Les scientifiques ont observé une collision de trous noirs qu’ils pensaient impossible

Juillet 22, 2025 - 07:30
Les scientifiques ont observé une collision de trous noirs qu’ils pensaient impossible

Tout récemment, la plus énorme collision jamais observée entre deux trous noirs interroge les scientifiques autant qu’elle les réjouit. Le duo gigantesque est le plus énorme que le LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory, l’observatoire d’ondes gravitationnelles à interférométrie laser) ait observé. Il a été construit dans le but de détecter les déformations de la trame de l’espace-temps causées par la collision d’objets massifs. Ces immenses trous noirs mettent au défi les théoriciens de découvrir le secret de leur taille titanesque.

« Nous ne pensions pas que les trous noirs se formaient quand leur masse se trouvait dans une fourchette allant de 60 à 130 fois celle du Soleil. Et ces deux-là ont plutôt l’air de se trouver pile au milieu », explique Mark Hannam, physicien de l’université de Cardiff, au Royaume-Uni, et membre de l’équipe du LIGO.

Les scientifiques pensent qu’un trou noir, comme on en observe beaucoup, voit le jour au moment de la mort d’une étoile géante, lorsque le noyau massif de l’étoile s’effondre sur un point infinitésimal avec une gravité si forte que rien, pas même la lumière, ne peut s’en échapper. Mais la physique derrière ce procédé vacille quand on s’intéresse aux étoiles particulièrement grandes. Une fois que leur noyau pèse plus de 60 fois la masse de notre soleil, l’effondrement devient si violent que toute l’étoile est anéantie, ne laissant rien, pas même un trou noir, dans son sillage.

Cependant, voilà que LIGO observe de plus en plus de trous noirs se trouvant dans cette « zone interdite », y compris les deux nouveaux titans. On pense qu’ils pèsent 103 à 137 fois la masse du Soleil, selon une étude publiée le 13 juillet sur le site Internet arXiv.org. Les propriétés mesurées de chacun sont cependant suffisamment incertaines qu’ils pourraient tous deux se trouver dans la zone prohibée. Lors de leur rencontre dans l’Univers profond, il y a des milliards d’années de cela, ils ont créé un monstre encore plus énorme, qui chamboule tout ce que l’on connaît avec sa masse d’environ 190 à 265 fois celle du Soleil. C’est le trou noir le plus gigantesque que le LIGO ait jamais observé. En étudiant de plus en plus d’ondes gravitationnelles d’événements tels que la collision de ces géants, les chercheurs pourront démêler le mystère de la création des trous noirs et peut-être découvrir s’il existe une connexion avec les trous noirs immenses qui rôdent au centre des galaxies.

 

UNE TROISIÈME CATÉGORIE DE TROUS NOIRS

Pendant longtemps on pensait que les trous noirs n’existaient qu’en deux tailles : solaire et galactique. La plupart des près de 300 trous noirs que le LIGO avait repérés jusqu’à présent rentraient dans la première catégorie. Leur masse va de celle de quelques soleils, à une dizaine de soleils, et leur formation est attribuée à l’explosion d’étoiles gargantuesques en supernovas, qui ont laissé derrière elles un rémanent dense qui aspirait inexorablement tout ce qui passait à proximité.

Les trous noirs de la deuxième catégorie relèvent plus de bêtes titanesques. Les télescopes ont repéré des trous noirs au centre de presque toutes les galaxies. Des monstruosités gravitationnelles qui pèsent jusqu’à 100 millions de fois la masse du Soleil, voire plus, et qui semblent réguler la formation des étoiles au sein de ces galaxies. Personne ne sait vraiment comment ces immenses dévoreurs sont devenus aussi gros. Ont-ils commencé leur périple en faisant la taille d’un soleil et ont-ils, d’une manière ou d’une autre, grandi jusqu’à atteindre cette taille ? Ou bien existe-t-il une autre histoire pour expliquer leur création ?

L’existence de trous noirs dans la zone intermédiaire, qui se situe dans une fourchette entre 100 et 100 000 fois la masse du Soleil, aiderait à trouver la pièce manquante du puzzle et pourrait peut-être expliquer si les petits trous noirs deviennent plus grands. Les chercheurs du LIGO ont annoncé en grande fanfare en 2020 la découverte d’un duo de trous noirs aux masses atteignant 66 et 85 fois celle du Soleil, et leur union destructrice a produit un géant d’une masse équivalente à celle de 150 soleils. La découverte a, pour la première fois, montré que les trous noirs pouvaient passer ce seuil de masse intermédiaire, bien que les débats battent leur plein parmi les théoriciens pour tenter de comprendre comment.

Le problème est que, lorsque le noyau d’une étoile gigantesque pèse entre 60 et 130 fois la masse du soleil, il peut atteindre des températures impensables de 300 millions de degrés Celsius vers la fin de sa vie. Passé ce stade, les particules de lumière se transforment spontanément en électrons et en positrons, leur contrepartie antimatière. Ces particules ne peuvent plus supporter les couches extérieures lourdes de l’étoile, qui s’effondrent avec une telle intensité que son noyau en est complètement oblitéré. Rien, pas même un trou noir, ne reste après cela.

Les physiciens ont imaginé quelques possibilités pour expliquer ce qu’ils ont observé avec le LIGO. D’une part, leurs théories sur l’évolution stellaire pourraient être fausses, et peut-être que quelque chose serait capable de survivre à la mort de ces étoiles monstrueusement grandes. Les autres possibilités impliquent de plus petits trous noirs qui grandissent pour devenir plus grands, par le biais d’un processus en deux étapes, explique Priyamvada Natarajan, astrophysicienne de l’université de Yale, dans le Connecticut.

Il pourrait soit s’agir de deux trous noirs de la taille d’une étoile qui auraient fusionné pour former de plus grands monstres ou d’un petit trou noir qui se serait formé et aurait aspiré du gaz et de la poussière pour atteindre la taille d’un trou noir plus massif. « La question qui se pose maintenant est de connaître les environnements et les conditions cosmiques propices à de tels événements », explique Priyamvada Natarajan.

Un indice majeur pourrait se dissimuler dans ces deux nouveaux objets, qui tourbillonnent comme des toupies, se rapprochant de la vitesse maximale à laquelle les scientifiques pensent qu’ils peuvent tourner. Les trous noirs ont la plus grande vitesse de rotation que le LIGO ait jamais observée. Certains chercheurs ont émis l’hypothèse qu’une telle vitesse pourrait être due à la rencontre et à la fusion de plus petits trous noirs, qui s’accélèreraient entre eux.

Mais Priyamvada Natarajan pense qu’une autre force pourrait être à l’œuvre ici. Parce que, si les trous noirs qui sont rentrés en collision tourbillonnaient dans des directions opposées, et les chances que cela soit le cas sont grandes, le trou noir qui en aurait émergé aurait eu une vitesse de rotation plus faible. Elle préfère l’idée que les plus petits trous noirs sont nés au sein d’amas stellaires denses, remplis de gaz et de poussière. À mesure que le trou noir de la taille d’une étoile se déplaçait et aspirait des matériaux, comme un siphon aspire l’eau dans un évier, il aurait pu grandir et accélérer sa vitesse de rotation pour atteindre celle que l’on observe chez les nouveaux objets. Ses collègues et elle travaillent à calculer les probabilités exactes qu’un tel événement se produise dans les amas stellaires.

 

LA RECHERCHE D’ÉNORMES TROUS NOIRS N’EST PAS FINIE

De futures améliorations des détecteurs du LIGO les rendront plus sensibles, leur permettant de découvrir des trous noirs encore plus énormes et de mesurer leurs propriétés avec plus de précision. Grâce aux détecteurs d’ondes gravitationnelles en Europe, au Japon, et, bientôt, en Inde, les chercheurs seront capables de mieux repérer des événements liés aux trous noirs dans le ciel étoilé, permettant aux télescopes de passer ces zones au peigne fin et de voir s’il existe bel et bien un amas stellaire dense qui pourrait favoriser l’un ou l’autre des mécanismes de formation.

Les chercheurs ont également hâte d’utiliser des instruments tels que les télescopes Cosmic Explorer et Einstein, qui devraient entrer en service au milieu des années 2030 ou 2040. Ils seront en mesure d’observer les fusions de trous noirs qui ont eu lieu bien plus tôt dans l’histoire de l’Univers. De tels observatoires d’ondes gravitationnelles pourraient observer des événements ayant eu lieu lors de la formation des premières galaxies, fournissant peut-être des indices sur l’évolution de leur trou noir central en des monstres aux proportions gargantuesques, ainsi que de meilleures données sur les trous noirs de petite taille et de taille intermédiaire.

« Il y a tant de trous noirs qui parsèment l’Univers », s’émerveille Priyamvada Natarajan. « Le fait que nous commencions à mieux les connaître rend leur étude plus exaltante. »