Jeux d’argent : quand le loisir bascule dans l’addiction

Juillet 30, 2025 - 13:20
Jeux d’argent : quand le loisir bascule dans l’addiction

Tout au long de l'histoire, les jeux d'argent ont connu des pics périodiques en termes de tendance et il se pourrait bien qu’ils atteignent de nouveaux sommets depuis 2018. Cette année-là, la Cour suprême des États-Unis a déclaré contraire à la Constitution la Professional and Amateur Sports Protection Act (PASPA), une loi fédérale interdisant à la plupart des États d'autoriser les paris sur les compétitions sportives.

Du jour au lendemain, les publicités des opérateurs de paris en ligne sont devenues omniprésentes. Il est désormais possible de les apercevoir non seulement lors des émissions sportives, mais aussi au cours d'autres programmes et sur tous les supports diffusant des publicités en ligne. En 2023, cinquième anniversaire de cette décision, la population du pays avait misé plus de 220 milliards de dollars (189 milliards d’euros) sur le sport. Il s’agissait également de la troisième année consécutive au cours de laquelle les recettes des paris professionnels avaient battu des records. À ce jour, trente-huit États, ainsi que Washington, D.C., autorisent les paris sportifs sous une forme ou une autre.

Avec l'explosion des paris sportifs, des affaires très médiatisées ont fait la une des journaux. En avril 2024, la NBA (National Basketball Association) a banni à vie Jontay Porter, joueur des Raptors de Toronto, après qu'une enquête interne a révélé qu'il avait parié sur des matchs de basketball. Le mois précédent, les Dodgers de Los Angeles, équipe de la Ligue majeure de baseball, avaient brusquement licencié l’interprète de leur joueur vedette, Shohei Ohtani, pour avoir parié. Les autorités des États-Unis ont accusé celui-ci d'avoir volé plus de 16 millions de dollars (près de 14 millions d’euros) pour financer sa dépendance aux paris sportifs illégaux. Le célèbre animateur Craig Carton, quant à lui, avait fait son retour à l'antenne après avoir purgé une peine de prison, lançant une émission consacrée aux réalités du jeu problématique.

Selon Jeffrey Derevensky, directeur du Centre international d'études sur le jeu et les comportements à risque chez les jeunes de l'université McGill, autrefois considéré comme un symbole d'immoralité, le jeu est nettement moins stigmatisé depuis les dernières décennies. « Ils ont transformé le jeu, qui était un péché et un vice, en une forme de divertissement socialement acceptable », explique-t-il. « Grâce à cette acceptabilité sociale, plus besoin de se cacher. »

Les jeux d’argent sont plus accessibles que jamais. Il est donc plus facile pour tout un chacun, y compris les jeunes qui ont des difficultés à se fixer des limites et à les respecter, de développer une forte dépendance. Depuis 2018, davantage de cas très médiatisés d'adolescents et adolescentes tombant dans une forte dépendance au jeu sont recensés et les spécialistes auraient remarqué qu'une part de cette population s’orienterait vers les jeux d’argent par l’intermédiaire des jeux vidéo, probablement parce que ces deux activités répondent à des besoins psychologiques similaires.

D’après le National Council on Problem Gaming, une organisation à but non lucratif qui vise à minimiser les coûts économiques et sociaux liés à la dépendance au jeu, entre 2018 et 2021, le risque de jeu problématique a augmenté de 30 %.

En partant de ce constat, le secteur ne peut que se développer, non seulement en termes de recettes, mais aussi en raison de la probabilité que la législation sur les jeux d'argent légaux puisse gagner des régions encore épargnées des États-Unis.

« Quand on me demande qui est le plus accro au jeu, en général je réponds que c'est le gouvernement », déclare Jeffrey Derevensky. « Il est accro aux recettes générées par le secteur des jeux d'argent et de hasard. »

 

LES JEUX D’ARGENT : ACCESSIBLES PARTOUT ET À TOUT MOMENT

Les casinos ont longtemps été le visage du secteur des jeux d'argent et de hasard. Cependant, aujourd’hui, en ce qui concerne les paris sportifs, les gros joueurs et les flambeuses ne sont plus dans l’obligation, pour tenter leur chance au jeu, de se rendre dans l’endroit le plus proche où il est possible de jouer ou de trouver à la hâte un bookmaker digne de confiance : un smartphone suffit.

« Avant, il fallait se rendre physiquement dans un établissement de jeux », indique Lia Nower, professeure et directrice du Center for Gambling Studies à l'université Rutgers. « Aujourd'hui, on peut jouer vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, sur son téléphone portable. On a un bookmaker sportif ou un casino dans sa poche et on peut être assis à table avec sa famille pendant le dîner, tout en perdant sa maison au jeu. »

Si certaines personnes choisissent de ne jamais se prendre au jeu, d'autres n’ont besoin que de se laisser persuader de s’y essayer. Des services de paris sportifs en ligne simples comme BetMGM ou DraftKings rendent cela aisé de s’inscrire et de commencer à parier, allant jusqu'à proposer tout un choix d'options de paiement par le biais de diverses plateformes bancaires telles que PayPal afin de garantir que ces derniers soient faciles et que les retraits soient quant à eux rapides.

Les personnes qui ne connaissent pas bien le terrain risquent toutefois de perdre davantage que prévu. Des options telles que les micro-paris, qui consistent à parier sur des aspects spécifiques ou minimes d'un match, ou les paris combinés sur un même match, qui permettent de parier sur plusieurs événements au sein de ce dernier, sont tout autant d’incitations attirant à la fois les novices et les personnes expérimentées, même si chacune comporte ses propres risques. Les paris combinés sur un même match, par exemple, reposent en grande partie sur les capacités de pronostic et si une seule sélection est incorrecte, la totalité de la mise est perdue.

« La grande majorité [des] paris sportifs se font en ligne », explique Joe Maloney, vice-président principal de l'American Gaming Association (AGA), une organisation professionnelle nationale qui représente l'industrie du casino aux États-Unis. « Cela reflète évidemment le fait que les opérateurs du marché légal et réglementé aillent à la rencontre des consommateurs là où on les retrouve le plus dans notre société actuelle. »

L'omniprésence des paris virtuels ne signifie pas pour autant que les jeux d'argent physiques ont disparu. En réalité, plus que jamais aux États-Unis, il est possible de jouer presque dans tous les lieux de loisirs, notamment dans les bars, les bowlings et les salles de sport. Même les restaurants ont ouvert leurs portes à des machines populaires comme celles commercialisées par KIOSK, dans l'espoir de profiter de cet engouement.

 

QUEL EST LE PROFIL DES PERSONNES QUI JOUENT ET QUAND JOUER DEVIENT-IL UN PROBLÈME ?

La majorité des personnes qui réalisent des paris sportifs sont en règle générale de jeunes hommes adultes mais, selon l'AGA, le marché s'est rapidement diversifié depuis l'abrogation de la PASPA.

D’après l'organisation professionnelle, en 2023, 6 % des personnes réalisant des paris sportifs étaient âgées de vingt-et-un à vingt-quatre ans, tandis que 34 % avaient entre trente-cinq et quarante-quatre ans. Les mêmes données de cette année-là suggèrent que 64 % des personnes à l’origine des paris sportifs étaient des hommes.

Les jeux d’argent ont longtemps été considérés comme un passe-temps majoritairement masculin et ont toujours favorisé le lien social. Aujourd'hui, ils sont synonymes de divertissement et de rassemblement autour de la compétition, décrit Timothy Fong, professeur clinique en psychiatrie et codirecteur du Gambling Studies Program de l'université de Californie, à Los Angeles. Les « paris sociaux », soit avec d’autres personnes, prennent de l’ampleur et pourraient également favoriser le développement d'une forte dépendance au jeu chez les hommes.

« Ce n’est pas en jouant une fois que l'on devient dépendant ou accro », affirme Jeffrey Derevensky. « C'est un trouble progressif. Ça prend du temps. »

Désormais classé comme un trouble mental chronique dans le DSM-5, manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le jeu problématique peut être difficile à diagnostiquer en raison de sa facilité à être dissimulé. D’après les estimations, il toucherait près de 1 % de la population américaine et 1,3 % des Français, mais comme toute addiction, à long terme, le jeu peut altérer le fonctionnement du cerveau et nombre de personnes jouant de manière compulsive ont déclaré se sentir stressées, anxieuses et dépressives au plus fort de leur dépendance.

« La plupart du temps, les gens ne veulent pas admettre qu'ils ont un problème de jeu », révèle Timothy Fong.

Selon lui, les patients et patientes n'ont souvent aucune idée de leur dépendance et résument leurs séries de défaites à de la simple malchance. Même si elles reconnaissent leur problème, les personnes jouant de manière compulsive sont souvent rongées par la honte et évitent de demander de l'aide. À cause du manque de financement de la recherche, le flou règne davantage sur les données relatives à l'addiction au jeu.

Alors que l'industrie continue de croître de manière exponentielle, les spécialistes recommandent aux personnes qui jouent d'être responsables quant aux décisions qu’elles prennent et, quelle que soit l’issue, d'essayer de tirer des leçons de leur expérience.

« Perdre fait partie de l'expérience du jeu, fait partie de la vie, et c’est vraiment essentiel de comprendre comment nous réagissons à la perte de choses qui ont de l’importance pour nous », préconise Timothy Fong.