Oignons aux pieds : faut-il blâmer l’évolution ?

Août 3, 2025 - 10:10
Oignons aux pieds : faut-il blâmer l’évolution ?

Voilà plus de 8 000 ans, des humains marchèrent pieds nus sur ce qui est aujourd’hui le littoral du nord-ouest de l’Angleterre, et laissèrent sur leur passage des empreintes indélébiles. Nous n’avons peut-être pas grand-chose en commun avec ces chasseurs-cueilleurs préhistoriques, mais l’une des traces de pas, celle d’un adolescent, rapproche passé et présent d’une manière étonnante : elle révèle la présence d’un oignon dépassant du côté de son pied.

Les oignons tourmentent les orteils humains depuis des temps immémoriaux. Mais comment se fait-il que nous en ayons, au juste, et comment se fait-il que nous n’ayons pas encore trouvé leur cause, ni appris à les soigner sans intervention chirurgicale. Voici comment nos pieds ont contracté l’un de leurs maux les plus fréquents et pourquoi la question des oignons continue de déconcerter les scientifiques.

 

UNE DÉFORMATION MILLÉNAIRE

Les humains ont toujours eu des oignons aux pieds. Un bref détour par l’archéologie et l’histoire suffit à en attester l’existence depuis des temps reculés. Qu’il s’agisse d’empreintes de pas préhistoriques ou de momies égyptiennes présentant des oignons, les preuves ne manquent pas. Pas moins de 27 % des sépultures de Cambridge et des environs datant des 14e et 15e siècles présentaient des traces osseuses d’oignons contre seulement 6 % lors des siècles précédents. Le coupable probable ? Des chercheurs attribuent cette différence à l’apparition, au Moyen Âge, des poulaines, de longues chaussures pointues en cuir.

 

QUE SONT LES OIGNONS ?

Les oignons au pied, de leur nom scientifique hallux valgus, sont un type de déformation qui se caractérise par l’inclinaison d’un orteil (en général l’hallux ou gros orteil) vers les autres doigts de pied, ce qui a pour effet d’élargir le pied à mesure que l’articulation fait saillie sur le côté. Ce mauvais alignement affecte les autres orteils et provoque douleurs névropathiques, engourdissements, inflammations de la peau, callosités et cors, gonflements et rougeurs, voire d’autres déformations du pied (orteils en marteau ou en griffes). Un type d’oignon moins courant, la bunionette (ou oignon du couturier) entraîne des symptômes similaires au niveau de l’articulation du petit orteil.

De nos jours, les oignons sont la plus commune des affections du pied. Bien que les estimations de leur prévalence varient, les oignons semblent affecter un quart environ de la population adulte actuelle, et davantage les femmes et les personnes de plus de 65 ans. La plupart des oignons sont relativement bénins ou asymtomatiques, mais ils peuvent nuire à la qualité de vie, limiter la mobilité et provoquer douleurs chroniques et chutes.

L’existence des oignons n’a pas beaucoup de sens du point de vue de l’évolution ; la sélection naturelle devrait favoriser ceux dont la structure du pied ne se déforme pas avec le temps. Certains scientifiques pointent du doigt la structure unique du pied humain : dans le cadre d’une étude publiée en 2017, des chercheurs se sont intéressés à la structure et à la fonction des métatarses d’humains, de chimpanzés et de gorilles issus de collections de musées. À lire la conclusion des chercheurs, par rapport aux primates, les humains présentent une « réorganisation importante » du gros orteil. Tandis que ces premiers utilisent leur gros orteil comme instrument préhensile, chez les humains, tous les orteils sont en contact avec le sol. Sous l’effet de contraintes croissantes, le gros orteil humain peut s’affranchir du maintien des muscles et ligaments qui l’entourent, dévier de son axe et former un oignon.

 

POURQUOI A-T-ON DES OIGNONS ?

Toutefois, les chercheurs ne connaissent pas encore exactement la cause des oignons. La génétique semble bel et bien jouer un rôle : une étude publiée en 2007 ayant impliqué 350 participants souffrant d’oignons douloureux a montré que 90 % d’entre eux avaient des antécédents familiaux similaires : un membre de leur famille au moins sur les trois dernières générations avait été concerné également.

Mais selon Timothy Miller, podologue et chirurgien du pied et de la cheville ayant un cabinet à Orlando, en Floride, il n’y a pas que la génétique à l’œuvre. « La deuxième cause la plus commune est le type de pied », affirme-t-il. Les personnes à la voûte peu prononcée sont plus sujettes aux oignons à cause de la laxité des ligaments et des muscles entourant le gros orteil.

Les chaussures peuvent-elles, elles aussi, causer la formations d’oignons ? Pour Timothy Miller, cela ne fait aucun doute. « Nous étions faits pour marcher sur l’herbe et sur des surfaces molles, affirme-t-il. Aujourd’hui, nous marchons sur des sols durs et sur du béton et beaucoup de chaussures ne fournissent aucun soutien du tout. » Les chaussures n’apportant pas un maintien suffisant obligent les pieds à s’adapter, à se « sacrifier » afin de protéger les hanches et le dos tout en se rendant plus sujets aux oignons et autres déformations.

 

COMMENT SOIGNER LES OIGNONS

Il est possible de ralentir la formation des oignons en portant des chaussures fournissant un bon soutien et de traiter la douleur avec des étirements, de la glace ou des médicaments. Mais une fois qu’un oignon se forme, il n’y a qu’une seule façon de s’en débarrasser. « Malheureusement, si vous avez un oignon, la seule façon véritable de le réaligner est la chirurgie », explique Timothy Miller. Il réalise des centaines d’actes chirurgicaux de ce type chaque année, généralement en ambulatoire.

Bien que chaque cas soit différent, la plupart des interventions chirurgicales sur des oignons consistent à retirer une partie de l’os, ce qui permet de réaligner les structures de maintien du pied et de renforcer les tissus conjonctifs avec des plaques ou avec des fils. Dans certains cas, un remplacement ou une fusion articulaire est nécessaire, mais la plupart des chirurgies sont moins graves. La récupération peut prendre plusieurs mois et les podologues insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une procédure cosmétique. Au fil des années, cependant, celle-ci est devenue moins invasive et de nouvelles techniques chirurgicales promettent une convalescence plus courte et de meilleurs résultats. Mais Timothy Miller tient à souligner que chaque cas est unique.

Puisque la chirurgie reste la seule véritable solution aux oignons, il n’est pas surprenant que l’on trouve sur Internet toutes sortes de conseils fantasques et inutiles pour soulager la douleur qu’ils provoquent. Timothy Miller rit lorsqu’on lui demande ce que ses patients lui confient au sujet des remèdes maison.

« Ils pensent que le sel d’Epsom guérit tout, déplore-t-il. Ils font tremper leurs pieds dans du vinaigre de cidre. » Aucun de ces remèdes n’est efficace et Internet est l’un des pires endroits où obtenir des informations fiables sur les oignons. Une étude publiée en 2013 a classé seulement 24 % des sites en lien avec les oignons comme étant exacts et à jour et une analyse de 2022 a montré que près de deux tiers des sources d’informations en ligne concernant les oignons manquent de transparence.

 

PIEDS : FAITS ET IDÉES REÇUES

Cela va contre l’esprit « do it yourself » encouragé par les réseaux sociaux et par les « footfluencers » qui vantent les bienfaits des derniers appareils ou des dernières procédures en date. Timothy Miller fait observer que de nombreuses personnes investissent dans des attelles qui ne font que traiter les symptômes et non la cause.

« Elles ne fonctionnent pas, prévient-il. Dès que vous l’enlevez, ça va revenir. » Au lieu de dépenser de l’argent dans des solutions rapides et inefficaces, il recommande de consulter un médecin dès qu’un oignon devient douloureux, car une intervention précoce conduit aux meilleurs résultats possibles pour les patients. « Les patients regrettent de ne pas être venus me voir plus tôt », explique-t-il. 

Si vous cherchez des moyens de soulager un oignon, vous n’êtes pas seule : vous êtes au contact d’un secteur industriel qui pèse 625 millions d’euros par an et partagez une affliction qui hante les humains et leurs orteils non préhensiles depuis toujours. Surtout, ne contribuez pas à la perpétuation d’un stéréotype susceptible d’éloigner les personnes atteintes d’oignons de traitements potentiels voire de les empêcher de reconnaître leur problème : l’idée reçue selon laquelle les oignons ne touchent que les personnes âgées ou infirmes.

« J’ai pu recevoir un patient qui n’avait que dix ans et un autre âgé de quatre-vingt-dix-huit ans », note Timothy Miller. Donc si vous avez mal, mettez la honte de côté et consulter un médecin ; vous êtes en bonne compagnie.