Les objets interstellaires sont-ils la preuve d’une forme de vie extraterrestre ?

Août 20, 2025 - 12:30
Les objets interstellaires sont-ils la preuve d’une forme de vie extraterrestre ?

Notre système solaire est le royaume du Soleil, tout lui appartient. Si elles peuvent prendre plusieurs années à en faire le tour, chaque planète et lune, chaque astéroïde et comète, jusqu’aux fragments les plus infimes de glace et de roche, tous sont liés à la gravité de notre étoile, comme les pions d’un échiquier cosmique géant. Et pourtant, à quelques reprises d’autres corps ont pénétré dans notre espace, respectant des mesures précises de mécaniques orbitales sans se lier au Soleil : des visiteurs interstellaires. L’objet provient d’un lieu situé entre les étoiles et, après un rapide séjour au sein de notre système solaire, il s’en retourne aux profondeurs inexplorées de l’espace.

Ces voyageurs énigmatiques sont appelés « objets interstellaires » et ils amènent avec eux des parties du cosmos que nous n’avons jamais observé auparavant. Chaque fois que l’un d’eux arrive, il déclenche une frénésie d’observations. Tous les astronomes se jettent sur leurs télescopes, qu’ils soient sur Terre ou dans l’espace, pour scruter ce visiteur lointain. L’objet n’apparaît que comme une tache floue de lumière, rien de plus, mais cela n’empêche pas les astronomes de tenter d’en découvrir la nature avant qu’il ne reparte ; de ses propriétés fondamentales (dimensions, composition chimique) jusqu’aux hypothèses les plus folles (comme d’éventuels signes de technologie extraterrestre).

Seuls trois objets interstellaires auraient déjà été découverts dans notre histoire, et le dernier a été observé au mois de juillet. 3I/ATLAS provient d’une région proche du centre de la Voie lactée et voyage en ce moment à l’intérieur de l’orbite de Mars, captivant les télescopes du monde entier. Ces événements sont rares… pour le moment.

Un nouveau télescope, qui devrait entrer pleinement en service plus tard cette année, devrait découvrir beaucoup plus de ces objets nomades. L’observatoire Vera C. Rubin, perché au sommet d’une montagne dans le désert chilien, a été conçu pour observer le ciel, nuit après nuit, dans le but de photographier de faibles scintillements dans l’obscurité, y compris les réflexions de la lumière du Soleil sur un corps céleste se déplaçant à toute vitesse. Ses observations produiront des vues accélérées, permettant aux astronomes de traquer ces objets et d’étudier leur orbite en quête d’irrégularités. Ce n’est pas Rubin qui a découvert 3I/ATLAS, mais il a tout de même photographié l’objet des dizaines de fois, avant et après que sa nature interstellaire ne devienne apparente. Ces images aident d’ores et déjà les astronomes à se faire une meilleure idée de la nature de ce visiteur.

Grâce à Rubin, l’astronomie pourrait entrer dans une ère explosive de découvertes. Selon les prédictions statistiques qu’ont calculées les astronomes et les paris audacieux pris entre eux, l’observatoire devrait repérer entre cinq et 100 objets interstellaires au cours des dix prochaines années. « C’est comme avec l’astronomie d’antan : on trouve quelque chose, on oriente nos télescopes dans cette direction, puis on en discute », se réjouit Chris Lintott, astrophysicien de l’université d’Oxford. « Ça va être génial. »

 

QUE SAVONS-NOUS DES OBJETS INTERSTELLAIRES ?

Un objet interstellaire, autrefois lié à sa propre étoile, peut voyager durant des millions, voire des milliards d’années avant de rencontrer la chaleur d’un autre soleil. Lorsque le premier est apparu en 2017, les astronomes n’en croyaient pas leurs yeux, non seulement parce qu’ils assistaient à un événement historique, mais aussi parce que 'Oumuamua, comme il a plus tard été nommé, défiait toutes les théories fonctionnelles de l’Univers.

Les scientifiques ont longtemps pensé que les objets interstellaires devaient exister, dégagés de la froide périphérie de leur système parent alors que de nouvelles planètes se formaient à partir de la poussière environnante ; un moment de fortes turbulences. 'Oumuamua ne ressemblait cependant en rien à ce que les astronomes avaient pu observer avant. Sa forme était étrange, rocheuse comme un astéroïde mais allongée comme une comète, tout en ne présentant pas cette traînée de poussière caractéristique. Les théories à propos de son origine extraterrestre étaient légion.

Le deuxième objet interstellaire découvert à avoir visité notre système solaire, Borisov, a été détecté en 2019. Celui-ci correspondait davantage aux attentes des astronomes : une comète de glace, bien qu’elle provienne probablement d’une étoile plus froide et plus petite que la nôtre. Les astronomes ont déjà catégorisé 3I/ATLAS comme étant une comète, mais il présente des particularités : l’objet est beaucoup plus grand que 'Oumuamua et Borisov, et semble être des milliards d’années plus vieux que notre système solaire.

Un catalogue entier d’objets interstellaires peut cependant aider à révéler comment les forces cosmiques donnent forme aux systèmes planétaires au fil du temps. « Il existe [aujourd’hui] une infinité d’explications aux objets interstellaires », explique Susanne Pfalzner, astrophysicienne au centre de recherche Jülich, en Allemagne. Il est possible que les roches spatiales aient été éjectées à cause d’un conflit gravitationnel entre deux planètes géantes tout fraîchement sorties du four cosmique. La plupart des étoiles se forment dans des amas, et l’environnement peuplé pourrait faire dévier de leur orbite des objets de plusieurs systèmes planétaires naissants. Les systèmes déjà établis sont également susceptibles de perdre des corps célestes petit à petit ; les corps gelés en périphérie éloignée d’un système planétaire ne sont liés que par une très faible gravité et seraient aisément capturés par une étoile de passage. Et lorsqu’une étoile se rapproche de sa mort et commence à s’étendre, il serait aisé pour les vents stellaires qui se déchaînent lors de ce dernier acte d’expulser de nombreux objets interstellaires.

Ces nomades sont des reliques d’innombrables histoires et il est probable que le futur inventaire de Rubin aide les astronomes à déterminer lesquelles sont les plus communes, explique Susanne Pfalzner. Une nuée de Borisov indiquerait que les objets sont souvent originaires des bordures extérieures de leurs systèmes. Un plus grand nombre de 'Oumuamua suggèrerait que la plupart des objets interstellaires trouvent leurs origines au centre de leur système stellaire, où la chaleur de leur étoile les a dénués du plus grand nombre de composés chimiques qui produiraient une crinière lumineuse lors de leur rencontre avec notre Soleil.

 

VAISSEAUX EXTRATERRESTRES OU COMÈTES SOMBRES ?

Les observations de Rubin pourraient aussi mettre fin aux débats qui entourent 'Oumuamua, savoir s’il s’agissait d’une roche spatiale ou d’autre chose, explique Avi Loeb, physicien de l’université d’Harvard. Avi Loeb pense que 'Oumuamua est un fragment d’une structure extraterrestre. Notre propre système solaire, justifie-t-il, est empli de débris spatiaux (morceaux de fusée, une Tesla rouge) qui sont parfois confondus avec des astéroïdes par les astronomes amateurs. Ses collaborateurs et lui suggèrent que 3I/ATLAS serait également un morceau de technologie alien.

Si Rubin venait à découvrir plus d’objets qui ressemblent à 'Oumuamua et à 3I/ATLAS, alors il serait moins probable qu’ils soient le fruit du labeur d’extraterrestres, continue Avi Loeb. « Tout du moins, nous en apprendrons plus sur les roches qui proviennent d’autres étoiles. Mais nous pourrions également avoir la réponse à la plus grande question de l'histoire des sciences : sommes-nous seuls dans l’univers ? »

C’est une pensée qui fait froid dans le dos, et certainement la source de beaucoup de rêves éveillés, même pour les astronomes qui y travaillent. L'astronome Vera Rubin, qui a donné son nom au télescope, a écrit en 2006, alors qu’elle examinait la galaxie proche M31 par un télescope : « Je me demandais souvent si un astronome sur M31 nous observait. Je rêvais toujours qu’il nous soit possible d’échanger nos places. »

Une grande partie de la communauté des astronomes ne partage pas le point de vue d’Avi Loeb et ses collègues quant à leur interprétation sur les origines de 'Oumuamua ou leurs dernières déclarations sur 3I/ATLAS.

« Il est à la fois étrange et finalement pas tant que ça que nous ayons besoin de nous rabattre sur l’hypothèse extraterrestre », déclare John Forbes, astrophysicien de l’université de Canterbury, en Nouvelle-Zélande. L’accélération inhabituelle de 'Oumuamua, qui ne peut être expliquée par la gravité, pourrait l’être par des propriétés pareilles à celles des comètes.

'Oumuamua aurait pu relâcher une petite quantité de gaz, alors qu’elle fondait sous la chaleur du Soleil, suffisamment puissante pour la propulser, mais pas au point d'être observée par les télescopes, explique Darryl Seligman, astrophysicien de l’université publique de l’État du Michigan. Au cours des dernières années, Darryl Seligman et ses collègues ont rapporté la découverte d’une dizaine d’astéroïdes proches de la Terre, qui dégageaient des gaz à la manière des comètes, mais produisaient une traînée qui n’était pas visible à l'œil nu. Ils suggèrent que ces astéroïdes appartiendraient à une nouvelle classe de corps célestes, qu’ils appellent des comètes sombres.

« Elles pourraient être beaucoup plus répandues que ce que nous avons pu observer jusqu’alors, potentiellement parce que ce n’était pas ce que nous cherchions », dit Darryl Seligman. Et les objets interstellaires pourraient avoir le même comportement.

 

EXPLORER LES ÉTENDUES SAUVAGES DE NOTRE GALAXIE

Tandis que certains scientifiques font la chasse aux objets interstellaires qui traversent notre système solaire, d’autres sont pressés de retracer leur périple à travers les étendues sauvages de la galaxie. Parce qu’ils ne sont liés à aucune étoile, les objets interstellaires traversent toute la Voie lactée.

John Forbes, au cours de ses recherches, avance que les roches spatiales, une fois détachées de leur système parent, entament un voyage sur un long et fin courant à travers la galaxie. Les étoiles éjectées de leurs amas peuvent former des flux, et John Forbes pense que les objets interstellaires feraient de même. Ces courants s’étendraient au cours du temps, devenant plus diffus, parce que « la galaxie est désordonnée et il se produit toutes sortes d’événements qui perturbent des orbites simples et tranquilles », explique John Forbes. Il espère que Rubin repèrera de nombreux nouveaux arrivants en provenance du même endroit dans le ciel et voyageant à des vitesses similaires. « Ce serait une très bonne indication que notre système solaire se trouve dans un courant dense d’objets interstellaires », selon John Forbes. Notre Soleil dériverait à travers des millions de courants similaires.

Une pléthore d’objets interstellaires aiderait les astronomes à résoudre un aspect nébuleux de la formation des planètes, y compris de l’histoire de la Terre. Les planètes se forment à peu près de la même manière que les moutons de poussière que l’on retrouve chez soi : des particules tournoient les unes autour des autres et s’accrochent entre elles jusqu’à devenir suffisamment grandes pour être des mondes. Les simulations informatiques ont cependant démontré que, s’il est aisé pour les forces cosmiques de passer de particules poussiéreuses à des objets de la taille de roches, il est en vérité assez complexe pour ces roches de devenir plus gros.

Bien que l’Univers ait, de toute évidence, réussi à surmonter ce problème, « nous en sommes la preuve vivante », fait remarquer Susanne Pfalzner, les astronomes ignorent encore comment. Les objets interstellaires, explique-t-elle, font pile la bonne taille pour résoudre cette énigme. Ils sont prêts à être accrochés et à grandir. S’il existe un grand nombre d’objets interstellaires à la dérive à proximité d’un nouveau système, peut-être attirés par la gravité de l’étoile nouvellement enflammée en son centre, l’Univers dispose de tous les matériaux dont il a besoin, supprimant toute friction au cours de ce procédé. Les objets interstellaires défilant dans nos cieux pourraient un jour contribuer à la formation d’un tout nouveau système solaire.

La recherche d’objets interstellaires de Rubin, qu’on en découvre quelques-uns ou des dizaines, fournit un genre de connaissance qui dépasse la pure recherche empirique. Nous pouvons savoir, mieux que jamais, à quoi ressemble l’univers qui s’étend autour de nous, comme si nous avions découvert un énorme secret et appris des mystères qu’il ne nous était pas donné de découvrir. Ce qui se trouve au-delà des confins de la Terre ne ressemble en aucun cas à la nature que nous connaissons, mais c’est une nouvelle sorte d’étendue sauvage, formée par beaucoup des mêmes forces à l’origine des paysages familiers de la planète bleue. Les objets interstellaires sont un rappel que le cosmos ne nous appartient pas, nous le partageons. Et nous en faisons tout autant partie que ces mystérieux voyageurs, traçant notre propre route à travers le temps et l’espace.