Congo : et si le Rwanda n’était qu’un leurre ? (3/3)


Ingénieur et entrepreneur, Sidy Kebe détient un MSc en Global Entrepreneurship & Innovation ainsi qu’un Master en Management. Amateur éclairé de littérature africaine, de politique et de panafricanisme, il signe une réflexion fouillée sur la prédation en République démocratique du Congo, depuis l’époque de Léopold II jusqu’à l’exploitation contemporaine du cobalt. Selon lui, le Rwanda et le M23, souvent pointés du doigt, ne sont que les manifestations apparentes d’un mécanisme plus profond, dominé par des élites locales compromises, des multinationales prédatrices et des réseaux financiers internationaux responsables du pillage systématique des ressources congolaises. « Lire d’abord : Congo : et si le Rwanda n’était qu’un leurre ? (2/3)«
Les vrais prédateurs
Le pillage du Congo ne se joue pas seulement dans les collines du Kivu, mais aussi dans des tours vitrées à Genève, Londres ou New York. Là, des contrats transforment des sacs de coltan et de cobalt en fortunes tandis que des enfants creusent à mains nues. Depuis Mobutu, l’argent du sous-sol s’évapore vers des comptes suisses et des villas à Dubaï. Les écoles et les routes se font attendre. On stigmatise le M23, mais il n’est qu’une milice parmi plus de deux cents. On fustige Kigali, mais on oublie les généraux congolais qui contrôlent des mines, les gouverneurs qui bradent des concessions et les négociants qui exportent les minerais sans traçabilité.
Les vraies fortunes naissent à la croisée de ces complicités : banquiers de Zurich, traders hongkongais, négociants d’Anvers et généraux congolais s’accordent pour contourner les règles. Des ONG publient des rapports alarmants le jour et serrent des mains le soir. Accuser Kigali est commode : c’est plus simple que de citer des ministres congolais ou de nommer des firmes comme Glencore ou Trafigura, ou les géants de la technologie qui transforment ce cobalt en batteries et en profits.
Le Rwanda, anomalie du récit
Le Rwanda n’a pas le visage que lui prêtent ses détracteurs. En vingt ans, ce pays enclavé et dépourvu de pétrole est devenu un des États les plus stables d’Afrique. Kigali est propre, ordonnée, éclairée par des lampadaires solaires. Au lever du jour, des enfants en uniforme traversent des routes impeccables, des femmes se rendent au marché où les étals débordent. Une fois par mois, l’Umuganda réunit la population pour nettoyer ou construire. La corruption y est marginale, la sécurité assurée, la mémoire du génocide entretenue. À la tête de ce renouveau, Paul Kagame – stratège inflexible pour les uns, bâtisseur pour les autres – transforme l’horreur en renaissance.
Lire le : Congo : et si le Rwanda n’était qu’un leurre ? (1/3)
Cette réussite dérange. Elle montre qu’un pays africain peut se relever et construire une société efficace, digne et indépendante. Kigali devient alors une vitrine insupportable pour ceux qui préfèrent montrer l’Afrique sous l’image de camps de réfugiés et de guerres sans fin. On diabolise, on multiplie les accusations, on réduit Kagame à un tyran et le Rwanda à un parasite. On exagère son rôle au Congo pour en faire un coupable commode. Car il ne faudrait surtout pas que les peuples africains voient en ce pays la preuve qu’une émancipation est possible. Le Rwanda n’est pas parfait ; aucun pays ne l’est. Mais c’est une fissure dans le récit colonial, une fissure qui pourrait s’élargir et laisser entrevoir une Afrique réellement souveraine.
Vers un Congo souverain et libre de prédation
Revenons au point de départ : un enfant dans une mine du Kivu. Ses mains noires de poudre, ses genoux éraflés, son panier de cobalt pour nourrir sa mère demain. Ce n’est pas une statistique : c’est une vie sacrifiée pour qu’un smartphone s’allume à New York, qu’une batterie se charge en Californie, qu’une montre connectée vibre à Paris. Depuis plus de cent cinquante ans, le Congo paie le prix d’une richesse qui ne lui revient pas. Cette réalité ne changera pas en désignant un bouc émissaire.
Alors, pourquoi le pays le plus riche du monde est-il resté l’un des plus pauvres ? Parce qu’on préfère un bouc émissaire commode à l’aveu de la prédation systémique. Parce que l’histoire du Congo est un miroir que le monde refuse de regarder. Elle changera lorsque nous aurons le courage de reconnaître que l’histoire coloniale continue de façonner les structures économiques, que la mauvaise gouvernance locale est aussi coupable que les ingérences étrangères, que les multinationales et les banques doivent répondre de leurs actes autant que les milices, et que les États de la région doivent travailler ensemble pour démanteler les groupes armés et sécuriser leurs frontières.
Lire aussi : Congo : et si le Rwanda n’était qu’un leurre ? (2/3)
S’attaquer à ces racines exige un courage politique rare et une mobilisation collective. Cela signifie soutenir la société civile congolaise, renforcer la traçabilité des chaînes de valeur, sanctionner les entreprises qui participent à l’exploitation et offrir un vrai rôle aux pays africains dans les instances internationales. C’est un chemin long et ardu, mais c’est le seul moyen de faire du Congo une nation où la richesse du sol ne sera plus synonyme de souffrance, mais de dignité. Écrire, dire, rappeler – c’est déjà briser ce silence. Le Rwanda et le M23 ont une cause née du génocide et de la survie. Mais la grande question reste : qui, depuis un siècle, a condamné le Congo à être pillé sans fin ? Kigali et le Rwanda pourraient devenir un modèle, la preuve que l’Afrique peut se relever par elle-même. Mais cela dérange ceux qui vivent de la prédation. Peut-être ne veulent-ils pas que le Rwanda échoue, mais pas non plus qu’il réussisse trop bien. Car une Afrique debout, digne, organisée, serait la fin d’un siècle de prédation tranquille.