie et de psychologie de la Mayo Clinic Arizona, qui n’était pas impliqué dans l’étude.

 

LES SIX TYPES DE DÉPRESSION

L’étude répond à une préoccupation croissante des professionnels de la santé mentale : presque 30 % des patients dépressifs ne voient pas leurs symptômes s’améliorer, même après de multiples interventions médicales.

« Malgré tous les progrès réalisés dans d’autres domaines de la médecine, nous ne parvenons toujours pas à proposer aux patients (atteints de dépression) le traitement qui leur conviendra le mieux. Certaines personnes passent des années à errer de traitement en traitement avant d’en trouver un qui soit efficace », déplore Srijan Sen, neuroscientifique et directeur du Eisenberg Family Depression Center de l’Université du Michigan.

Pour avancer, les chercheurs de Stanford ont eu recours à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) afin d’analyser les régions du cerveau les plus souvent associées à la dépression, telles que l’amygdale, l’hypothalamus, l’hippocampe et le cortex préfrontal, ainsi que les circuits qui relient ces structures cérébrales entre elles.

Il est important de déterminer le sous-type, ou « biotype » de la dépression d’un patient, explique Williams. Chaque biotype reflète un dysfonctionnement particulier dans l’un de ces circuits, provoquant les symptômes et comportements que nous associons à la dépression.

Selon Bright, les troubles observés dans les connexions cérébrales examinées dans l’étude touchent la capacité d’attention, la mémoire de travail, la flexibilité cognitive, la planification, la prise de décision, la rumination, la motivation et les hormones associées aux émotions positives et négatives. 

L'étude a porté sur 801 patients déjà diagnostiqués, dont l’activité cérébrale a été analysée au repos et lors d’exercices destinés à stimuler les fonctions cognitives ou les réactions émotionnelles face à diverses situations. Ces deux scénarios n’avaient encore jamais été étudiés de cette manière. 

« En quantifiant les fonctions cérébrales au repos et pendant des tâches spécifiques, nous avons trouvé que la dépression se divise en six modèles distincts de dysfonctionnement dans six circuits cérébraux majeurs », révèle Williams.

Ces circuits sont :

1) Le circuit du mode par défaut, actif lorsqu’un individu est engagé dans des processus mentaux internes, tels que l’errance mentale et l’introspection. « Lorsque ce circuit est perturbé, ces processus mentaux internes sont également affectés », explique Williams.

2) Le circuit de la saillance, qui nous aide à nous concentrer sur les stimuli émotionnels importants, qu’ils soient internes ou externes. « Lorsque ce circuit est perturbé, il peut entraîner des symptômes physiques d’anxiété et une expérience sensorielle accablante », décrit-elle.

3) Le circuit de l’affect positif, également connu sous le nom de circuit de la récompense, associé à la motivation, la joie sociale, le plaisir et la raison d’être. « Les perturbations de ce circuit entraînent un engourdissement émotionnel et la nécessité de réaliser un effort plus important pour éprouver du plaisir. »

4) Le circuit de l’affect négatif, essentiel pour traiter et répondre aux stimuli émotionnels négatifs, tels que les menaces et la tristesse. « Lorsqu’il est perturbé, les réactions aux émotions négatives peuvent devenir plus intenses et plus longues. »

5) Le circuit de l’attention, également connu sous le nom de réseau fronto-pariétal ou réseau exécutif central, est impliqué dans le maintien de l’attention et de la concentration. « Lorsqu’il est perturbé, la capacité à se concentrer s’en voit diminuée », indique Williams.

6) Le circuit de contrôle cognitif, lui, sous-tend les fonctions exécutives, telles que la mémoire de travail et la planification, ainsi que le contrôle des pensées et des actions. « Lorsqu'il est perturbé, il peut rendre difficiles la prise de décision et la planification. »

 

VERS UN TRAITEMENT ADAPTÉ À CHAQUE BIOTYPE

Une fois le biotype identifié, les professionnels de la santé mentale seront en mesure de recommander un traitement adapté, indique Aron Tendler, psychiatre et directeur médical de BrainsWay à Burlington, qui n’était pas impliqué dans l’étude, mais qualifie ses résultats « d’extrêmement intéressants ». 

Il salue également la capacité des chercheurs à mesurer plus précisément l’efficacité, ou l’inefficacité, de quelques-uns des traitements les plus courants contre la dépression sur chaque biotype.

Pour ce faire, l’équipe a sélectionné au hasard 250 participants et a testé plusieurs approches : soit une psychothérapie, soit l’un des trois antidépresseurs les plus prescrits, à savoir l’escitalopram, la venlafaxine et la sertraline.

Selon Williams, les résultats montrent que, dans de nombreux exemples, certains biotypes répondent mieux à un traitement qu’à un autre. Certains ont ainsi connu des améliorations grâce à la thérapie par la parole alors qu’ils n’avaient pas réagi aussi bien aux médicaments.

Ces résultats viennent s’ajouter à des recherches antérieures de l’équipe de Stanford, qui se penchaient sur le circuit de contrôle cognitif. Les chercheurs ont pu utiliser la technologie de l’IRMf pour identifier une meilleure probabilité de rémission chez les patients ayant reçu un traitement ciblé, par rapport aux patients dont le cerveau n’avait pas été analysé et qui avaient reçu un traitement général.

Dans ces deux études et dans des recherches ultérieures, les chercheurs ont démontré toute la capacité de la technologie de l’IRMf à réduire ou éliminer l’errance médicale des patients dans le parcours de soin psychologique.

 

LES LIMITES DE L'ÉTUDE… ET DE L’INDUSTRIE

Paul Appelbaum, psychiatre et professeur émérite à l’Université de Columbia, qualifie l’étude de « prometteuse ». Il estime cependant que, pour lui permettre d’être plus représentative, d’autres chercheurs devront la reproduire sur des populations plus diversifiées, car l’échantillon utilisé dans celle-ci était majoritairement blanc de peau.

De nombreux autres traitements courants contre la dépression devront également être inclus. L’équipe de Stanford n’a en effet examiné que trois antidépresseurs ainsi qu’un nombre limité de types de psychothérapies.

En outre, l’accès difficile aux équipements de l’IRMf, nécessaires pour identifier le biotype correct d’un patient, pose également un frein potentiellement important. Ces scanners ne sont disponibles que dans un nombre limité de grands centres médicaux, ce qui les rend à la fois rares et coûteux.

Pour cette raison, « les médecins, y compris les psychiatres, ne prescrivent que rarement des IRMf à leurs patients. Il est aussi très peu probable que les compagnies d’assurance prennent en charge ces scanners cérébraux coûteux avant que de nombreuses recherches supplémentaires ne permettent de démontrer qu’ils peuvent prédire de manière fiable le traitement le plus efficace pour une personne diagnostiquée comme dépressive », commente Judith Beck, professeure de psychologie clinique à l’Université de Pennsylvanie et présidente de l’Institut Beck pour la thérapie cognitivo-comportementale.

Si les recherches futures confirment ces résultats, et si l’on démontre aux compagnies d'assurance et aux fabricants de médicaments que certains traitements réparent efficacement des circuits perturbés, « nous pourrions atteindre un moment décisif dans le traitement de la dépression », espère Jonathan Rottenberg, professeur de psychologie à l’Université de Cornell, qui n’était pas impliqué dans l’étude de Stanford. « Grâce à ce travail, le traitement contre la dépression pourrait devenir plus efficace et plus efficient. »