La police scientifique en première ligne contre le trafic des espèces sauvages

Août 4, 2025 - 09:20
La police scientifique en première ligne contre le trafic des espèces sauvages

Avançant dans la forêt du sanctuaire de faune de Thung Yai Naresuan, dans l’ouest de la Thaïlande, ils arrivèrent à un camp couvert des traces d’une boucherie. Au sol gisait la carcasse sanguinolente d’un muntjac indien. Les restes d’un faisan leucomèle et d’une panthère noire – un animal rare – reposaient sur une planche à découper ou bouillaient dans une marmite. Les gardes arrêtèrent quatre personnes sur place, soupçonnées de braconner des espèces protégées et de violer la législation sur les armes à feu. Mais ils se heurtèrent à une difficulté inattendue : le chef du groupe n’était autre que Premchai Karnasuta, un magnat de la construction et l’un des hommes les plus puissants et les plus influents de Thaïlande. 

Celui-ci clama son innocence, pensant probable ment que ses avocats le tireraient d’affaire. Mais c’était sans compter sur la détermination de la police thaï landaise chargée de la protection de la faune sauvage. Les gardes bouclèrent la scène de crime et saisirent les carcasses, trois fusils, des munitions, ainsi que le gibier qui cuisait dans la marmite – et même un tas d’excréments humains. Les pièces à conviction furent transportées dans des sacs scellés jusqu’à un laboratoire judiciaire à Bangkok, où des techniciens, sous la supervision de Kanita Ouitavon, cheffe du laboratoire criminalistique de la faune sauvage du département des parcs, séquencèrent l’ADN du gibier et des excréments, la police scientifique procédant pour sa part à des tests balistiques sur les carcasses. 

Pour lutter contre la recrudescence du braconnage et du trafic d’espèces sauvages en Asie et en Afrique, les défenseurs de l’environnement et la police se tournent aujourd’hui vers des méthodes longtemps réservées aux homicides, aux agressions sexuelles et à d’autres crimes impliquant des victimes humaines. Le séquençage de l’ADN, l’analyse des empreintes digitales, l’imagerie thermique pour détecter la présence de sang, les tests balistiques, entre autres techniques scientifiques, ont ainsi été utilisés avec succès contre des malfaiteurs – des braconniers de pangolins au Zimbabwe aux pilleurs de nids de faucons pèlerins en Écosse.

C’est un changement radical de la législation sur la faune sauvage qui est à l’origine de cet usage croissant de la criminalistique. Auparavant, les braconniers et les trafiquants pris en flagrant délit plaidaient généralement coupables et payaient une amende pour la forme. Mais, entre 2010 et 2016, alors que les cas de braconnage augmentaient considérablement, les pays touchés ont alourdi les sanctions de façon drastique. « Ils sont passés d’une amende de 50 dollars pour possession d’ivoire à une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de prison », explique Rob Ogden, directeur du département des sciences de la conservation à l’université d’Édimbourg et spécialiste du profilage ADN. Les criminels disposant de ressources ont alors engagé des avocats spécialisés pour plaider leur cause devant les tribunaux. « La défense a commencé à dire des choses du genre : “Prouvez que c’est de l’ivoire” », continue-t-il. « Les poursuites ont échoué, les preuves scientifiques faisant défaut. »

Celles analysées à Bangkok se sont en revanche avérées déterminantes pour traduire Premchai Karnasuta en justice. La défense a tenté de discréditer les ana lyses médico-légales et la chaîne de conservation des éléments de preuves, mais Kanita Ouitavon n’a laissé aucun doute dans l’esprit des juges quant au fait que les hommes du magnat avaient abattu les animaux. En 2019, un tribunal a condamné celui-ci à trois ans et deux mois de prison et à une amende de 2 millions de bahts (environ 53 000 euros). 

Cette condamnation intervient dans un contexte où la faune sauvage et l’État de droit sont tous deux menacés. Les prix élevés de l’ivoire, de la corne de rhinocéros, des écailles de pangolin et d’autres produits issus de la faune sauvage comme la viande de brousse, de même que la sophistication croissante des agissements des groupes insurgés et des organisations criminelles internationales, et la corruption endémique exercent une pression sans précédent sur les espèces en danger. En Afrique du Sud, les braconniers ont abattu 10 334 rhinocéros noirs et blancs entre 2006 et 2024 – l’équivalent des deux tiers de la population totale du pays. La majorité des cornes finissent au Viêt Nam et en Chine, où elles sont sculptées en objets décoratifs ou réduites en poudre et vendues pour leurs prétendues vertus médicinales. Le nombre d’éléphants en Afrique est passé de 472 269 à environ 415 000 depuis que la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) a autorisé, en 2008, une vente exceptionnelle d’ivoire à la Chine, laquelle a eu pour effet de stimuler la demande et d’ouvrir la porte au trafic illégal des défenses. Si les chiffres se sont stabilisés, les pachydermes restent menacés. Les pangolins, les tigres, les panthères des neiges et de nombreuses autres espèces sont aussi considérés comme courant de grands dangers. Selon les Nations unies, le commerce illégal d’espèces sauvages représenterait ainsi 23 milliards de dollars par an.

Des experts de la faune sauvage ont commencé à former des agents des forces de l’ordre en Afrique et en Asie pour qu’ils puissent étayer leurs arrestations avec des preuves recevables en justice. Désormais, la police chargée de la protection de la faune sauvage apprend à relever des empreintes digitales, à exploiter les données des télé phones portables, à effectuer des tests balistiques et à protéger une scène de crime. Grant Miller, conseiller pour la lutte contre le trafic à la Société zoologique de Londres, a formé la police de l’environnement de Mongolie et les gardes de parcs en Thaïlande, au Népal, aux Philippines, au Bénin, au Cameroun, au Niger et au Kenya. Il raconte que, auparavant, les agents « manipulaient des défenses d’éléphant et des cornes de rhinocéros […] sans porter de gants ». Mais ils commencent à comprendre qu’une lutte efficace contre la criminalité « implique d’éviter toute contamination et de trou ver des preuves valables devant un tribunal ».

En Inde, le Service des forêts (IFS) et le Bureau de contrôle de la criminalité liée aux espèces sauvages ont mis en place un système de collecte de renseignements de pointe qui a conduit à l’arrestation de soixante-treize personnes et au démantèlement d’un réseau de braconniers d’éléphants ayant ravagé la population de pachydermes en 2015. En Mongolie – un sanctuaire pour les espèces vulnérables et en danger comme les panthères des neiges, les faucons sacres et les chameaux sauvages –, la police de l’environnement s’est associée à la Société zoologique de Londres et à l’Agence médico-légale nationale de Mongolie, ainsi qu’à la Société zoologique Luujin. Aujourd’hui, indique Tracy Alexander, « elle est bien formée et dispose d’un équipement médico-légal sophistiqué ». 

Les policiers chargés de la protection de la faune sauvage bénéficient également de nouveaux outils qui améliorent la collecte de preuves. Au laboratoire médico-légal de la police métropolitaine de Londres, j’ai rencontré Mark Moseley, un photographe de la police de 50 ans, qui passe ses journées à prendre des images de scènes d’homicides. Pendant son temps libre, il expérimente de nouvelles méthodes pour lut ter contre la criminalité liée aux espèces sauvages. Il a réalisé sa première avancée il y a douze ans, après que ses deux filles, qui préparaient des cartes d’anniversaire sur le thème des pachydermes pour leur grand mère, furent tombées sur des photos d’éléphants décapités sur Internet. Les fillettes ont supplié leur père d’inventer une technique qui donnerait aux policiers un avantage dans leur combat contre les braconniers. C’est ainsi qu’il s’est intéressé à une méthode élaborée en Inde il y a cent trente ans par Sir Edward Henry : le prélèvement des empreintes digitales. 

Les défenses d’éléphant étant recouvertes de cément – un tissu poreux –, les empreintes laissées par les braconniers et les contrebandiers sont rarement détectées plus de sept jours après leur dépôt avec les poudres traditionnelles. Mark Moseley chercha donc un produit qui pourrait révéler les traces des nombreuses manipulations de l’ivoire durant les semaines comprises entre leur braconnage dans la brousse et leur contre bande à l’étranger. En 2015, après des mois d’essais, il a découvert la poudre magnétique SupraNano, un révélateur d’empreintes digitales capable à la fois d’absorber et de repousser la sueur et les huiles. Cette poudre fait apparaître les détails des empreintes jusqu’à vingt-huit jours après leur dépôt. 

L’innovation de Moseley a fait florès. Le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), en partenariat avec le ministère britannique des Affaires étrangères, a distribué une centaine de kits de prélèvement d’empreintes aux polices et aux gardes de vingt-trois pays d’Afrique et d’Asie. En 2017, l’IFAW a annoncé qu’ils avaient per mis au Service de la vie sauvage du Kenya d’arrêter quinze personnes, dont cinq policiers. Le matériel a également fait ses preuves sur des cornes de rhinocéros, des griffes de tigre, des dents d’hippopotame et de cachalot et des coquilles d’œuf – autant d’objets très convoités par les trafiquants.