Cette chenille se camoufle en portant des membres d’insectes morts

Août 3, 2025 - 08:50
Cette chenille se camoufle en portant des membres d’insectes morts

C’est Halloween tous les jours pour la chenille collectionneuse d’os. Cette larve de phalène décore son petit abri mobile avec des morceaux de cadavres d’insectes ramassés çà et là. Ce déguisement macabre pourrait lui permettre de vivre aux côtés des araignées sans se faire repérer.

Cette chenille de la taille d’un ongle ressemble à une pile de membres ; une tête de fourmi ici, des jambes et des ailes de mouche là, une tête de charançon arrimée au corps et des pattes d’araignée abandonnées dépassant de tous côtés. Sous cette carapace bricolée se cache une « corps blanc mou et générique », pour reprendre les mots de Daniel Rubinoff, entomologiste à l’Université d’Hawaï à Mānoa. « D’un côté c’est dégoûtant, mais c’est aussi un peu mignon. Elles se baladent et se disent : “Oh, ça a l’air délicieux. Je vais en manger un peu et me mettre le reste sur le dos.” »

Daniel Rubinoff et ses collègues ont décrit cette nouvelle chenille carnivore et son comportement curieux le 24 avril dans la revue Science. S’ils n’ont pas encore nommé scientifiquement l’espèce, ces papillons de nuit appartiennent au genre Hyposmocoma, que l’on trouve à Hawaï et dont les spécimens sont connus pour fabriquer des carapaces de soie portables dans lesquelles ils se tapissent. Certaines chenilles décorent la leur avec des cailloux, des diatomées ou du lichen. Mais aucun autre membre d’Hyposmocoma n’utilise de restes d’insectes.

 

UTILISER DES CARCASSES POUR SE CAMOUFLER

La carnivorie est en soi inhabituelle chez les chenilles. Selon Daniel Rubinoff, 99,9 % des papillons et des phalènes se nourrissent de plantes ou de champignons. Mais les chenilles collectionneuses d’os se glissent dans les toiles d’araignées, au cœur des troncs pourris, des creux des arbres ou des fissures rocheuses et se repaissent d’insectes affaiblis ou qui viennent de mourir, allant jusqu’à ronger la soie pour atteindre leur proie. Une fois rassasiées, les collectionneuses d’os examinent ce qui reste et attachent des morceaux à leur carapace mobile grâce à la soie qu’elles produisent.

Daniel Rubinoff a observé la chenille collectionneuse d’os pour la première fois il y a plus de vingt ans alors qu’il s’intéressait à d’autres chenilles à abri portatif se nourrissant de bois en décomposition. Mais ces bestioles semblent rares. En vingt-deux ans d’exploration des forêts hawaïennes, son équipe n’a collecté que soixante-deux spécimens.

« C’est du beau travail de terrain », commente David Lohman, biologiste de l’évolution au City College de New York n’ayant pas pris part aux présentes recherches. Petites, ternes et nichées dans des toiles discrètes, ces chenilles sont difficiles à repérer, ajoute-t-il.

Après avoir découvert ces créatures, l’équipe de Daniel Rubinoff en a rapporté des spécimens au laboratoire. Là, les chercheurs ont pu observer quelques bribes du comportement des collectionneuses d’os. Les chenilles captives s’attaquent à des proies lentes et peuvent même devenir cannibales lorsqu’elles partagent le même espace.

Les collectionneuses d’os semblent composer leur abri avec méthode. En l’absence de fragments d’insectes et d’arthropodes, les chenilles ne rajoutent pas d’autres types de débris. De plus, elles font particulièrement attention à la taille. Elles tâtent des morceaux potentiels avec leurs mandibules, les font pivoter et rongent les plus gros pour adapter leur taille. « Ça fait très tueuse en série », observe Daniel Rubinoff.

Ces châteaux de carcasses semblent conçus pour cacher l’identité de la collectionneuse d’os. Daniel Rubinoff a remarqué que les larves rôdent à proximité des araignées. Une collectionneuse d’os ne peut pas semer une araignée, mais couverte de morceaux d’insectes et de mues d’araignées, elle peut avoir l’odeur d’un mélange d’elle-même et de ses anciens repas. Les chercheurs pensent que ce camouflage de morte vivante lui permet probablement de ne pas devenir de la chair sans vie et qu’elle a sans doute évolué de sorte à vivre aux côtés des araignées et à leur dérober leurs proies. Dans d’autres régions du monde, on trouve d’autres insectes qui volent les araignées. Mais « il n’y a rien d’autre à Hawaï qui fasse cela », explique Daniel Rubinoff.

 

LES COLLECTIONNEUSES D’OS SONT UNE ESPÈCE RARE

L’équipe de Daniel Rubinoff a eu beau fouiller des troncs en décomposition dans toutes les îles hawaïennes, elle n’a trouvé ces créatures que sur O‘ahu, au sein d’une zone de 15 kilomètres carrés, sur une seule chaîne de montagne. « On peut légitimement s’attendre à ce qu’une espèce aussi localisée soit particulièrement menacée, et le fait qu’on ne la trouve que dans un minuscule coin d’une seule île est assez inquiétant », déclare Naomi Pierce, biologiste de l’évolution de l’Université Harvard qui n’a pas participé aux recherches.

À en juger par l’endroit où elles se situent dans leur arbre généalogique, les collectionneuses d’os seraient apparues il y a six millions d’années, c’est-à-dire avant que l’île où elles vivent actuellement ne se forme il y a trois millions d’années. Ces insectes ont donc dû migrer depuis une autre île hawaïenne s’étant formée plus tôt.

Contrairement à d’autres papillons du genre Hyposmocoma, la collectionneuse d’os n’a pas d’espèce sœur sur les autres îles. Selon Daniel Rubinoff, cela suggère que quelque chose a provoqué l’extinction de ces proches parents. « Je suis convaincu qu’avant l’arrivée des humains, cette lignée était largement répandue. »

De nombreux papillons et phalènes hawaïens ont connu le même sort. Près de 40 % d’entre eux sont présumés éteints et ont possiblement disparu, selon des estimations récentes de Daniel Rubinoff et de son équipe. Ces insectes sont confrontés à des menaces du fait de la destruction de leurs habitats, du changement climatique et de la prédation d’espèces introduites, comme les fourmis, qui ne sont pas apparues sur l’île. La résilience de la collectionneuse d’os pourrait en partie être due à sa capacité à utiliser les toiles d’araignées invasives. Malgré tout, sans intervention, ces curiosités, possiblement les dernières représentantes de leur lignée, pourraient ne pas survivre. « Je crains qu’il ne leur reste pas longtemps », s’inquiète Naomi Pierce.

Hawaï, de même que d’autres archipels, est capable de donner naissance à des espèces aussi curieuses que celles qui appartiennent à Hyposmocoma, car elles sont particulièrement isolées, ainsi que le rappelle Akito Kawahara, spécialiste des lépidoptères à l’Université de Floride à Gainsville qui n’a pas participé aux recherches. L’équipe de Daniel Rubinoff a par le passé découvert des chenilles du genre Hyposmocoma qui vivent sous l’eau. D’autres décorent leur pseudo-carapaces avec du lichen de couleur spécifique. Selon le chercheur, il n’est pas surprenant que les collectionneuses carnivores s’insèrent dans cette famille. « Cela vous fait réfléchir à tout ce qui existe et qu’on n’a pas encore vu. »

« Quand on pense aux papillons et aux phalènes, on pense d’abord aux adultes », note Akito Kawahara. La chenille collectionneuse d’os se métamorphose en un papillon élégant aux ailes ornées de franges blanches. Mais le mode de vie macabre de cette chenille révèle combien la phase adolescente d’un insecte peut être fascinante. « Nous avons tendance à oublier les chenilles et ce qu’elles font. Et cela montre tout simplement toute leur diversité. »